Jean-Honoré Fragonard est un maître du rococo. Le style rococo répandu au 18e siècle peut se résumer ainsi : dessiner le sérieux avec légèreté. Les œuvres de ce peintre se distinguent par leur apparente simplicité, leur exubérance, leur hédonisme, dans une maîtrise remarquable d’agréables coups de pinceau fluides et de couleurs brillantes.
La vie de Fragonard est simple et discrète, entièrement consacrée à l’art, un personnage solitaire, une liberté de style, de contenu, un amour de la poésie et des couleurs dans la lignée des grands coloristes du XVIIIe siècle.
Le musée de Louvre expose une belle collection de Fragonard, dont des tableaux importants comme les baigneuses ou le verrou.

Jean-honoré Fragonard, Les Baigneuses, 1765, Musée du Louvre, Paris.
Mais parmi les 550 peintures et les milliers de dessins, on retrouve d’importants tableaux de Fragonard dans les musées étrangers, et dans les collections privées comme la bascule à Madrid ou le tableau de la balançoire dans la collection Wallace Londres.
La parenté entre le maître et l’élève est présente dans le style, les couleurs, et le choix des sujets.
À l'âge de dix-huit ans, Fragonard fait un stage à Paris, il a commencé chez un maître : Chardin pour apprendre le dessin et acquérir de l'expérience. Six mois après, Fragonard étudie chez Boucher. Il garde de Chardin la maitrise de la ligne, et acquiert de Boucher, le style rococo, et l’amour des couleurs. Cependant, le contenu de ses tableaux est plus complexe et plus riche que certains tableaux de Boucher.

Fragonard — La Lettre d'amour 1775. Métropolitain Muséum of art, à New York.
Fragonard a obtenu la bourse du Prix de Rome, décernée par l'Académie française, en soumettant son tableau Jéroboam sacrifiant au veau d'or (1752). Fragonard est parti étudier à l'Académie française de Rome. Dans ce tableau, on peut retrouver les influences de la peinture italienne, comme dans d’autres tableaux.

Fragonard, Jéroboam sacrifiant le veau d'or, 1752, École nationale supérieure Paris.

Fragonard, jeune fille lisant 1770, National Gallery of art, Washington
Dans ce tableau, c’est un autre Fragonard. Ni érotisme, ni rococo, ni jardins, mais une jeune fille qui lit, dessinée sobrement, les lignes austères de Chardin, le coup de pinceau tendre et gracieux de Boucher, et les couleurs de Fragonard.
Fragonard épouse Marie-Anne Gérard en 1769. Ils ont eu un fils, Alexandre-Évariste Fragonard, et une fille, Rosalie son modèle. Elle est représentée dans des œuvres telles que la jeune fille lisant 1770 et dans la jeune femme debout 1775.

Fragonard : les progrès de l'amour dans le cœur d'une jeune fille, 1771, Collection Frick
La Révolution française a tout changé pour le peintre. Changement de régime, disparition de la noblesse, mécènes guillotinés ou exilés, il quitte Paris pour renter à Grasse chez un cousin en emportant avec lui son tableau le progrès de l'amour dans le cœur d'une jeune fille, et une série de quatre pièces pour la maîtresse de Louis XV, Madame du Barry.
La révolution ne modifie pas le régime seulement, mais le goût du public aussi. Le rococo disparaît pour laisser place, quelques années plus tard au néoréalisme porté par David.
Il est injuste de penser que Fragonard était un libertin qui cherchait à vendre un art simple et érotique. Ses tableaux au-delà d’une remarquable maîtrise technique relatent les idées de l’époque sur les relations entre les hommes et les femmes, les jeux de séduction et le sentiment amoureux.

