Paul Cézanne, "La Montagne Sainte-Victoire", vers 1890, musée d'Orsay
L'estime de soi est une valeur fragile et changeante. Elle augmente chaque fois que nous agissons en respectant nos standards et diminue chaque fois que notre comportement les contredit. Il est donc possible qu'elle soit très haute ou très basse selon les périodes de notre vie.
Nous allons citer rapidement les approches théoriques relatives à ce concept. La définition précise la plus admise par une majorité de spécialistes renvoie à trois significations selon (Brown, Dutton et Cook, 2001) :
Selon James ( 1890) : l'estime de soi est égale au rapport entre nos prétentions et nos succès. Selon ce concept, l'estime de soi peut être obtenue : soit en diminuant nos prétentions, soit en augmentant nos succès, soit en entre les deux facteurs.
Le miroir social de Cooley (1902) et Mead (1934) : l'estime de soi est la perception de soi construite par l'intériorisation de l'opinion d'autrui à notre égard. Dans cette perspective, les interactions sociales sont déterminantes.
L'estime de soi comme lieu de contrôle (locus of control) de Rotter (1966) :
l'estime de soi se décline en fonction de la croyance de l'individu
Hiérarchie des besoins de Maslow (1970) : l'estime de soi correspond à une double nécessité pour l'individu : Se sentir compétent et être reconnu par autrui.
Le sentiment d'auto efficacité de Bandura (1986) : l'estime de soi renvoie aux croyances de l'individu en ses capacités personnelles.
Coopersmith a montré l'absence de liens significatifs entre l'estime de soi de l'enfant et l'aisance financière, l'éducation ou la profession des parents.
Le seul facteur qui influence fortement l'estime de soi de l'enfant est la qualité de sa relation avec ses parents.
Harter souligne l'aspect vital de l'approbation par les parents pour l'estime de soi de l'enfant, pour encourager certains comportements. Ces sentiments positifs des parents vis-à vis de l'enfant apportent stimulation et affection, favorisent l'indépendance de l'enfant.
Jusqu'à l'âge de 3 ans, l'enfant accorde plus d'importance à l'avis de ses parents ; puis, peu à peu, c'est l'approbation des pairs qui va être recherché (cela devient vital à l'adolescence).
Le rang de naissance semble jouer un rôle sur l'estime de soi : les cadets auraient une estime de soi moindre que les aînés mais seraient plus populaires et plus à l'aise dans la société. Les aînés jouissent d'une estime de soi élevée et connaissent une meilleure réussite scolaire.
Comment écrire sur l‘estime de soi ? N'est-ce pas prétentieux de dire aux autres comment rehausser leur estime de soi ? Cela ne signifie-t-il pas que celui qui écrit a trouvé la recette ?
Personne ne peut prétendre être compétent pour parler de cette partie noble qui habite l'humain, cette partie précieuse sans laquelle l'humain souffre, devient fragile et troublé.
Que reste-t-il de l'humain blessé, humilié, vaincu parfois mais vivant ?
Que reste-t-il de nous après nos échecs, après nos erreurs et après nos sentiments de culpabilité ??
Il reste cette partie noble de nous, celle qui continue à croire, à vivre et qui va assurer la suite. Cette partie dont nous ne pouvons pas vivre sans.
Cette partie est l'estime de soi.
Pourquoi une personne, après avoir commis une faute, souffre-t-elle alors que la faute est oubliée ou pardonnée ??
Pourquoi de nombreuses personnes qui consultent le médecin pour une anxiété ou pour une dépression disent : je me déteste, je ne suis bon à rien, je ne vaux rien.
L'estime de soi est le résultat d'une auto-évaluation.
Il s'agit d'un baromètre révélant dans quelle mesure nous vivons en harmonie avec nos valeurs, avec la partie haute de nous-même.
L'estime de soi se manifeste par la fierté que nous avons d'être nous-même et repose sur l'évaluation continue de nos actions.
