epistemologie

 

 

 

L’établissement de la philosophie des sciences (épistémologie) au XIXe siècle à négligé la vision historique de la science; dans la seconde moitié du XXe siècle, la conscience historique de la philosophie des sciences s'est développée grâce aux travaux de «Karl Popper» et «Gaston Bachelard» et d'autres, qui ont enrichi la compréhension et l’analyse du phénomène scientifique.
La première question dans la recherche historique de la science est : Quelle est la nature du progrès scientifique ?


Les réponses des philosophes des sciences (peuvent être divisées en quatre :
1. Le progrès scientifique ne s'explique pas parce que les événements qui s'y déroulent n'y suivent pas le même chemin.
2. Le progrès scientifique suit une ligne ininterrompue, cumulative et continue avec les connaissances scientifiques antérieures.
3. La science fonctionne dans une certaine mesure en ligne cumulative, puis émerge comme une rupture ou une révolution pour ouvrir une voie différente.
4. Le progrès scientifique procède sous la forme de ruptures avec le passé, la science parcourt un chemin complètement différent des connaissances scientifiques antérieures, et cela peut être appelé une rupture épistémologique.

 

La pensée de Bachelard

Gaston Bachelard est né le 27 juin 1884 à Bar- sur-Aube, en Champagne.
Comme d'autres philosophes de la science durant la première moitié du vingtième siècle, Bachelard a réfléchi aux bouleversements provoqués par l'introduction de la théorie de la relativité et de la mécanique quantique.

 

- Nouveau rationalisme

L'originalité de la pensée de Bachelard découle de sa conception particulière du rationalisme. Le point de vue standard, pourrait-on dire, est que le rationalisme est un effort pour décrire la nature de la réalité ou pour trouver des critères permettant d'établir des vérités à son sujet, grâce au pouvoir de la raison. Selon Bachelard, la force du rationalisme réside dans sa capacité à transcender la réalité telle qu'elle se présente ; le rationalisme est une quête ouverte qui crée de nouvelles réalités.

 

Bachelard  citation tout est construit

 

Selon lui, la pensée scientifique est le rationalisme à l'œuvre ; les nouvelles inventions modifient et multiplient le terrain matériel et épistémologique sur lequel opèrent les scientifiques ;

"Il n'y a guère de pensée plus philosophiquement variée que la pensée scientifique" (Rationalisme appliqué', 1949).

 

- Les mathématiques : indispensable langage

Suivant la tradition de la philosophie des sciences françaises (Poincaré, Meyerson), les analyses de Bachelard s'inscrivent dans un contexte historique. Il utilise comme exemple le passage de la mécanique classique à la théorie de la relativité puis à la physique quantique pour expliquer son point de vue (Le Nouvel esprit scientifique, 1934). La clé de son argumentation réside dans le rôle spécifique qu'il assigne aux mathématiques dans les nouveaux développements scientifiques.

La physique quantique étant basée sur des constructions mathématiques produit également une réalité nouvelle, tangible et jusqu'alors inconnue, qui n'est pas seulement le domaine des physiciens, mais qui est également entrée dans la vie quotidienne. Ces développements démontrent la capacité des mathématiques,

"Le pouvoir des mathématiques est de créer la réalité" (Le Nouvel esprit scientifique, 1934).

 

- Nouvelle science : nouvelle épistémologie

Les opinions auxquelles il est parvenu, étaient différentes de celles de ses contemporains. Selon lui, la nouvelle science exigeait une nouvelle épistémologie, non cartésienne, une épistémologie qui s'adapte aux discontinuités (ruptures) dans le développement de la science.

Les scientifiques ne traitent pas avec des ensembles de faits donnés insérés dans la "nature" qui sont progressivement découverts et compris. Au contraire,
"Nous quittons la nature pour entrer dans une fabrique de phénomènes" (L'Activité' rationaliste de la physique contemporaine, 1951).

Pour un scientifique, les faits sont des constructions, ils commencent par une organisation des objets de la pensée, et progressent vers une "phénoménotechnique" collective qui crée des effets, fabriquant de nouvelles matières comme les isotopes artificiels, par exemple.

 

- la science n’est pas une explication du réel limité


Dans son évolution, la science se détache de plus en plus du monde tel qu'il est communément compris. La théorie de la relativité et la physique quantique se sont développées indépendamment d'une telle compréhension et finissent par contredire, violer notre compréhension.

Selon Bachelard, la marque de la raison qui gagne son autonomie, est sa capacité de se libérer du monde limité que nous apercevons. La science n'est plus une accumulation de "connaissances objectives", mais se développe à travers des ruptures, des corrections d'erreurs, qui sont le plus souvent induites par des habitudes, qui ont leurs racines dans les connaissances communes.

