Comme sur Facebook, Instagram, on lit les histoires de chacune, de chacun, sous une forme de surenchère, bon enfant souvent, perfide parfois, ou rusé pour faire enrager les autres. Livrer régulièrement à ses amis la version « luxe » de sa petite existence, documentée par des photos radieuses : vacances inoubliables, baisers sur la plage, seins parfaits, fêtes mémorables, cadeaux insensés, chatons adorables, spa de folie, enfants angéliques. Le reste, le médiocre, le moins joyeux, est censuré.

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Egos en guerre

Je fréquentais il y a quelques années un forum de célibat où des filles célibataires discutaient, mettaient leurs photos, pour organiser une rencontre. Les photos sont devenues de plus en plus dénudées, puis des photos nues sont apparues.

D'autres mettaient en ligne les photos de leurs vêtements, sous-vêtements, leurs achats et même de leurs meubles de cuisine. Nous autres, les hommes connectés, on souriait, on envoyait quelques commentaires, on regardait étonnés au début, indifférents par la suite. Les filles parlaient de leur quotidien dans une sorte de surenchère entre la belle du forum et les autres filles, entre « la sexy » et les autres, la mince et les moches.

Puis le forum s'est transformé en bataille d'égo. Celle qui montre son corps faisait réagir (enrager) les moins jeunes, les moins minces. Celle qui montre ses rencontres faisait hurler les célibataires. Ainsi le forum est mort progressivement. Il y avait une souffrance,... même si tout le monde relativisait.


Quand Flaubert décrit les réseaux sociaux

Ce comportement me fait penser à Flaubert et à son héroïne. Les rêveries d'Emma ont été à l'origine du concept de fantasme sexuel, il a fallut attendre Freud pour remplacer le mot "bovarysme" par fantasme.

 

Au début du 20ème siècle, Emma Bovary fut l'exemple de la femme victime de la société de consommation qui gagna les esprits après la révolution industrielle.


Pour les féministes, Emma est l'exemple de la femme dépendante des hommes, elle est victime des hommes. Pour les non-féministes, elle est la vénale, l'infidèle, femme consommatrice de sacs à main, chaussures et aussi de sexe ; Charles son mari est l'exemple de la disparition du pouvoir masculin selon certains, le "cocu heureux" qui cherche à plaire à sa femme.
Monsieur Bovary existe aussi. Et il commence à jouer le jeu.

 

citation flaubert Mme Bovary

 

Fear of missing out

Depuis quelques années, ce comportement provoqué par les réseaux sociaux pointe son nez, ces femmes qui souffrent en lisant ou regardant la vie (réelle ou rêvée) d'autres femmes, les robes, les voyages, les amours torrides sur les plages exotiques des web. Elles encaissent frustration et jalousie comme Emma Bovary.

Les anglais nomment cette souffrance "Fomo" « fear of missing out » « peur de manquer quelque chose » ou le bovarysme de Facebook, en attendant d'autres termes plus précis.
Flaubert est encore là, au delà du style ou même de la littérature. Le bovarysme, sentiment de frustration éprouvé par Madame Tout-le-Monde, quand elle constate combien son train-train quotidien est pauvre comparé à la vie (réelle ou plus souvent imaginaire) d'autres femmes sur le net.


Arthur C. Brooks écrit dans le New York Times : « nous passons, pour les plus atteints d'entre nous, la moitié de notre temps à prétendre être plus heureux que nous le sommes, et l'autre moitié à regarder combien les autres semblent être bien plus heureux que nous !!!».

 

Dans une étude publiée par l'université de Boston, on trouve un lien entre le taux de divorce et le temps passé sur les réseaux sociaux. La vision du bonheur conjugal (présumé) d'autrui s'avère apparemment fatale pour beaucoup (ceux qui regardent).


C'est amusant ou affolant d'apprendre qu'il ne s'écoulera pas plus de dix minutes désormais, entre l'arrivée d'un client dans un hôtel à l'autre bout du monde et le moment où il poste un selfie pour se montrer, frimer et fanfaronner devant les autres.


Évidemment les plus fragiles, ados, dépressifs, trentenaires fauchés ou esseulés, salariés précarisés, jeunes parents, maman solo, les malades, les obèses, les couples à la dérive, sont les plus exposés aux effets pervers de cette mise en scène de soi. Ils risquent une dose dangereuse de bovarysme.

Les plus équilibrés se contentent d'éprouver un petit blues du dimanche soir, quand ils ont passé le week-end à repeindre leur salon alors que les autres ont passé l'après midi dans un hôtel ou la soirée du samedi dans un restaurant (de rêve bien sûr).

On vit avec les réseaux sociaux, au rythme de journaux peu intimes, destinés à la promotion efficace de « Moi Moi Moi ».