Pendant des siècles, la Russie concentra son génie créatif sur la formalisation des icônes avec, par exemple, Andreï Rublev.
Andreï Rublev : deux icônes
Avec l’avènement de Pierre le Grand, c’est l’Europe des Lumières qui influence l’empire russe. Pendant une longue période (du XVIIIe à la fin du XIXe siècle) la Russie a trouvé son identité en sein de l'Europe. Le premier choc de la «révolution» fut une sécularisation de l'art qui rompait avec le système de l'art canonique et impersonnel caractéristique du Moyen Âge.
Cette occidentalisation transplante sur le sol russe les idées de la Renaissance, en les adaptant au langage des Lumières. Les peintres russes commencent à travailler des formes artistiques qu'ils n'avaient presque jamais pratiquées auparavant: la peinture de chevalet avec sa hiérarchie des genres, la gravure, la sculpture; la notion d'ordre architectural, un nouveau type d'urbanisme, régulier, fondé sur un plan d’ensemble composé par un architecte, enfin l’art des jardins.
Parmi les genres de la peinture, celui qui connut un développement extraordinaire au XVIIIe siècle fut le portrait, succès derrière lequel on devine sept siècles de vénération des icônes. Le portrait devient, à son tour, un véritable objet de culte: le portrait du souverain en fut évidemment la première application. Depuis les immenses portraits d'apparat ou cérémoniel jusqu'aux miniatures, ces images suivaient des canons approuvés par le monarque; elles étaient copiées, par des artistes anonymes, diffusées jusque dans les provinces, offertes en cadeau. En outre, séduite par l’art occidental, la nouvelle noblesse était impatiente de se voir représentée. Cette passion la poussa à se constituer des galeries de portraits de personnes vivantes et d’ancêtres; l'échange de portraits devint, enfin, un geste d'amitié courant.
Les premiers portraits au XVIIIe siècle portent encore la marque des parsuna : nom que l'on donnait aux portraits au XVIIe siècle et qui était une déformation du mot persona. Il s'agit en premier lieu de la série de portraits connus sous le nom de «Concile très bouffon» (assemblée carnavalesque qui participait aux fêtes de Pierre le Grand). Dans ces portraits, les visages sont représentés avec beaucoup d'acuité et de ressemblance; les corps, sans volume, sont placés dans des postures conventionnelles et portent parfois des inscriptions − formule qui rappelle les portraits maniéristes et baroques peints en Pologne au XVIIe siècle (les «portraits sarmates»).
Pierre le Grand par un peintre anonyme (conservé à Amsderdam)
Les deux premiers portraitistes au sens moderne et européen du terme furent Ivan Nikitine (né vers 1680, mort après 1742) et Andreï Matveïev (1701 ou 1702−1739). Ils furent envoyés comme pensionnaires à l'étranger dès 1716.
Nikitine fit ses classes à Venise et à Florence, dont il fréquenta les Académies des beaux-arts, et revint à Saint-Pétersbourg en 1720, où il devint le peintre officiel de la cour. Les portraits qu'il exécuta après son voyage en Italie diffèrent totalement de ses œuvres antérieures, relève d'un caravagisme tardif: Nikitine s'était profondément imprégné de la tradition baroque italienne. Le portrait du Chancelier Golovkine (1720, galerie Tretiakov, Moscou) représente la nouvelle élite russe sous son aspect délibérément occidentalisé, aussi bien dans la manière de se coiffer et de porter les vêtements que dans les attitudes libres et assurées des corps.
Nikitine : Portrait de Catherine première 1717
Nikitine Portrait du baron Stroganoff 1726
Matveïev lui, fut envoyé en Hollande, pays qui représenta pendant longtemps un modèle culturel pour le tsar. C'est à Matveïev que l'on doit les premiers tableaux allégoriques et mythologiques russes (Allégorie de la peinture, 1725−1726, Musée russe; Vénus et Cupidon, 1729, Musée russe)
Andreï Matveïev : vénus et cupidon 1729
ainsi qu’un Autoportrait (1729, Musée russe), le premier en Russie, où il se représente avec sa femme.
Andreï Matveïev : autoportait avec sa femme, 1729
Des peintres étrangers jouèrent également un rôle majeur dans ces débuts du portrait: Gottfried Tannauer (1680−1737), et le Français Louis Caravaque (1684−1754).
La période qui suit l'explosion de l'époque pétrovienne, vit sur les acquis antérieurs, et on cesse d’envoyer des pensionnaires à l'étranger. Le règne d’Élisabeth, qui débute en 1741, marque un nouvel épanouissement de l’art du portrait, renoue avec l'Europe grâce à l’arrivée de nouveaux peintres qui viennent travailler à la cour: en 1743, c’est Georg Grooth, peintre allemand du style rocaille, auteur de nombreux portraits de l'impératrice.
Georg Grooth : portrait de la duchesse Yekatrina Alexeyevna, future Catherine II, 1735
Ou
Georg Grooth : Élisabeth en domino noir, galerie Tretiakov
En 1756 c’est le tour de Louis Tocqué, un des portraitistes français les plus en vue, invité pour peindre l'impératrice.
Louis Tocqué : portrait de princesse Elisabeth
Le comte Rotari, portraitiste italien, l'Italien Fontebasso et l'Allemand Prenner. Tous ces étrangers laissent des traces profondes, car leurs œuvres seront des modèles pour les jeunes artistes russes.
