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La naissance du polar est située au milieu du dix-neuvième siècle, aux États-Unis et en Europe.

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La naissance du polar est située au milieu du dix-neuvième siècle, aux États-Unis et en Europe. L'arrivée de ce genre nouveau répond à un contexte socio-économique lié à la naissance des grandes métropoles. À Paris, à Londres ou à New York se côtoient les catégories sociales les plus diverses dans un espace urbain en pleine mutation: naissance des faubourgs, des quartiers pauvres en marge du centre-ville et des ghettos ethniques.
L'expansion rapide et la diversification de la population urbaine auront de fortes répercussions sur la littérature et la presse. Si la grande littérature, est l'apanage des catégories aisées de la bourgeoisie, les classes populaires ont désormais accès à une alphabétisation de masse et cherchent leurs romans.
La génération précédente a connu James M. Cain à travers les films réalisés à partir de ses romans comme  le facteur sonne deux fois, ou Mildred Pierce. Des critiques le qualifient d'écrivain facile et commercial de roman noir.  Les analyses de ses romans avaient permis d'apprécier la valeur de ses textes. Dans ces dernières années de vie, Cain a connu un regain d'intérêt. Il devient un des grands écrivains américains du roman noir avec Hammett , Chandler et Macdonald, un écrivain enseigné et étudié dans les lycées et les universités aux États-Unis.


Une rapide biographie

Journaliste, écrivain et scénariste américain, James Mallahan Cain est né le 1er juillet 1892 à Annapolis (Maryland, États-Unis). Après avoir envisagé de devenir chanteur professionnel comme sa mère, bien que son amour de la musique reste vif,  il embrasse la carrière de journaliste et débute dans la presse de Baltimore.
Pendant la Première Guerre mondiale, James M. Cain sert dans le corps expéditionnaire américain en France et rédige le journal de la 79e division : Lorraine Cross. De retour à Annapolis, il donne des cours de journalisme à Saint John College et commence à écrire articles et nouvelles pour le journal de H. L. Mencken, The American Mercury. Il collabore au New York World, dirigé par Walter Lippman, devient, pour une brève période le directeur du New Yorker, avant de se rendre à Hollywood où il écrit des scénarios, comme beaucoup de romanciers de l'entre-deux-guerres y compris Fitzgerald et Faulkner.
James M. Cain, romancier de mélodrames violents, sexuels et implacablement incarnés dans de personnages forts, il représente un écrivain de l'école américaine des romans noirs des années 1930 - 1940 avec d'autres maîtres du genre. Trois classiques de l'écran américain ont été réalisés à partir de ses romans : Double Indemnité (1936, 1944), Mildred Pierce (1941, 1945, TV miniséries 2011) et le facteur sonne toujours deux fois (1934, 1936, 1946, 1981).
À l'époque, James M. Cain fut poursuivi en justice pour " obscénité ". Le facteur sonne toujours deux fois sera plusieurs fois porté à l'écran, entre autres par Tay Garnett (1946, avec Lana Turner et John Garfield) et Bob Rafelson (1981, avec Jessica Lange et Jack Nicholson). Parmi ses autres livres, citons notamment Assurance sur la mort (1936) et Sérénade (1937), dont le héros est chanteur d'opéra.
James M. Cain rédigeait son autobiographie lorsqu'il est mort le 27 octobre 1977 à University Park (Maryland, États-Unis), à l'âge de 85 ans.

 

Le facteur sonne toujours deux fois


Son premier roman," The Postman Always Rings Twice" , publié à l'âge de 42 ans, a connu un succès spectaculaire. Son milieu sordide, personnages qui cherchent à atteindre leurs fins par la violence, dans un style de prose tendue et rapide. Ce roman sera le modèle d'autres romans de Cain comme Serenade (1937) où il avait osé traiter la bisexualité, Double Indemnity et The Magician " s Wife (1965)


À sa parution en 1934, ce roman reçut de nombreuses critiques élogieuses. Novateur par son écriture concise et rythmée, le livre l'est tout autant par le choix de son sujet. Cette passion banale entre deux êtres communs débouche sur un crime dont les mobiles sont l'argent et le sexe. D'un regard distancié, sans porter le moindre jugement moral sur ses personnages, James Cain met en évidence leurs motivations et montre comment l'obsession de la réussite aboutit au naufrage d'individus fascinés par le rêve américain. Ce récit a donné lieu à nombreuses adaptations cinématographiques, notamment en 1946 avec Lana Turner, puis en 1981, avec Jack Nicholson et Jessica Lange.
Ce roman décrit un beau jeune vagabond chômeur à vingt-quatre ans. Frank Chambers arpente les routes, à la recherche d'un emploi. Il s'arrête à une station-service restaurant. Le patron, Nick Papadakis, qui exploite l'établissement avec son épouse Cora. Après avoir apprécié la beauté de la jeune femme, Frank accepte de rester et devient rapidement son amant. Ils décident de se débarrasser du mari.

