La sexualité est un processus complexe. Les études de la sexualité sont multidisciplinaires associant médecine, biologie, sociologie, et psychologie.
Les théories disponibles concernant la sexualité sont les fruits de cette approche multi disciplinaire.
Théorie du rôle : Cette théorie soutient qu'une grande partie des gestes observés dans le comportement social est, en vérité, des rôles joués par les personnes à la façon d'acteurs jouant leurs rôles.
Théorie évolutionniste : héritage de Darwin qui pensait que l'être humain est le résultat d'une évolution lente et progressive transformant le comportement animal en comportement plus raisonné, et plus humain.
Théorie d'interaction symbolique : Le principe de cette théorie est que la nature humaine et l'ordre social sont des produits de communication symbolique entre des personnes.
Sexualité biologique : La sexualité humaine est le produit des interactions biologiques des hormones et neuro transmetteurs qui agissent sur l’organisme et ses organes.
Théorie des normes sociales : Cette théorie se base sur la conviction que la vie en société est une interaction gouvernée par les normes sociales régissant la nature et le contenu des relations admises par la société.
Théorie psychanalytique : A présent, cette théorie freudienne fait partie de l'histoire et de la culture populaire, rarement utilisée dans sa forme originale.
Sexualité comme échange social : Cette théorie de la sexualité formulée dans les années 80 utilise certains concepts de psychologie pour tenter d'expliquer les relations.
De nombreux auteurs féministes, en Amérique du nord et accessoirement en Europe pensent que les femmes sont soumises en matière de sexualité, par une soumission morale et que toute discussion sur les pratiques sexuelles féminines est inacceptable.
Nous devons à la contribution féminine dans notre culture (littérature, cinéma, peinture) l’éclairage de certaines zones de la psychologie et de la sexologie féminine, quand une femme se dit incapable de comprendre ce qu’il lui arrive après un baiser ou une caresse, incapable de savoir ce qu’elle peut faire pendant la rencontre sexuelle pour répondre à ses besoins et aux besoins de son partenaire.
Pendant de nombreuses années, on pensait qu’il s’agissait d’une pudeur, de pression sociale, mais les féministes confirment qu’il s’agit d’une ignorance. De nombreuses femmes découvrent leur sexualité par l’apprentissage et non pas par l’information ou l’instruction.
Ces auteurs féministes pensent que les hommes continuent de dominer les conversations sur le plaisir sexuel féminin, que la société ignore l'importance des expériences personnelles du plaisir sexuel féminin, ce qui rend difficile toute discussion sur le plaisir sexuel féminin. Cette situation délégitime le plaisir sexuel féminin, augmente l’ignorance et rend l’appétit sexuel féminin suspect selon ces auteurs.
Dans notre société, les espaces acceptables pour discuter la sexualité, et plus particulièrement la sexualité féminine sont les espaces scientifiques, la recherche universitaire et médicale. Les réseaux sociaux ouvrent des espaces supplémentaires.
Nancy Tuana avoue que le discours culturel et médical n’a pas attendu les féministes pour tenter d’expliquer et de théoriser le plaisir sexuel féminin.
"Je ne prétends pas qu'il n'y avait pas de discours sur le clitoris comme source de plaisir sexuel dans la littérature médicale et populaire avant que les féministes. On peut trouver des dizaines, voire des centaines, de récits d'orgasmes féminins résultant de cet organe siège féminin du plaisir "
(Tuana 2004, 211).
D’autres féministes jugent que que la politique de genre influence la sexualité, ce qui a pour effet d'atténuer le plaisir sexuel des femmes en favorisant le rôle social de la femme au détriment de son bien être personnel ou sexuel et en le plaçant dans une confrontation hostile avec les hommes.
Les silences et les distorsions qui entourent le plaisir sexuel féminin font que les jeunes femmes ignorent les possibilités de plaisir offertes par une variété d'expériences sexuelles qui vont au-delà de la conception hégémonique du sexe.
Selon le même point de vue, dans les rencontres sexuelles, on accorde au plaisir sexuel féminin moins de valeur que le plaisir sexuel masculin, en raison de forces historiques, politiques et sociales ou simplement en raison des différences inhérentes aux femmes et aux hommes.