Fragonard, la balançoire, 1767, Wallace Collection, Londres
Intitulée à l'origine Les Hasards heureux de l'escarpolette, cette peinture est commandée par le baron Louis-Guillaume Baillet de Saint-Julien en 1767.
L'utilisation intentionnelle de la couleur par Fragonard attire d'abord l'attention du spectateur sur la femme. Mais en regardant de plus près, toute la scène devient claire : la maîtresse au milieu, l'amant à gauche et le mari poussant la balançoire. Ce tableau est toujours considéré comme un chef-d'œuvre de l'époque rococo.
Par des images légères, l'érotisme de l'époque est imprégné d'une sensualité qui nous rappelle Watteau sans la nostalgie pour un âge d'or perdu. Il est admiré pour sa technique et aussi pour la poésie de ses tableaux, où de nombreux personnages s’amusent et racontent une histoire.
Il dessine les jeux de la séduction, consensuelle, mutuelle, sans honte ni culpabilité, dans une époque d’hédonisme et d’individualité naissante. Dans ses tableaux, la séduction est un jeu dont les règles sont claires : consentement mutuel, règles strictes, scénario sans tromperie, et la capacité de chaque partenaire de cesser le jeu quand il le désire. La femme est une personne entière, partenaire du jeu amoureux, rarement nue. La mise en scène est théâtrale, les gestes et les expressions permettent de deviner la communication non verbale entre les amoureux. En regardant les tableaux de Fragonard, nous constatons le caractère individualiste des personnages qui cherchent à profiter du moment présent dans une tendance hédoniste qui trouvera son apogée à la révolution.
"Le baiser volé" de Fragonard est une variation d'histoire d'amour. La fille a rapidement couru hors de la pièce, pour prendre son écharpe et au même moment, elle était attirée dans les bras de son amant. Le visage de la femme traduit la confusion, elle est prise au dépourvu. Cette confusion, le sentiment de la surprise, de cette hésitation, Fragonard parvient à capturer ces éléments à la perfection.
"À la fin des années 1780, comme s'il se retournait vers le passé, Fragonard crée ce chef-d'œuvre, de dessin, de composition, et de beauté.
L'utilisation du décor par Fragonard est unique, le décor intensifie le drame narratif. Ses compositions sont cadrées comme des scènes de théâtre, la lumière dirige l'œil du spectateur de telle sorte que la séquence des événements devienne claire. Les statues et les arbres servent à transmettre l'humeur, avec un ciel orageux et des branches balayées par le vent indiquant un malaise ou une tension tandis que des arrière-plans placides suggèrent une résolution.
À travers l'œuvre de Fragonard, la physique de la création artistique est exposée. L'application de la peinture de Fragonard est bien visible sur ses toiles, avec de longs traits fluides indiquant les plis de vêtements ou les feuilles et les fleurs, complétées par couleurs et contrastes entre lumière et ombre. Examinées de près, l'œuvre de Fragonard anticipe la peinture qui dominera la fin du 19e siècle : l’impressionnisme.