Au milieu du siècle, deux portraitistes, Alexis Antropov (1716−1793) et Ivan Argounov (1729−1802) vont faire école. Leurs origines et leurs carrières se diffèrent car ils représentent, pour ainsi dire, les deux pôles de la condition sociale de l'artiste à cette époque. Pourtant, tous deux ont suivi une formation similaire. Leurs portraits laissent deviner une légère influence rococo qui adoucit la pompe baroque du tableau d'apparat.
Antropov vient d'un milieu d’artisans et d’artistes. Argounov appartient à une famille de serfs du comte Cheremetiev et garde sa condition, ce qui le rend infiniment plus dépendant, mais en même temps mieux protégé des vicissitudes de sa carrière.
Pierre III, ressemble, dans son portrait peint par Antropov en 1762, à une poupée délicate, empreinte d'un curieux infantilisme et d'un raffinement spécifique du milieu du XVIIIe siècle.
Alexis Antropov : portrait de Pierre III 1762
Argounov appartient à une famille de serfs du comte Cheremetiev et garde sa condition, ce qui le rend protégé des vicissitudes de sa carrière.
Argounov trouve pour ses portraits des modèles dans la peinture française – Hyacinthe Rigaud ou Jean-Marc Nattier − qu'il a pu connaître grâce aux gravures que possédait son maître, le comte Cheremetiev.
Argunov : portrait du comte Cheremetiev
Il peint pour ce dernier toute une série de portraits de famille, aussi bien des personnes vivantes que des ancêtres, ainsi que la petite cour de proches qui habitaient les nombreuses propriétés de Cheremetiev à Moscou et dans ses domaines: par exemple Khripounov et sa femme (1757, musée d’Ostankino); Anne, une fillette kalmyk, pupille de la comtesse (peinte après la mort de celle-ci afin d'immortaliser ses actions charitables, 1767, musée de Kouskovo); enfin le Portrait d'une paysanne inconnue, en costume russe traditionnel (1785, galerie Tretiakov), et qui n'est autre que la nourrice de la famille Cheremetiev.
Argunov : portrait de la pupille de la comtesse Cheremetiev
Au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle, les portraitistes étrangers continuent de venir en Russie. Mais les artistes russes occupent à présent une place importante, trois d'entre eux se distinguent en particulier: Fedor Rokotov (1735/1736−1808), Dmitri Levitski (1735−1822) son œuvre est une variante picturale de la littérature sentimentale russe; et Vladimir Borovikovski (1757−1825) qui tranche radicalement avec le portrait traditionnel, adopte le style néo-classique.
Comme ceux des générations précédentes, ils se forment exclusivement en Russie, auprès d'artistes étrangers ou autochtones, mais désormais l'Académie des beaux-arts joue un rôle croissant dans leur instruction.
Fedor Rokotov
Rokotov, un serf affranchi, fait partie de la première promotion reçue à l'Académie des beaux-arts. Artiste déjà accompli, il reçut au bout de trois ans une commande très prestigieuse: le portrait d'apparat de Catherine II (1763, galerie Tretiakov).
Fedor Rokotov : portrait de Catherine II, 1763,
Malgré ces débuts brillants à Saint-Pétersbourg et son titre d'académicien, il décide de s'installer à Moscou, où il peint des portraits de l'élite cultivée. Son style vient du rococo et se caractérise par des touches subtiles, presque immatérielles, des couleurs tout en nuances; il donne un grand raffinement, du mystère, voire une certaine ambiguïté à ses modèles.
Après avoir travaillé à Saint-André de Kiev avec son maître Antropov, il l’accompagna à Saint-Pétersbourg. Le contact avec les œuvres de louis Tocqué et d’autres fit de lui un bon portraitiste. Levitski fut reçu à l'Académie avec un portrait d'apparat à la manière de Tocqué, l'Architecte Kokorinov (1770, Saint-Pétersbourg, Musée russe).
Dmitri Levitski ; portrait de Kokorinov 1770
Il exécuta des portraits plus naturalistes comme celui de Diderot
Dmitri Levitski ; portrait de Diderot 1773
Borovikovsky a vécu en Ukraine jusqu'à l'âge de 31 ans, a appris le métier de son père, peintre d’icones. Vladimir Borovikovsky est devenu un maître à Saint-Pétersbourg. En 1787, Borovikovsky fut chargé de décorer un palais temporaire pour Catherine II (la Grande). Elle était contente de son travail et elle l'envoya à Saint-Pétersbourg. Le concept de peinture de Borovikovski a mûri sous l’influence d’amis littéraires, en supposant le sentiment moral comme base de l'image (conformément aux principes du mouvement littéraire du sentimentalisme).
Le portrait de Catherine par Borovikovski, peint en 1794 selon les principes de ses amis littéraires et présenté à l'impératrice, fut la première émergence du sentimentalisme en peinture. Le tableau montre l'impératrice se promenant seule dans le parc impérial. Pour la première fois, l'impératrice, qui est vêtue de vêtements de tous les jours, marche avec une canne en compagnie de son chien préféré, se caractérise non pas par ses insignes mais par un paysage paisible et émouvant qui est en harmonie avec sa silhouette.
Borovikovski: portrait de Catherine II 1794
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