Cette évaluation est consciente ou inconsciente. Chacune de nos actions engendre un verdict : valable ou pas valable.
L'action valable va nous donner confiance en nous, nous rendre fiers, et l'action non valable va nous faire souffrire car cette action engendre une contradiction entre notre comportement et nos valeurs.
Toute activité nécessite la présence de personnes avec une estime de soi saine pour imposer le respect, accepter la responsabilité, avoir de la fierté d'un accomplissement, la capacité d'analyser l'échec et les critiques.
L'estime de soi n'est pas d'avoir des idées positives sur soi même, n'est pas l'égoïsme, arrogance, prétention, narcissisme, un sens de supériorité. Les individus avec l'estime de soi pauvre ou défensive tentent de prouver à eux-mêmes leurs valeurs, à impressionner les autres ; arrogance et mépris. Ils manquent généralement de confiance en eux-mêmes, et doutent de leur valeur et sont peu disposés à prendre des risques ou de s'exposer eux-mêmes à l'échec.
Mais l'humain est parfois victime de ses propres erreurs ou de celles des autres.
Des années après un abus sexuel ou un viol, la patiente souffre d'un sentiment de dévalorisation, elle ne cesse de détester son corps car « il est sale » , et de se punir car « elle ne vaut rien. »
Voilà comment l'estime de soi fait souffrir.
D'abord s'accepter. C'est un principe fondamental en médecine et en psychologie, on ne peut changer (à l'intérieur de soi) que ce l'on a déjà accepté. Cette acceptation de ce qui est arrivé, de ce que ce que nous sommes, est un préalable à tout traitement et à tout progrès.
Après l'acceptation, le pardon signifie la fin de la guerre civile déclenchée dans nos têtes. Pardonner à soi -même signifie dépasser la culpabilité et la honte. Dans nos conflits intérieurs, il existe toujours des fautes qui nous hantent. Des situations où nous étions peu intéressants selon notre propre jugement.
Se pardonner peut se passer dans les cas simples par un simple travail sur soi-même, une réflexion, une interrogation, mais dans les cas d'une culpabilité notable ou profonde, il est possible de faire appel à un soignant ou à une personne ayant la capacité d'écouter et d'analyser.
Pardonner à soi même est un acte difficile.
Comment puis-je pardonner à ce monstre que j'étais alors ou lors tel acte ou de tel événement ?
Le principe dans ce cas est de :
- Refuser la culpabilité toxique : la répétition de la faute ne doit pas être permise.
- Remettre les actes dans leur contexte.
- Cultiver ce qui est bien, critiquer ce qui est mal
- Prendre ses distances avec ce comportement
- Accepter et comprendre la réaction des autres vis à vis de notre comportement
- Admettre ses besoins et ses limites.
- Le droit à l'erreur : L'expérimentation donne des résultats positifs et négatifs. La peur de l'erreur peut devenir anxiété puis immobilisme.
En nous référant à notre échelle de valeur, nous pouvons faire des choix qui ont un effet positif sur notre estime.
Si l'honnêteté est une valeur importante pour vous, soyez honnête, si la fidélité dans le couple est importante pour vous, soyez fidèle.
Ce respect de soi a un prix, tout comme le non-respect en a un. Etre fidèle dans le couple par exemple, signifie un renoncement total aux autres partenaires. Qui a dit que c'est facile ???
Etre infidèle, c'est le couple qui risque de subir les conséquences. C'est un problème aussi et il y a un prix à payer.
Cependant respecter ce qui vous importe, est le principe fondamental pour réussir.
L'estime se bâtit en relevant des défis, le risque est présent : déplaire, perdre, être rejeté, échouer, etc. Mais sans prise de risque, aucune réussite n'est possible.
Lorsqu'un patient consulte pour anxiété ou dépression, l'estime de soi souffre aussi. En parlant, on trouve parfois dans cette mauvaise estime de soi, un manque d'écoute de son monde intérieur, de ses désirs, de ses émotions.