Fragonard appartient à cette lignée qui, de Rubens à Tiepolo, préfère le mouvement au repos et déjà, l'impression à la certitude, sans être pour autant impressionniste.
Fragonard ne datait pas toujours ses tableaux. Il est difficile de savoir comment il a évolué, mais son style est une transition vers le romantisme et le néoclassicisme qui va régner à la fin du siècle avec David.
Les années de formation et la rencontre des grands maîtres
Le peintre de la frivolité et du rococo, Jean-Honoré Fragonard naît à grasse dans une famille d'origine italienne en 1738. Fils de François Fragonard, garçon gantier, et de Françoise Petit. Il quittera sa ville natale Grasse, à l'âge de six ans, pour s'installer avec sa famille à Paris, où se déroulera la plus grande partie de sa carrière.
Les dispositions artistiques de Fragonard sont précoces et, après avoir quelque temps travaillé avec Jean Siméon Chardin, il entre à l'âge de 14 ans, dans l'atelier de Boucher. Celui-ci comprit et affirma les dons du jeune garçon en le présentant au concours de Rome dont il est lauréat du grand prix de peinture en 1752.
Fragonard intègre dans ses tableaux les deux influences, la fougue méridionale et le culte de la séduction amoureuse de Boucher n'excluant jamais le réalisme de la ligne stricte de Chardin. Fragonard rencontre Greuze, se lie avec Hubert Robert dont la manière rapide et fluide est proche de la sienne, et l'abbé Jean-Claude Richard de Saint-Non qui l'introduira dans les milieux parisiens, et qui deviendra son principal commanditaire. Il séjourne en Italie (Naples). De retour en France, Fragonard est accueilli comme un peintre confirmé. Il obtient la reconnaissance de la Cour, des commandes publiques et un atelier au Louvre.
Fragonard et Hubert Robert s'éveillent au sentiment de nature, si nouveau alors en peinture et que la Nouvelle Héloïse (1761) va répandre dans les lettres.
Peu à peu moins académique, son travail délaisse la narration historique pour des scènes galantes à tendance érotique. " Les Hasards heureux de l'escarpolette " (1766) tableau réalisé à la demande de la maîtresse de Louis XV, Madame du Barry, témoigne de cette époque galante.
Négligeant la vie officielle, Fragonard fait une carrière dans des tableaux de joie de vivre et de frivolité. Actrices et fermiers généraux se disputent ses œuvres, où le libertinage n'a rien d'équivoque, mais respire la santé, l'allégresse, la jeunesse, la joie de vivre parfois champêtre ou rustique, et la frivolité.
Nommé conservateur du Musée du Louvre, ses toiles se venaient bien, il amasse une grande fortune grâce à son travail.
Quelques années avant la Révolution française, Fragonard invente les couleurs vives, les sourires dans des tableaux légers, pleins de bonheur et de joie de vivre, dans une époque où le crépuscule de la monarchie commençait à apparaître.
La Révolution française n'inquiète pas Fragonard, David le fait nommer membre du Conservatoire des arts. Mais le goût a changé, et son art semble démodé.
En 1805, Fragonard est expulsé du Louvre par décret impérial. Il s'installe alors chez son ami Veri, au Palais Royal. Le 22 août 1806, il décède d'une congestion cérébrale, dans l'indifférence.
Style de Fragonard
En 1773, Fragonard voyage en Italie, puis Vienne, Dresde et Francfort. Fragonard est accompagné de Marie-Anne Gérard (1745-1823), son épouse depuis 1769. À partir de 1775, la jeune sœur de celle-ci, Marguerite habite avec eux. La vie familiale inspire au peintre des scènes de genre, des portraits d'enfants d'une grande fraîcheur.
On peut remarquer, qu'en dépit de la frivolité des sujets, une certaine rigueur néoclassique marque les profils et les gestes, les femmes sont habillées, coiffées, en mouvement, et même dans un sujet mythologique, une passion romantique apparait, dans un cadre naturiste, elles dansent dans les jardins, ou se baignent dans des lieux rustiques.
Ces dessins devancent pourtant d'un siècle certaines trouvailles impressionnistes ; les Goncourt l'ont prévu " Fragonard a été plus loin que personne dans cette peinture enlevée qui saisit l'impression des choses et en jette sur la toile comme une image instantanée " (Gazette des beaux-arts, 1865).
Fragonard fidèle à son maître Boucher dessine des femmes séduisantes sans nudité, vivantes, et réelles. Fragonard ajoute dans ses tableaux des mouvements mis en scène, et un érotisme nouveau, érotisme intellectuel et allégorique.
Ses lignes sont strictes, les couleurs vives, les détails sont nombreux.
Clairement influencé par Rubens et Rembrandt comme on le voit dans le verrou, les hommes et les femmes de Fragonard sont attirants, beaux et sophistiqués.

Les Hasards heureux de l'escarpolette de Fragonard, 1767
L'œuvre qui établit sa réputation, les Hasards heureux de l'escarpolette (collection Wallace), commandée par M. de Saint-Julien.
Cette création de Fragonard appartient au style rococo, dont elle représente les principes.
La toile décrit une femme en plein mouvement en escarpolette. Toute la lumière du tableau est dirigée vers cette femme, qui a l'air heureuse et qui laisse voir coquinement la blancheur de ses jambes à l'homme demi-allongé en bas, probablement son amant. C'est peut-être là l'" heureux hasard " de l'escarpolette, qui confère au tableau une note érotique toute discrète et artistique. Aussi, la dame perd sa pantoufle, que l'amoureux personnage ramasse galamment et lui offre. Deuxième hasard ?
Sous la fille, on retrouve dans un grand buisson, des fleurs et le feuillage, un jeune amoureux, haletant avec anticipation, maintenant son chapeau à disposition. (Le chapeau en langage figuré érotique de dix-huitième siècle couvrait la tête, mais également une partie du corps masculin une fois par distraction exposée.) La contrepartie féminine au chapeau était la chaussure de la fille qui vole de son joli pied, pour se perdre dans la broussaille. Un pied nu, une chaussure perdue sont des symboles familiers à cette époque de la virginité perdue.
L'homme en bas semble contempler le " spectacle " qui s'offre à sa vue avec frivolité, celui qui se trouve derrière, relégué dans l'ombre, se charge uniquement de maintenir l'escarpolette en mouvement, ne laissant pas l'heureux amant jouir trop longtemps de la vue de cette chair blanche.
La perspective est riche et représente très vraisemblablement un jardin, luxuriant et d'une éclatante et sombre verdure.
L'ange en haut, à gauche, semble recommander, avec un petit geste du doigt, le silence aux deux amoureux.
Cette création illustre bien l'un des principes majeurs du rococo : dépeindre l'éternel plaisir de vivre et de s'aimer.
Dans ce tableau, Fragonard fidèle à son maître Boucher, la femme est sophistiquée, habillée, vivante, mais Fragonard ajoute le mouvement, la mise en scène, et un érotisme sans nudité.

