La culture occidentale traverse le temps en changeant d’habits et d’inspiration. Elle semble rechercher la nouveauté et la découverte sans hésiter à s’imprégner profondément d’autres cultures.
Dans la préface de son livre Les Orientales, 1829, Hugo écrit «Au siècle de Louis XIV, on était helléniste, maintenant, on est orientaliste. Il y a un pas de fait. Jamais tant d’intelligences n’ont fouillé à la fois, ce grand abîme de l’Asie. »
Après l’orient, et l’orientalisme dans l’art et la littérature, la découverte de la culture japonaise allait influencer l’art au début du 20ème siècle, pour laisser la place à la culture africaine plus tard.
Question de mode ? Question d’époque? Sans doute.
Cependant l’orientalisme a pris une place à part par l’étendue de ses influences, et par les implications de cette influence culturelle à moyen et long terme.
L’orientalisme est un terme répandu à partir de 1830, et qui désigne un climat, un ensemble de symboles, qui apparaît au XVIIe siècle et se développe dans la peinture et dans la littérature française aux XVIIIe et XIXe siècles.
Il commence avec la mode des turqueries, et connaît au XIXe siècle une évolution importante. Hugo note en 1829, dans la préface des Orientales : l’orient est devenu une préoccupation générale. Comme un parfum ou une épice, l’orientalisme s’exprime à travers l’art, la littérature, la musique, l’architecture que la photographie. N’importe quelle tendance peut se colorer d’une dose d’orientalisme, Le romantisme, le symbolisme, de Delacroix à Benjamin Constant, de Matisse à Gautier, de Pierre Loti à Hugo.
Une part importante de la production artistique française principalement au XIXe siècle, subit l’influence orientale : bains turcs, sensualité des femmes, harem, lumière de la Méditerranée, style de vie et approche différente du monde.
L’orientalisme est un Orient vu par son opposé l’Occident, un regard occidental qui se porte sur les paysages et les êtres réels ou imaginés d’Orient, avec de nombreux préjugés culturels et historiques. C’est un compromis entre fiction et réalité, qui ne cherche pas toujours à comprendre ou à analyser l’orient mais offre au spectateur et au lecteur des représentations parfois fantaisistes d’un Orient tout droit sorti des clichés véhiculés par les contes des Mille et Une Nuits, les palais et les harems, pour devenir un nouveau cliché portant certains fantasmes occidentaux en matière de Style de vie, de sexualité, et de société.
En 1798, l’expédition de Bonaparte en Égypte ouvre la voie et intrigue le public par les notes et les dessins rapportés, puis par le déchiffrement des hiéroglyphes par Champollion. Un engouement pour l’égyptologie est né, et continue encore. L’expédition de Napoléon sera l’occasion de tableaux et de récits entre imagination et propagande.
Dès 1830, dans les milieux intellectuels européens, le voyage en Orient devient un rite de passage par lequel on accède à une double vérité : celle de la connaissance et celle du désir.
A partir de 1830, la prise d’Alger par l’armée de Charles X associe la colonisation à l’orientalisme.
L’Empire ottoman est en déclin. Ses élites cherchent la modernisation de leur pays en encourageant les investissements économiques, l’enseignement, les échanges culturels. L’ouverture du canal de Suez, inauguré en 1869, est un moment de ce lien complexe entre occident et orient.
L’Orient est une projection fantasmatique forgée par la mentalité collective occidentale, sans lien avec la géographie ou le réel, une vision de l’europe occidental de «l'Est», et pas nécessairement celle des habitants de ces régions. Le label «Orient» ne capte pas l'étendue du territoire auquel il faisait référence à l'origine: le Moyen-Orient, l'Afrique du Nord et l'Asie.
Ce sont à la fois des régions distinctes, contrastées et pourtant interconnectées. Les érudits associent souvent des exemples visuels de l'orientalisme aux côtés de la littérature et de la musique romantiques du début du XIXe siècle, une période de la montée de l'impérialisme et du tourisme alors que les artistes occidentaux commencent à explorer le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord et l’Asie.