Le discours féministe sur la sexualité introduit le terme « appétits sexuels » soulignant que ces appétits sexuels des femmes semblent être différents de ceux des hommes et ces appétits sont incompris, non reconnus ou réduits au silence.
Le terme "appétit sexuel", est différent du désir sexuel utilisé dans les théories disponibles de la sexualité, car il englobe les goûts, les préférences et les envies qui peuvent être satisfaites ou non alors que le désir sexuel est un ensemble plus global. Ce terme correspond à l'approche de Michel Foucault, qui explique que les sujets contrôlent et régulent leurs appétits sexuels par une modération (Foucault 1990) imposée par la moralité, ou par des conceptions hégémoniques de la pratique sexuelle qui peuvent empêcher la satisfaction d'un appétit particulier.
Comme les appétits sexuels des femmes sont moins discutés, ils peuvent rester insatisfaits, cette absence de discours est considérée comme une construction active de l'ignorance (Tuana 2004).
Pour les adeptes du genre, sexualité et genre vont de pair ; tous deux sont des créatures de la culture et de la société, et tous deux jouent un rôle central dans le maintien des relations de pouvoir car les éléments qui ont un impact sur les relations entre les sexes - tels que la classe, l'âge, la religion, la race, l'ethnicité, la culture, la localité et le handicap - influencent également la vie sexuelle des hommes et des femmes. Nous sommes dans l’interactionnisme.
La deuxième vague du féminisme s’est concentrée sur les luttes des femmes dans leurs relations avec les hommes. De nombreuses féministes, auparavant associées à la gauche, ont combiné la critique du mariage et de la monogamie en mettant l’accent sur le plaisir et la liberté sexuelle avec une critique féministe des aspects coercitifs et prédateurs de la sexualité masculine, et de la priorité donnée au plaisir masculin par le biais de la pénétration.
Les féministes lesbiennes ont exhorté les féministes hétérosexuelles à s'orienter vers une critique plus large de l'hétérosexualité. L'idée que les féministes hétérosexuelles étaient des « traîtres à la cause féministe » circulait dès le début des années 1970.
L'essai d'Adrienne Rich intitulé "Compulsory Heterosexuality and Lesbian Existence" (Hétérosexualité obligatoire et existence lesbienne) fait valoir que les féministes hétérosexuelles devaient tenir davantage compte des ressources théoriques développées par les féministes lesbiennes afin d'élaborer un compte rendu plus adéquat des relations sociales entre les sexes.
Selon elle :
« Il semble plus probable que les hommes craignent réellement non pas que les appétits sexuels des femmes leur soient imposés ou que les femmes veuillent les étouffer et les dévorer, mais que les femmes puissent leur être totalement indifférentes, que les hommes puissent avoir un accès sexuel et émotionnel - et donc économique - aux femmes uniquement aux conditions des femmes, sinon ils sont laissés à la périphérie de la matrice (Rich 1986 : 43).
Les méthodes de la recherche féministe cherchent à entendre un éventail de voix, produites par l'intersectionnalité d'identités, la femme peut être hétéro, lesbienne, noire, ou blanche, bi sexuelle ou mono sexuelle, etc.
L'épistémologie, en termes simples, est l'étude de la façon dont nous savons ce que nous savons. Domaine philosophique, elle analyse les méthodologies, les questions d'objectivité, l'utilisation du raisonnement et les questions connexes pour montrer comment la connaissance s’est construite.
La recherche féministe a une orientation épistémologique et méthodologique qui " reconnaît l'importance des expériences vécues par les femmes dans le but de mettre au jour des connaissances subjuguées " (Hesse-Biber 2007, 3).
Lykes et Coquillon (2007) par exemple soutiennent l'importance de la recherche participative en tant que méthodologie féministe. Ce type de recherche met l'accent sur la valeur des participants qui jouent un rôle dans la conception et l'exécution de la recherche, minimisant l’hiérarchie entre le chercheur et la personne recherchée.
DeVault et Gross (2007) expliquent comment les entretiens féministes peuvent être pratiqués efficacement afin de produire des résultats de recherche efficaces.
L'Encyclopédie de philosophie de Stanford décrit l'épistémologie féministe comme un domaine qui analyse "la manière dont les normes et les pratiques de production de connaissances affectent la vie des femmes et sont impliquées dans les systèmes d'oppression" (Grasswick 2006).