Mais la vie change aussi nos besoins, et nos aspirations. Ces besoins vont apparaître donc comme désir, rêve ou fantasme.
A chacun de trouver ce qui important dans ses désirs, en cherchant la satisfaction et non pas le plaisir immédiat bien sûr.
Le problème est que nos besoins se manifestent comme des impératifs (désir, rêve, sentiment d'urgence), et dans chaque cas, ces besoins nous font peur car ils remettent en question notre organisation.
Les sujets importants à nos yeux nous font peur et il est utile d'affronter cette peur pour développer la confiance en soi.
Un exemple classique est celui de la maternité. Lorsque le désir d'enfant devient urgent, la femme est harcelée par des images, des désirs, des fantasmes sur ce sujet. Assaillie par cette question, la femme est invitée à répondre.
Si la femme est sans compagnon, elle doit décider de trouver un compagnon pour faire un enfant ou le faire sans père. Si le mari est stérile, il faut décider de changer de mari ou accepter.
Ce sont des choix qui comptent, mais ces choix devraient tenir compte de ce qui important pour soi.
Evaluer est une composante importante de la capacité humaine à éviter le risque et à améliorer sa qualité de vie. Apprécier le beau, l'utile, l'agréable et éviter le risque.
Il est normal aussi d'être conscient que nos jugements concernant les autres soient incomplets car nos données sont généralement partielles.
Mais juger le comportement des autres ne doit pas être tabou, c'est le seul moyen de consolider ses repères et de trouver sa propre valeur.
L'idée selon laquelle, "qui sommes-nous pour juger" est une idée théorique basée sur un système de tolérance utopique et sur une attitude récente dans notre société d'acceptation positive inconditionnelle.
Pourtant, cette tolérance ne devrait pas nous faire tout accepter. Juger oui, mais condamner non, c'est la différence entre la vraie tolérance et l'acceptation.
Jugeons les autres pour dire : cette attitude ne me convient pas, je ne l'accepte pas, mais je suis tolérant donc, je ne la condamne pas.
S'abstenir de juger est indiqué dans une relation thérapeutique. C'est un moyen d'aider le patient à s'accepter lui-même.
Mais, dans une relation non-thérapeutique, le non-jugement produit des résultats néfastes. Les jugements inhibés sont exprimés sous des formes pernicieuses (critiques indirectes, question pleine de sous-entendus, manipulation, etc.).
Dans d'autres cas, l'effort de neutralité détruit la relation en la transformant en relation superficielle, complaisante aseptique.
Annuler la faculté de juger est une amputation nuisible à l'estime de soi.
En cas de difficulté relationnelle, il faut se souvenir qu'on peut toujours tout dire si on sait le dire ou comment le dire, donc, le dire sans heurter ni blesser.
Henriette 48 ans rencontre son compagnon Moïse âgé de 55 ans. Moïse sortait d'une histoire relationnelle compliquée. Henriette raconte :
« A mon âge, je savais que les relations humaines sont étranges mais quand j'ai vu pour la première fois Léa, l'ex de mon compagnon à la maison, j'étais plus que choquée. Elle est venue avec son enfant à propos d'un problème administratif concernant l‘enfant. Elle a 24 ans. Je ne savais pas comment réagir. On me dit qu'il ne faut pas juger, mais je ne peux pas, c'est contre mes propres valeurs. Cette relation est pour moi épouvantable, incestueuse ou presque.