 

Bachelard  citation philosophie

 

Pour que la science progresse, elle doit se séparer du savoir commun. L'esprit scientifique doit subir une opération de purification. Il est nécessaire de se soumettre à un processus qui, à l'instar de la psychanalyse, découvre et éradique toutes les connaissances scientifiques. Quand la séparation entre les deux types de connaissances sera complète,

Les "intérêts de la vie sont remplacés par les intérêts de l'esprit" (La Formation de l'esprit scientifique, 1938).

 

Gaston Bachelard : la rupture épistémologique

Gaston Bachelard estime que l'histoire des sciences ne peut être considérée comme une transition de problèmes plus simples vers des problèmes plus complexes, et qu'il n'est pas possible de rechercher des origines historiques pour les théories et les concepts scientifiques.
En mathématiques, on appelle géométrie non euclidienne une théorie géométrique ayant recours à tous les axiomes et postulats posés par Euclide dans les Éléments, sauf le postulat des parallèles. En d’autres termes, c’est la géométrie sans parallélisme.

Bachelard souligne que ces constructions n'ont rien à voir avec " la réalité", elles commencent comme hypothèses mathématiques. Si des événements devaient se produire dans les espaces suggérés par les nouvelles géométries, ils violeraient les lois newtoniennes. Tel est en effet le monde tel que le conçoit la relativité d'Einstein, qui ne peut être compris dans le cadre de ces lois.
La physique d'Einstein ne trouve pas ses racines dans la physique de Newton, la physique de Newton ne trouve pas ses racines dans la physique de Galilée, chacune d'elles procède de différentes perceptions du monde et des approches différentes : « Les sciences naturelles nous conduisent vers de nouveaux domaines avec de nouvelles méthodes.
Bachelard dénonçait la vision du savoir scientifique comme un prolongement historique du savoir et comparait les anciennes lampes basées sur la combustion à l'ampoule d'Edison en disant : « L'ancienne technologie est une technologie de combustion et la nouvelle technologie est une non combustion".
Si technologie est une extension de la connaissance, Bachelard considère que le savoir ne peut pas se développer sans sortir de son expérience première. Il place le concept de première expérience parmi les obstacles épistémologiques qui empêchent le transfert des connaissances vers des connaissances scientifiques.


Quant aux autres obstacles, ce sont selon lui:
- la connaissance générale ou la tendance à généraliser,
- l'obstacle verbal,
- l'obstacle de la connaissance unifiée (comme rendre tous les acquis à principe unique),
- l'empêchement biologique,
- et l'obstacle intrinsèque.
La rupture épistémologique selon Bachelard s'oppose à l'obstacle épistémologique. La transformation s'opère par le conflit avec l'ancien, c’est le conflit de la chimie lavoisienne, la mécanique non newtonienne, et la géométrie non euclidienne, Selon lui "L'histoire de la science est l'histoire des erreurs scientifiques."
Bachelard estime que pour suivre le rythme du développement scientifique, il faut abandonner l'adhésion à une méthode, car chaque méthode doit être prouvée correcte et tout doit être clarifié.


Thomas Kuhn

Bachelard a mis en avant l'idée que la science ne s'occupe pas de la "nature", mais qu'elle crée son propre sujet dans un contexte collectif. Il a anticipé certains aspects des philosophes des sciences anglo-saxons, orientés vers l'histoire comme Kuhn, Feyerabend.
Thomas Samuel Kuhn, né le 18 juillet 1922 à Cincinnati, dans l'Ohio et mort le 17 juin 1996 à Cambridge, dans le Massachusetts, est un philosophe des sciences et historien des sciences, américain.
Kuhn estime que l'une des difficultés auxquelles sont confrontés les historiens est la distinction entre les connaissances scientifiques et ce qui a précédé, ou ce que nous pouvons appeler les mythes non scientifiques, comme la comparaison entre la science de Newton et la science d'Aristote, si les connaissances dépassées sont considérées comme des mythes, cela signifie que les mythes peuvent être produits par les mêmes méthodes et qu'ils ont été respectés pour les mêmes raisons.

 

kuhn citation paradigm

Selon Kuhn, Il n'est donc pas possible de différencier historiquement ce qui est une pratique scientifique ou non scientifique, et il n'est pas possible de les comparer.
Kuhn considère l'histoire des sciences comme l'histoire de l'art, de la politique et de la religion ; une histoire de changements, et de ruptures, et pas une histoire de progrès ou de retard. Les changements qui se produisent sous la forme d'une révolution contre un ancien paradigme scientifique vers un nouveau paradigme. Kuhn définit le terme paradigme par "l'ensemble de lois, de techniques et d'outils associés à une théorie scientifique, qui les guident, et par lesquels les chercheurs pratiquent leur travail, s'avèrent se transformer en science ordinaire. »
Si une erreur survient, elle est renvoyée soit à l'exécuteur, soit à l'outil, ou une solution est trouvée sous le même paradigme. Si l'échec persiste, c'est la période de crise qui finit par inventer un nouveau paradigme.
De nouveaux paradigmes commencent à apparaître pour résoudre le problème. A ce stade, il y a deux paradigmes concurrents jusqu'à ce que le nouveau paradigme se transforme en une science normale prouvée.
Kuhn prévient qu'il n'est pas nécessaire que le nouveau paradigme soit plus correct ou qu'il explique plus, mais qu'il peut être le produit de nouveaux problèmes qui nécessitent une explication qui n'était pas nécessaire dans l'ancien paradigme, et donne un exemple de la gravitation de Newton par rapport à la physique d'Aristote.