Alessandra Tanesini (1999) s'engage dans le récit épistémologique du philosophe allemand Martin Heidegger, montrant comment la question épistémologique féministe de savoir comment la connaissance pratique, ou la connaissance qui se traduit par des comportements et des actions, représente en soi des modes de connaissance.
Selon elle, la connaissance des femmes est souvent associée à la connaissance pratique de second ordre, parce qu'elle est l'application de la connaissance plutôt que la compréhension.
Les féministes insistent sur le fait que les manières féminines de comprendre la sexualité sont différentes de celles des hommes, en raison de la manière dont cette connaissance est construite, mais aussi par rapport aux idées de la théorie de female gaze « théorie de point de vue. »
La théorie du point de vue prend ses origines dans les traditions marxistes, et soutient que la compréhension du monde par les femmes diffère de celle des hommes dans la mesure où leur situation sociale varie en fonction du sexe.
Ici, le genre et le sexe doivent être pris en compte car, comme le souligne l'épistémologue Nancy Harstock (1983), car le corps vit l'expérience sociale. Les codes sociaux du sexe sont prescrits sur les corps, ce qui affecte la connaissance sexuelle.
Les féministes pensent que les hommes sont positionnés comme sujets sexuels, et les femmes comme objet sexuel. En d'autres termes, l'expérience de l'homme est souvent le moteur des rencontres sexuelles, pour lesquelles la femme et son corps deviennent des instruments. Cela confère des privilèges aux hommes dans une relation hétérosexuelle.
La théorie féministe du point de vue décrit que la perspective phallocentrique de l'expérience sexuelle limiterait les possibilités d'appétits sexuels féminins et participe à la construction de l'ignorance des plaisirs sexuels des femmes. Car le plaisir sexuel et le sexe lui-même sont décrits et enseignés du point de vue de l'homme.
Toutes les femmes ne sont pas identiques, leurs points de vue ne le sont pas non plus. La vie des femmes est influencée par la race, la classe sociale, la sexualité, l'ethnicité et l'expression du genre, pour ne citer que les vecteurs les plus significatifs. Les théories féministes supposent que les expériences corporelles du plaisir, sont semblables.
La nature interdisciplinaire des études sur le sexe et la sexualité étend la discussion à une myriade de domaines académiques et scientifiques. À différentes époques, différents climats politiques et historiques ont affecté la compréhension du sexe, et plus particulièrement de la sexualité et du plaisir féminins.
L'idée de l'essentialisme sexuel pense que la sexualité existe avant les influences historiques et sociales en raison de la nature, des hormones et de la psyché de chaque individu (Rubin 1984,149). Cette donnée est un problème profond dans l’approche féministe de la sexualité.
Cette idée dite de gauche popularisée par Foucault n’a pas fini d’être critiquée par ses adversaires : conservateurs, religieux, et rationalistes. L’affaiblissement des idées de gauche et l’érosion de l’adhésion au libéralisme sont les alliés actuels de l’essentialisme.
Les féminités avouent qu’il est futile de soutenir que la sexualité n'a pas de composante biologique, en raison de la reproduction et des caractéristiques humaines innées, mais se réfèrent à arguments de Michel Foucault qui analysent les relations de pouvoir. Foucault montre que les personnes au pouvoir utilisaient leur autorité pour découvrir, contrôler et réglementer le comportement sexuel et même le plaisir, en contrôlant le moment où les discussions pouvaient avoir lieu et les connaissances disponibles. Foucault soutient que cette régulation exige du sujet sexuel qu'il contrôle sa sexualité sous le couvert de la moralité.
La discipline universitaire émergente de la sexologie a commencé à interroger les hommes et les femmes sur leurs comportements sexuels et leurs motivations à s'engager dans une activité sexuelle. Par exemple, les rapports sur le comportement sexuel des hommes et des femmes publiés au Etats unis au cours des cent dernières années comprennent le rapport Kinsey (1954), Human Sexual Response de Master et Johnson (1966), Rapport Hite (1974) The Social Organization of Sexuality (Michaels, Chicago, 1994). Ces rapports d’une valeur scientifique variable témoignent de la pratique et de la connaissance de la sexualité et du plaisir sexuel, tant chez les hommes que chez les femmes, mais ne traitent pas les origines « épistémologiques » de ces comportements.