A cette époque, la France bâtissait son empire, l’Angleterre aussi. L’orientalisme anglais identifie l’orient par ses colonies comme l’Egypte, l’inde, l’asie de sud et la chine. Conrad, Kipling écrivaient des romans qui se déroulaient dans cet orient lointain, où les personnages cherchaient des réponses et des découvertes sur la vie, l’immortalité et les liens avec la nature.
Dans ses analyses Orientalisme publiées en 1978, Edward Saïd soutient l’idée qu’une idéologie politique européenne dominante a créé la notion d'Orient afin de l'assujettir et de la contrôler. Saïd a expliqué que le concept incarne des distinctions entre Est (l'Orient) et ouest « Occident » afin que l’ « Ouest » puisse contrôler l "Est", en jouant sur les clichés et la généralisation pour dénaturer et rabaisser l'Afrique du Nord, le Moyen-Orient et l'Asie.
Si le texte d’Edward Saïd demeure incontournable et pionnier en matière d’analyses de ce phénomène, il formule des conclusions brutales qui manquent parfois de nuances.
Comme l'a expliqué l'historienne de l'art, Linda Nochlin dans son essai, «The Imaginary Orient», en 1983, l'histoire de l'art permet d'évaluer les structures de pouvoir et le fondement cultuel derrière toute œuvre d'art. Les historiens de l'art se sont interrogés sur la dynamique sous-jacente du pouvoir en jeu dans les représentations artistiques de l '«Orient ». Ces chercheurs ont remis en question la façon dont «l'Ouest» représentent l '«Est», et comment les artistes représentent les Orientaux comme des sujets passifs, paresseux ou licencieux.
Les peintures orientalistes opèrent sur deux registres. Elles dépeignent une culture «exotique» et racialisée, féminisée et souvent sexualisée d'un pays lointain. Deuxièmement, elles prétendent être un document, un aperçu authentique d'un lieu et de ses habitants, en ajoutant une vision personnelle.
Eugène Delacroix : Les femmes d'Alger dans leur appartement 1834, Musée du Louvre
Ce tableau représente trois femmes parées de vêtements vibrants et exotiques et une femme africaine vêtue de vêtements non luxueux, soulignant son rôle de servante. Entourées d'objets uniques (à l'époque) dont un narguilé et de tissus décoratifs, les trois femmes assises sur des tapis sont baignées d’une teinte dorée. Une peinture d'un harem, Delacroix a pu voyager dans des endroits «exotiques» où il a pu capturer cette scène sur la toile, montrant non pas la réalité mais une vision européenne de l'Orient au 19ème siècle, un lieu avant tout coloré, et érotique.
Jean-Léon Gérôme, Le charmeur de serpents , v. 1879, huile sur toile (Sterling Francine Clark Art Institute, Williamstown, Massachusetts)
Dans son tableau le charmeur de serpents, dans un style détaillé et naturaliste, Gérôme construit une couche de «vérité» exotique en incluant à l'arrière-plan des carreaux illisibles en faux arabe.
En 1879, l'artiste français Jean-Léon Gérôme dépeint un jeune garçon nu tenant un serpent tandis qu'un homme plus âgé joue de la flûte - charmant à la fois le serpent et leur public. Gérôme construit une scène à partir de son imagination, mais il utilise un style raffiné et naturaliste pour suggérer qu'il a lui-même observé la scène. Ce faisant, Gérôme suggère que cette nudité juvénile était un événement banal et public en Orient.
Jean-Léon Gérôme, Bain turc ou bain maure, 1870, Boston, museum of FineArts
Les images de Gérôme semblent créer l’Orient attendu par ses contemporains, en jouant avec le fan¬tasme, cherchant à rendre l’érotisme de l’exotique. Peu de ses oeuvres sont le fruit d’une observation directe, ses toiles ne résistent pas à une analyse du contexte histo¬rique, géographique ou ethnographique.
Linda Nochlin pense que de nombreuses peintures de Gérôme cherchent à convaincre le spectateur en imitant soigneusement une «réalité orientale préexistante», profitant de l’ignorance du public.
