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La solitude entre philosophie et psychologie


Un vieux chirurgien américain, Vivek Murthy, écrivait que la maladie la plus fréquente qu'il ait vue au cours de sa pratique médicale "n'était pas une maladie de cœur ni le diabète, c'était la solitude. "
Pendant que des médecins voyaient la solitude comme " maladie ", d'autres, écrivains et philosophes théorisaient la solitude comme une attitude d'indépendance, et de méditation sur soi.  

La solitude : paradoxe et évolution 

La solitude, paradoxe de notre monde de communication, fait peur, prise au sérieux et devient une " grande cause nationale " en France en 2011. Cette solitude fascine et attire, les amateurs d'exploits solitaires, se multiplient, les retraites volontaires, et les voyages dans le désert ou dans les zones dépeuplées deviennent à la mode.
Voilà l'aboutissement d'une longue histoire qui débute dans l'Antiquité, où les intellectuels avaient déjà posé les termes de la question : l'homme est-il un animal social ou une créature solitaire ?
En occident, à partir des années 60, nous envisageons, la solitude comme un problème de santé publique, voire comme une épidémie. Durant des milliers d'années, l'individu ne pouvait se détacher du groupe, protection indispensable face aux dangers de la vie. La solitude ne pouvait exister.
Nos réactions vis-à-vis de la solitude demeurent ambivalentes, et contradictoires selon les époques et les écoles de pensée.    
" Il n'est pas bon que l'homme soit seul ", dit la Bible en exaltant en même temps la vie solitaire des ermites et des moines.
Les aspects problématiques de la solitude apparaissent dans la culture occidentale à la fin du 16e siècle. Des textes littéraires intégraient la solitude dans les images de l'enfer, de la tombe ou du désert.
 En 1667, dans son poème épique " le paradis perdu ", le grand poète anglais John Milton propose un des premiers personnages solitaires de la littérature britannique : Satan. Dans ce poème, Milton envoie Satan dans le jardin d'Éden pour le sortir de l'enfer. Milton décrit la solitude de Satan en termes de vulnérabilité : être seul, fragilise même au paradis.

 

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Au 18e siècle, le discours ne change pas. Les " solitaires " rousseauistes s'opposent aux " gens " de salons. Les romantiques louaient la solitude. Les " solos " du XXIe siècle vantent leur indépendance, et leur liberté. Les poètes romantiques louent la solitude productive et enrichissante.
Il y a la solitude du visionnaire louée par Alfred de Vigny, la solitude intimiste chère à Alfred de Musset (1810-1857) qui refuse toute poésie sociale et politique. La solitude pour lui est une partie de la nature humaine. Les hommes sont des " machines isolées ", et l'isolement des corps ne fait que matérialiser l'isolement des esprits.


La solitude représente selon le philosophe David Hume " la plus grande punition que nous pouvons subir ".
Schopenhauer dans ses " Aphorismes sur la sagesse de la vie " voit la solitude à sa façon :
" On ne peut être vraiment soi qu'en étant seul ; qui n'aime pas la solitude n'aime pas la liberté, car on n'est libre qu'étant seul. Un homme est plus isolé quand il occupe un rang plus élevé. C'est une véritable jouissance que l'isolement physique est en rapport avec l'isolement intellectuel. "
Balzac pensait, dans le lys dans la vallée (1836), que :
" La solitude morale produit les mêmes effets que la solitude terrestre ; le silence permet d'y apprécier les plus légers retentissements, et l'habitude de se réfugier en soi-même développe une sensibilité dont la délicatesse révèle les moindres nuances des affections qui nous touchent. "

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La solitude est moderne

Au 20e siècle, la culture occidentale affronte la solitude comme un problème, un inconvénient de notre mode de vie urbaine et individualiste. Selon Freud, "nous serions beaucoup plus heureux si nous abandonnions notre mode de vie et si nous retournions à des conditions primitives".
La solitude est un concept nouveau dans le monde universitaire. À partir des années 1960, l'expérience de l'isolement affectif et social apparait. Dans les années 1978, une échelle en 20 points pour mesurer ce sentiment subjectif de solitude et d'isolement social était élaborée par l'université de Californie pour évaluer l'isolement et tenter d'aider les patients.
La civilisation nous rend solitaire. Notre mode de vie repose sur la séduction, la motivation, le dynamisme, le culte du corps, la hantise du vieillissement. Un climat hédoniste de satisfaction immédiate, et de solitude individuelle.


Les définitions médicales et psychologiques n'ont pas modifié la culture. La solitude signifie différentes choses pour différentes personnes. Certaines personnes peuvent avoir des contacts sociaux fréquents et se ressentir de la solitude. D'autres n'ont aucun problème à vivre seul.  