La révolution sexuelle a été fondée sur la liberté d'expression de la sexualité, mais une grande partie de son influence a porté sur la santé sexuelle. L'accent mis sur la santé sexuelle permet d'enseigner, de créer et de diffuser des connaissances sur le corps sans analyser les facteurs sociaux en jeu.
Les analyses des approches féministes de la fin du 20e siècle sur ce sujet décrivent deux "camps" qui semblent avoir des visions opposées.
Ces camps sont désignés comme le féminisme radical et le féminisme libertaire ou égalitaire.
Ann Ferguson (1984) expose les lignes du débat. Les féministes radicales privilégient l'intimité égalitaire par l'expression d'un plaisir mutuel lors d'une rencontre sexuelle, tandis que les féministes égalitaires valorisent le plaisir libre sans contrainte morale.
Question : En tant que féministes, comment devons nous reprendre le contrôle de la sexualité féminine.
Réponse féminisme égalitaire (libérale) : revendiquer le droit à faire et à pratiquer tout ce qui peut nous apporter la satisfaction sans contrainte
Réponse féminisme radical : développer nos propres priorités sexuelles, qui diffèrent de celles des hommes : plus d’intimité et moins pour la performance.
Question : La relation sexuelle idéale se caractérise par :
Réponse féminisme égalitaire (libérale) : partenaires égaux et consentants, qui négocient pour maximiser le plaisir et la satisfaction sexuelle de l'autre par tous les moyens de leur choix. Primauté du plaisir.
Réponse féminisme radical : partenaires consentants, égaux, qui s'impliquent émotionnellement et refusent les stéréotypes ne participent pas à des rôles polarisés.
Alors que les féministes égalitaires cherchent à régler le débat sur le sexe et le pouvoir en laissant la liberté à chacun, les féministes radicales affirment que le patriarcat doit être éliminé et que les besoins des femmes, qui sont différents de ceux des hommes, doivent être reconnus.
Les égalitaires ne reconnaissent pas lien entre le sexe et patriarcat, tandis que les féministes radicales ne reconnaissent pas la légitimité de quiconque trouve du plaisir dans les inégalités de pouvoir et de genre.
Linda LeMoncheck (philosophe féministe) est favorable à un dépassement du clivage radical et libertaire sur la sexualité féminine et particulièrement sur le désir et le plaisir sexuels féminins et pense qu’il faut agir, défendre et essayer de transformer les institutions pour laisser la place à l'expérience individuelle de chaque femme en matière de sexualité, d'appétits sexuels et de plaisir sexuel.
Une approche optimale pour comprendre la sexualité doit reconnaître la complexité de la construction historique et contemporaine de la sexualité féminine, ainsi que leurs effets sur les expériences individuelles des femmes.
L'objectif final n'est pas de développer une nouvelle politique de la sexualité, ni de construire des normes, ni de définir la sexualité féminine, mais d'accepter que les femmes ont des préférences sexuelles individuelles qui ne sont pas seulement des goûts personnels, mais qui sont aussi enracinées dans des lieux sociaux où les forces politiques, y compris les forces patriarcales, influencent la construction de leur sexualité.
Insister sur l’importance de l’expérience individuelle permet à cette approche de donner place à l’individualisme, aux minorités sexuelles et à la différence, mais une étude finit toujours par étudier la tendance majoritaire.
La société actuelle offre une grande place à la parole féminine sur la sexualité dans les romans, l’autofiction, les blogs, et même le cinéma.
L’approche féministe actuelle présente essentiellement en Amérique du nord souffre de son intérêt exclusif pour le féminin. La question sur la sexualité comme un phénomène biologique ou culturelle n’est pas encore tranchée.
Cependant, cette approche introduit des concepts utiles et soulève des questions rarement traitées par les autres approches.
Références
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LeMoncheck, Linda. Loose Women, Lecherous Men: A Feminist Philosophy of Sex. New
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Tuana, Nancy. "Coming To Understand: Orgasm And The Epistemology Of Ignorance." Hypatia 19.1 (2004): 194-232. OmniFile Full Text Mega (H.W. Wilson). Web. 19 Sept. 2012.
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