La fontaine de l'amour
Ce tableau, parmi les peintures plus célébrées de Fragonard, a été fréquemment reproduit sous forme de gravures. A cette époque, l'art de Fragonard est décrit comme art de décadence et corruption de l'ancien régime. Pendant que ses commanditaires étaient jugés par les révolutionnaires, ses travaux furent dissimulés. Quand il est mort en 1806, il était presque un peintre oublié. Cinquante ans plus tard Fragonard revient à la mode, ces tableaux à nouveau vendus, Goncourt a décrit ce tableau d'une façon élogieuse : " C'est toujours nuit, une nuit de mystère orageux pesant fortement sur des arbres foncés et des plantations richement parfumées. Deux amoureux couronnés avec des roses se précipitent en avant. Le vent heurte la gorge de la femme et repousse sa tunique en arrière. " Ils s'appuient en équilibre sur le bord du bassin, la fontaine de l'amour, et s'approchent comme deux affamés, soif et désir sur les lèvres, sous la bienveillance de plusieurs cupidons. Ce tableau est brillant, Fragonard capte le sens de la passion, l'urgence du désir, en réalisant une allégorie fine du désir sexuel.
La conception de l'image est rigoureuse et retenue, les jeunes amoureux ont été juxtaposés comme un groupe sculptural, leurs visages sont montrés de profil. La tasse vers laquelle ils tendent leurs lèvres contient la joie de leur satisfaction. Une allégorie de la passion. Chez Fragonard, le tableau dégage un puissant érotisme dans son idée, et non pas dans le nu, dans les émotions qui s'en dégagent, et non pas dans la représentation crue.

Le Baiser volé
Ou Le Baiser à la dérobée, son plus célèbre tableau après Le Verrou, fut le fruit d'une collaboration avec Marguerite Gérard, son élève et sa belle-sœur. Comme toujours chez Fragonard, il y a de l'action et la mise en scène. L'action de ce tableau se déroule dans un boudoir attenant à un salon à percevoir dans la partie droite, et à travers une porte ouverte, on observe des joueurs de cartes réunis dans un salon. Cette antichambre communique avec un autre espace, corridor ou balcon où un galant est arrivé. Paravents, rideaux levés et portes entre-baillées marquent des espaces. La scène proprement dite se déroule dans cette zone limitée entre deux portes, entre deux espaces. La place accordée aux deux amants est bien restreinte. Le désir triomphe à cet environnement hostile et incertain, la femme se laisse embrasser. Le pied du garçon mord sur la robe encombrante de la femme.
Les tissus participent à la poétique du tableau, la femme vient d'échapper du salon, remonte en direction du garçon, son écharpe témoigne cette difficulté d'échapper à la surveillance sociale, ou devoir social, l'écharpe rayée que tirait la femme donnait l'impression d'une réticence, vaincue à la fin par le désir. D'autre part, les étoffes plissées de la robe, les rideaux un peu tordus donnent une impression de désordre. Rien de nu, rien de vulgaire, rien de dévoilé, l'érotisme de Fragonard est dans la subtilité. La femme chez Fragonard participe, se décide, et partage. Les visages des amoureux chez Fragonard reflètent les émotions engendrées par la situation. L'émotion sur le visage de la jeune femme, ses yeux fixés sur la porte, témoigne une réticence, un consentement, une légère contrariété. Dans ce tableau, on voit Fragonard fidèle à son maître Chardin, déployant les objets, utilisant les espaces dans un ordre précis, pour transmettre un message.