Ingres peint l’odalisque et le bain turc sans mettre un pied en orient, offrant à ses tableaux un exotisme, et un nouvel érotisme.
Certains auteurs pensent que la création d'un "Orient" est une suite de l'impérialisme, du capitalisme industriel, de la consommation de masse, du tourisme et du colonialisme des colons au XIXe siècle. En Europe, les tendances d'appropriation culturelle incluaient un «goût» consumériste pour les matériaux et les objets, comme la porcelaine, les textiles, la mode et les tapis, du Moyen-Orient et d'Asie. Le Japonisme fut une tendance des arts décoratifs comme la Chinoiserie (d'inspiration chinoise) et la Turquerie (d'inspiration turque).
La capacité des Européens à acheter et à posséder ces matériaux a dans une certaine mesure, confirmé l'influence impériale dans ces domaines.
L'orientalisme construit des mythologies et des stéréotypes culturels, parfois liés aux idéologies géopolitiques.
D’autre part, l’orientalisme est un phénomène complexe associant les préjugés aux ambitions impériales, le colonialisme au capitalisme. Comment juger l’expédition de Bonaparte en Egypte, les travaux de ses savants sur l’archéologie, et la naissance de l’égyptologie ?? Le projet du canal de Suez avec son cortège d’orientalisme est à la fois un projet capitaliste et impérialiste.
Henriette Browne, Visite à l’intérieur du Harem, Constantinople , 1860, huile sur toile, collection privée
Cette vision exotique et érotique n’était pas la seule. Des artistes comme Henriette Browne et Osman Hamdi Bey ont créé des œuvres qui fournissent un contre-récit à l'image de "l'Orient" passif, licencieux ou décrépit. Le peintre français Henriette Browne représente des femmes entièrement habillées, une scène du harem où la fonction principale n’était pas la recherche du désir sexuel mais les soins des enfants, et les taches domestiques.
Cette vague ne durera pas longtemps, l’arrivée de la photographie et des voyages allaient changer l’orientalisme, l’orient devient plus réel et aussi plus complexe.
Il existe d’autres visions de l’orientalisme, plus humanistes qui voyaient dans l’orient, une civilisation et une culture, comment oublier l’admiration de Goethe pour cette civilisation et ses commentaires si éloignés de l’impérialisme, et des préjugés.
« Mes voyages au Maroc m’aidèrent à accomplir cette transition, à reprendre contact avec la nature mieux que ne le permettait l’application d’une théorie vivante mais quelque peu limitée comme l’était le fauvisme ». Henri Matisse, Écrits et propos sur l’art.
Après un séjour à Tanger, Matisse a découvert l’art islamique et a développé un goût pour cet art. Au mois d’octobre 1910, il se rend, à Munich, où il visite longuement la première exposition internationale d’art musulman jamais organisée.
Matisse Zorah sur la terrasse, hiver 1912-13, 115x80, Moscou, musée Pouchkine
La lumière qui envahit l’espace pictural, est symbolisée par le triangle supérieur. A la fin de son premier séjour, Matisse rencontre Zorah, une jeune modèle.
Presque en lévitation sur le tapis bleu, le visage entouré d’une auréole de blanc, elle nous dévisage, et flotte dans un espace géométrique abstrait, une terrasse inondée de soleil. Robe bleue ornée d’or, à sa gauche un aquarium en boule où nagent quelques poissons rouges et à droites des sandales jaune citron à dessin bleu.
Dès lors, la peinture européenne tourna définitivement la page de l’orientalisme.
Références:
Zeynep Çelik, “Colonialism, Orientalism, and the Canon” The Art Bulletin 78, no. 2 (June 1996): pp. 202-205.
Robert Irwin, Dangerous Knowledge: Orientalism and its Discontents (Woodstock, NY: Overlook Press, 2006).
Linda Nochlin, “The Imaginary Orient,” A. America, IXXI/5 (1983): pp. 118–31.
Edward Saïd, Orientalism (New York: Vintage Books, 1978).
Nicholas Tromans, ed. The Lure of the East: British Orientalist Painting (London: Tate, 2008).
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