 

Solitude ou isolement social : Danger

La solitude est une perception subjective de la réalité. La solitude se définit par la volonté ou le désir d'interaction sociale plus importante. "La solitude subie s'impose sans avoir fait l'objet d'un choix", précise Arnaud Campion. "Elle échappe à toute tentative de définition objective, contrairement à l'isolement social."
La plupart des gens ne choisissent pas la solitude prolongée, ou de longues périodes de solitude sans y être obligés. La solitude prolongée fragilise la santé mentale, augmente les troubles cognitifs.

Une personne peut être considérée comme seule dès lors qu'elle entretient un "appétit" social, un désir inassouvi de liens avec les autres. C'est une évaluation personnelle qui ne dépend pas du nombre de relations ou liens, mais de besoins. Des personnes se sentent seules et en souffrent même entourées, en raison du manque de sens ou de qualité de ces relations. À l'inverse, des personnes, objectivement isolées, peuvent ne pas sentir seules. Parfois, un seul lien, même symbolique, peut suffire.
Depuis ces dernières années, les auteurs qui décrivent la solitude à la façon de Darwin comme un système de correction et d'adaptation font leur apparition.


"La solitude est un système d'alerte", écrit Hawkley, psychologue à l'Université de Chicago. Elle pense que le sentiment de la solitude nous avertit que nous devons sortir de notre isolement et nous connecter avec d'autres humains. De son côté, Steve Cole, professeur de médecine et de psychiatrie à l'Université de Los Angeles écrit : "Le corps interprète la solitude comme une menace."
Selon les études, les cerveaux des gens solitaires sont plus sensibles aux menaces. Vingt-trois participants ont été placés dans une unité d'IRM. Ils ont observé des photos agréables et d'autres désagréables. Les cerveaux solitaires répondent moins positivement aux images agréables que les cerveaux non solitaires, et plus fortement à des images de violence et de situations sociales désagréables. La solitude piège le cerveau dans un état hyper-vigilant, incapable de se détendre. Le cerveau interprète le monde comme un endroit hostile.
Sur le plan physiologique, des études montrent que les personnes seules ont un taux plus élevé de cortisol dans le sang avec plus de risque cardiovasculaire et de stress.
Dans une méta-analyse à partir de 2010, les chercheurs ont constaté que les individus solitaires sont 26 % plus susceptibles d'avoir une mort précoce, deux fois le taux des personnes obèses par exemple. Une étude de 7.665 jumeaux néerlandais a révélé que des traits associés à la solitude sont héritables dans 50 % des cas, ce qui suggère un lien entre la génétique et la solitude.

 

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Solitude au féminin  

De nombreuses études montrent que les femmes subissent actuellement la solitude. La femme moderne est seule, et souffre d'isolement social plus que les hommes.

Dans la société occidentale, les facteurs sont nombreux : augmentation du nombre de divorces et de familles monoparentales.  
Il existe d'autres facteurs. "De manière générale, les femmes sont bien plus exposées à la solitude que les hommes", explique Monique de Kermadec psychothérapeute et auteur de "Un sentiment de solitude". Elle ajoute : " certaines femmes n'ont pas investi dans leur vie professionnelle. Seule une minorité fonctionne sur un mode 'masculin' avec un fort investissement dans leur carrière. D'autres le font en complément de revenu, et focalisent d'abord leur attention sur les enfants et le couple. Plus on néglige son enrichissement personnel, plus on reporte son temps et affection sur les enfants et le conjoint, plus on risque de se retrouver seul quand ce noyau se disloque, à cause d'une séparation ou du départ des enfants de la maison."

 

Un équilibre à trouver

En 1840, Edgar Allan Poe a décrit dans " énergie folle " un homme vieillissant qui errait dans les rues de Londres, du crépuscule jusqu'à l'aube. "Il refuse d'être seul, écrivait Poe.  " Il est l'homme de la foule. "
Il décrivait la lutte d'un homme contre son isolement. La solitude se développe autour de nous, inhibe le contact avec les autres. Notre cerveau devient prudent, en face d'un monde hostile. Nous vivons dans un état d'hyper vigilance pour éviter la supposée menace sociale. On a tendance à interpréter le monde en termes négatifs.
La solitude mal vécue nuit à nos rapports avec les autres. Elle devient l'expression d'un sentiment d'étrangeté au monde, au cœur d'une société individualiste. On n'appartient pas à ce monde, on subit le stress, l'anxiété, l'abandon, et la dépréciation.
La meilleure façon de contrer cela est de passer du temps avec les autres. Les médias sociaux nous permettent de suivre la vie et les intérêts des centaines de personnes, sans nous investir, sans liens et aussi sans bénéfices.

Paradoxe de la solitude, elle conduit à l'isolement, dépression, suicide, comme elle peut nous permettre d'être observateurs du monde social et de notre monde intérieur.