Après son départ, je lui ai dit ce que je pense mais sans colère ni nervosité. Il m'écoute puis il m'explique que cette relation avec Léa avait duré deux ans, une vraie relation d'amour et non pas une relation de désir. Puis il me dit : Même une relation de désir, où est le problème, elle est adulte, elle avait 23 ans. L'enfant c'est son choix aussi. Je n'ai jamais voulu d'enfant. Je savais que la différence d'âge était un problème sérieux. Mais Henriette, je n'ai pas abusé d'elle, et c'est elle qui a mis fin à ma relation avec elle pour retrouver un de ses ex. »
Henriette ne pouvait pas accepter de ne pas juger, cela aurait créé un non-dit dans le couple, une zone non partagée par le couple. Elle avait besoin de juger, de respecter ses propres valeurs et de ne pas accepter sans que cela ruine son couple. Elle a trouvé une solution intermédiaire :
« J'invite régulièrement à la maison Léa avec son nouveau copain comme s'il s'agissait de ma propre fille car elle a l'âge de ma fille. Mon conjoint est ravi de voir son enfant, je la considère comme un membre de la famille, et j'ai demandé à Moïse de l'aider financièrement quand elle a besoin, c'est ma façon à moi de garder le respect que je dois à mes propres valeurs. »
Dans son livre sur la famille, John Bradshaw souligne une réalité psychologique : « Nous ignorons à quel point nous sommes en colère en face du passé. Nous ne ressentons pas notre souffrance non résolue car notre faux-moi et ses défenses nous en empêchent. »
Une des contributions majeures des études historiques est de nous rappeler que notre passé est présent dans notre présent. Ce principe peut aussi être appliqué sur le passé individuel. La souffrance refoulée non-reconnue pèsera toujours de son poids lors de nos décisions.
Difficile de prendre la décision de discuter avec l'enfant que nous étions, cet enfant qui a eu ses difficultés, ses problèmes et ses moments peu glorieux.
Emile est un enfant sans père comme il dit. Sa mère a eu une relation à l'âge de 16 ans avec un homme de passage, elle a gardé l'enfant sans avertir le père. L'enfance d'Emile est une succession de problèmes et de douleurs, sa mère tentait de refaire sa vie mais elle tombait toujours sur des hommes peu disposés à rester avec elle ou avec des hommes de passage.
« Elle n'arrêtait pas de changer de mec. J'avais 6-7 ans quand j'ai commençé à m'en rendre compte. Mais elle était à la fois, belle, attirante, et naïve. Elle passait ses nuits avec des hommes sans intérêt puis pleurait le matin. La pire elle me racontait ses malheurs, et très tôt je détestais les hommes. Après nombreuses aventures, elle s'est mariée. Mon beau-père n'était pas un homme de qualité non plus. J'avais 14 ans quand j'ai commencé à répondre à ses coups. A 16 ans, j'ai quitté la maison. »
Emile a refait sa vie depuis. D'apprenti dans une usine de transformation de bois dans le Nord, il devient à 35 ans associé. Mais le vieux problème de son enfance ressurgit :
« Ma fiancée est une fille bien, c'est la nièce de mon associé, elle a fait des études alors que je n'ai qu'un vague souvenir du programme de collège, elle est posée, calme. J'ai 35 ans, elle en a 28 ans, c'est la femme qui me convient, qui peut m'aider. Mais je ne pouvais pas faire un enfant, pas question. Trop de souvenirs. Trop de honte, trop de tout. »
Quand j'ai parlé avec Emile, ce jeune patron refuse son enfance en bloc. Il a construit un faux-moi, une histoire à lui. On appelle cela en psychologie rationalisation. Il ne peut pas parler de l'enfant qu'il était. Insupportable, et logiquement il ne peut pas devenir père.
Il a fallu de nombreuses heures de discussion, pour qu'il pleure un jour en criant sa douleur. L'enfant qui recevait des coups, et souffrait, s'est réveillé, et le manque de père est à nouveau présent.
Il a admis son dégoût pour sa mère, pour son beau-père, sa peur de la paternité. Il a admis sa honte devant son manque de scolarité.
F. Perls le fondateur de l'approche psychologique gestaliste dit « les choses ne peuvent changer tant qu'elles ne sont pas devenues ce qu'elles sont vraiment. » (cité par Bradshaw dans l'ouvrage "la famille")
Emile validera un jour sa souffrance. A présent sa femme est enceinte. Il tremble devant l'enfant qui va naître, mais sa femme le rassure en lui répétant qu'il sera un merveilleux père.
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