Le verrou
Le tableau maître de Fragonard résume pour de multiples raisons, le style du peintre. Le tableau est divisé en plusieurs parties. À droite, un homme enlace une femme de sa main gauche, tandis que de sa main droite pousse le verrou pour fermer la porte. La jeune femme dans une position ambiguë ; éperdue, visage renversé, elle repousse mollement de sa main la bouche de son amant. Sa jambe gauche est pliée, installée entre les jambes écartées de l'homme. Aucune nudité dans le tableau. La scène se passe dans une chambre à coucher. Les deux tiers du tableau sont occupés par le lit et ses rideaux.
Comme dans d'autres tableaux comme le baiser à la dérobée, les tissus, les objets vont jouer un rôle important dans la signification. Les drapés, le lit en désordre, voilà l'autre partie du tableau. Certains ont vu dans la forme des drapés en tissu rouge une forte ressemblance avec l'organe sexuel féminin, sous forme de fente entourée de plusieurs plis. Les deux oreillers sont en fait des seins, le grand rideau rouge au-dessus du lit, une vulve avec les grandes lèvres, et le drap, un phallus. Ce genre de jeux visuels était fréquent à l'époque : les clients, les riches nobles, sauvaient les apparences... et s'amusaient de ces plaisanteries en bonne compagnie.
Le reste de la toile est une sorte de métaphores de ce qu'il va venir. La pomme installée à l'autre bout du tableau, allusion au mythe d'Adam et Ève.
D'autres symboliques érotiques se montrent aussi : chaise renversée, jambes en l'air, une pomme symbolique du péché, un verrou en référence au sexe masculin, un baldaquin montrant le sexe féminin tant par ses formes que par ses couleurs. La volonté de (re) faire l'amour du jeune homme est claire alors qu'il ferme (à nouveau ?) le verrou. L'autre élément symbolique de la toile est un bouquet de fleurs tombé à terre dans l'angle en bas à droite du cadre. Symbole de virginité, traditionnellement jeté en l'air au moment du mariage, il est ici présenté comme dégradé.
Les mouvements des personnages sont orientés vers le verrou. La femme tend un bras vers le verrou, on ne sait trop si c'est pour le fermer par elle-même ou s'il s'agit d'une tentative de fuite.
Ce tableau est différent des autres tableaux de Fragonard, drapés et lumière à la manière de Rembrandt. Une lumière proche de celle des maîtres hollandais, ainsi que les lignes.
Fragonard a vécu dans une époque où la liberté sexuelle était libertinage, stigmatisée, réservée à des classes sociales aisées et initiées. Cette époque se termina par la Révolution française suivie d'une terreur moralisante.
Il a produit des représentations artistiques d'une qualité remarquable, associant érotisme et sexualité.
Le corps féminin chez Fragonard est encore habillé, séduit sans se déshabiller, l'érotisme est séparé du nu, peut être véhiculé par un accord vivant. Le corps féminin chez Fragonard est vivant en mouvement. Les femmes dans ces tableaux ne sont pas passives quand il s'agit de la sexualité ou de la séduction, elles participent, échangent, sont complices, comme s'il validait la sexualité féminine, la participation des femmes à la sexualité. Il valide cette sexualité féminine, l'admet, et invite le spectateur à l'admettre à son tour.
La beauté chez Fragonard prend en compte le contexte, les vêtements, mais également le désir, la jeunesse, l'allégresse, et la frivolité. Les femmes ne sont plus endormies dans l'attente de dieux. Les hommes ne sont plus des corps spectaculaires, bien que les modèles dessinés soient toujours enjolivés, ces modèles sont plus humains que chez les peintres avant lui. Fragonard n'est pas seulement un peintre de l'érotisme ou de la sexualité. Dans ces tableaux, il a dessiné le désir sexuel, féminin et masculin. Un homme qui insiste pour dérober un baiser, un amant qui attend, une femme qui court vers la fontaine de l'amour pour satisfaire son désir. Fragonard ne dessinait pas la sensualité comme la rencontre de deux corps nus, mais comme la rencontre entre deux personnes, un homme et une femme, ensemble.
Fragonard était probablement parmi le premier peintre à représenter les émotions pendant la séduction, et l'attirance . Les femmes et les hommes expriment des émotions, ce n'est plus le corps qui symbolise le désir ou l'attirance, c'est une attirance émotionnelle comme si Fragonard avait compris que si la sensualité était, en partie, une réaction physiologique et animale, c'est aussi une expression émotionnelle, psychologique. Il faut attendre presque un siècle après lui pour libérer l'image du corps, l'image du corps féminin, l'image de la sensualité pour dépasser les carcans esthétiques et moralisants.
Références