 

 


Cora vit aux côtés de Nick qu'elle trouve puant.  Ayant travaillé pendant deux ans dans une cantine de Los Angeles, Cora a gagné un concours de beauté organisé par l'école. Cora réalise que Franck peut lui offrir de nouvelles perspectives. Elle séduit Franck et le décide à l'aider à se débarrasser de Nick en l'assommant avec un sac à sucre chargé de roulements à billes pendant son bain dominical dans la baignoire puis lui plonger la tête sous l'eau, le noyer, se débarrasser du sac, appeler un docteur et faire constater le décès par noyade accidentelle

 

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Le Grec en réchappe avec un traumatisme crânien. Cora et Franck organisent un faux et banal accident de la route. La police mène l'enquête. Franck et Cora répètent entre eux,  plusieurs fois, les réponses qu'ils doivent donner aux enquêteurs, mais ceux-ci les opposent. Franck ne sera pas accusé d'homicide par imprudence, ce sera un accident. En contrepartie, il n'y aura pas de dommages et intérêts. Cora et Franck s'en tirent par un non-lieu. Mais Cora enceinte depuis plusieurs semaines, se sent mal alors qu'elle sort d'une baignade prolongée en mer : Franck l'emmène aux urgences. Paniqué, il roule trop vite et tente un dépassement malheureux : c'est l'accident. Franck en réchappe par miracle, mais Cora est tuée. Franck est condamné pour le meurtre de Cora.
Cain décrit une relation perverse que les personnages entretenaient avec la morale et la religion. Leur intimité est marquée par la profanation. Par exemple, quand

Cora essaie de défendre l'idée que le meurtre de son mari est juste, elle dit :
" Qui va savoir si c'est bon ou pas, sauf toi et moi. "
" Toi et moi ? "
" C'est tout ce qui compte, n'est-ce pas ? "
Ce relativisme est le fondement moral de leur relation. Les deux amants passent leurs temps à discuter comment éviter les soupçons des autorités, tout en restant indifférents à ce qu'ils ont fait. Cora refuse de reconnaître un moral universel en dehors d'elle et de son amant. Le meurtre devient la seule option pour le couple. Le passage final de cette scène se termine sur une note particulièrement intéressante :
" C'est ce que nous allons faire. Embrasse-moi, Frank. Sur la bouche. "
Je l'ai embrassée. Ses yeux brillaient sur moi comme deux étoiles bleues. C'était comme être à l'église.
Cette référence à " être dans l'église " au moment où ils échafaudent leur plan pour tuer Nick est une profanation supplémentaire qui était à l'origine de l'interdiction de ce roman à Boston.
Ils vont rompre leur pacte, se trahissent, " comme des animaux sauvages " quand ils sont jugés pour le meurtre de Nick. Ils sont finalement exonérés grâce à la cupidité de compagnies d'assurance. Ils étaient sur une " montagne " intouchable :
" Regarde-nous maintenant. Nous étions sur une montagne. Nous étions si haut, Frank. Nous avons tout eu, là-bas, cette nuit-là. Je ne savais pas que je pouvais ressentir quelque chose comme ça. Il n'existe que deux personnes dans ce monde. Nous sommes ici ensemble. "
Cora voyait dans l'assignat de son mari, un pacte avec son amant béni par Dieu. Elle continue :
" Dieu nous a embrassés sur le front cette nuit-là. Il nous a donné tout ce que deux personnes peuvent avoir. "

 

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Dieu devient la justification de leur bonheur et de leur amour dans l'immédiat après le meurtre dans une vision faussée de tout ordre moral. pendant le procès. Le mal n'a rien à voir avec la mort de Nick, mais avec leur trahison pendant le procès. Le meurtre n'est pas source de tourments psychologiques comme la culpabilité ou la honte. La capacité de Frank et Cora de se défaire de ce genre d'émotions représente l'élément le plus surprenant de ce roman noir.
Comme d'autres œuvres de Caïn, l'histoire suit le cheminement de personnages vers l'autodestruction, motivée par de désirs profonds. La luxure et la cupidité mènent au meurtre. Pas le meurtre organisé, mais désordonné et inefficace de meurtriers sans talents, mais d'une funeste détermination.

 


La sexualité directe dans ce roman était choquante à l'époque, un mélange novateur dans le roman noir entre le sexe banalisé, immoralité et violence. Caïn ne s'éloigna pas de ces thèmes : crime et l'obsession sexuelle abondent dans ses romans.
Cain modernise le genre en sortant les criminels de leurs mondes pour indiquer aux lecteurs que n'importe qui peut être coupable. Le crime devient une entreprise qui implique n'importe quelle personne. Assassins et victimes sont des gens banals. Les enquêteurs aussi.   
Le style narratif de Caïn implique une histoire simple, un triangle d'amour présenté à un rythme rapide. Son économie d'expression dépassait celle des écrivains de son époque. Ses personnages et ses situations exprimaient des thèmes sociologiques et philosophiques nouveaux pour l'époque. Inévitabilité du malheur humain, destructivité du rêve.


Ce premier roman, le facteur sonne toujours deux fois, connaît un succès immédiat après avoir été refusé par deux éditeurs. Un style direct comme celui d'Ernest Hemingway qui offre à ce roman dominé par la violence et le désir sexuel un ton. Pureté de structure, économie de narration, aucune sentimentalité, discussion sur la condition humaine, qui a valu à Caïn un public fidèle et aux USA et en Europe et l'admiration des grands écrivains comme Albert Camus qui déclara s'en être inspiré pour son chef d'œuvre : L'Étranger