 

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« La connaissance scientifique, comme le langage, dit Kuhn, est le bien commun profond d'un groupe ou de rien ; Pour le comprendre, nous aurons besoin de connaître les caractéristiques particulières des groupes qui existent. » C'est un indice important de la nécessité d'étudier la sociologie des sociétés savantes pour comprendre et évaluer le phénomène scientifique.
Kuhn refuse de considérer sa théorie du développement de la science comme une invitation au relativisme dans la connaissance scientifique ; Il voit que les membres de chaque communauté scientifique dans des environnements différents sont exposés à des problèmes différents, alors il compare sa théorie du développement de la science à la théorie de l'évolution biologique.

 

Feyerabend

Dans ses livres "La science dans une société libre », Feyerabend a défendu l'idée qu'il n'existe pas de règles méthodologiques immuables dont les scientifiques devraient se servir, et qui garantiraient la validité des. Selon lui, une "dose" d'anarchisme méthodologique ne pourrait être que profitable à la science.
Selon lui, la philosophie ne parviendra jamais à définir la science ni à distinguer entre le scientifique et le non scientifique, et que les prescriptions philosophiques doivent être ignorées par les scientifiques, s'ils visent le progrès en science.
Feyerabend attaque la compatibilité dans l'évaluation des théories scientifiques. Selon lui, une nouvelle théorie compatible avec une autre couvrant le même champ de recherche n'augmente pas sa validité.


Feyerabend rappelle qu'aucune théorie intéressante ne serait jamais en accord avec tous les faits. Il décrit la renormalisation en mécanique quantique : « Cette procédure consiste à rayer les résultats de certains calculs et à les remplacer par une description de ce qui est observé empiriquement. On admet ainsi, que la théorie est sujette à caution, en la formulant d'une manière qui implique qu'un nouveau principe a été découvert ».
La théorie de Copernic a été réfutée par le fait que les objets tombent verticalement sur terre. Il a fallu réinterpréter cette observation pour la rendre compatible avec la théorie de Copernic. Si Galilée a réussi à le faire, ce n'est qu'en se servant d'hypothèses et en procédant contre-inductivement. Les hypothèses ont de fait chez Feyerabend un rôle positif: elles permettent de rendre une théorie temporairement compatible avec les faits, en attendant que la théorie à défendre puisse être soutenue par d'autres théories.

 

Karl Popper

Karl Raimund Popper, né le 28 juillet 1902 à Vienne, en Autriche, et mort le 17 septembre 1994 à Londres, au Royaume-Uni, est un enseignant et philosophe des sciences du XXᵉ siècle. C'est un penseur anticonformiste qui, dans toutes ses œuvres, a invité à la réflexion, au dialogue et à la confrontation des idées.
Si Gaston Bachelard, khun et Feyeraband sont parmi les théoriciens les plus éminents de la rupture épistémologique. Tout cela soulève la question : Qu'est-ce que la science ?
Si les sciences, comme l'a dit Bachelard, « nous conduisent vers de nouveaux domaines avec de nouvelles méthodes », alors qu'est-ce qui distingue ce qu'on appelle la science ?
"Karl Popper", bien qu'il ne soit pas partisan d'une rupture épistémologique avec la science, ni partisan de l'accumulation quantitative, il voit que la science progresse cumulativement dans rejeter les erreurs les unes après les autres.

 

popper citation science hypothese


La vision de Popper peut représenter l'esprit de notre époque, une période de bouleversement scientifique ; Popper est mathématicien et physicien et une personne logique, il estime que la caractéristique logique des questions et des lois scientifiques est la possibilité de falsifier leurs énoncés et leur capacité à confronter des faits nouveaux. Les problèmes scientifiques sont des problèmes universels, pas des problèmes existentiels. Par exemple, tous les corbeaux sont noirs, il suffit à trouver un corbeau qui ne soit pas noir pour le réfuter.
Quant aux enjeux existentiels, ils sont comme « il y a un corbeau blanc ». Il décrit les enjeux existentiels comme non sujets au refus ou à l'expérimentation et les enjeux métaphysiques ; Mais la science évolue-t-elle ainsi ?

 

Conclusion

Gaston Bachelard est le fondateur du concept de rupture épistémologique, et il croit que l'histoire des sciences est fondée sur la rupture avec les anciens pour établir une voie nouvelle et différente.
Kuhn est d'accord avec lui, mais va plus; Bachelard explique le rôle des facteurs psychologiques dans la formation d'un nouvel esprit scientifique, Kuhn alerte sur le rôle des sociétés savantes dans le rejet ou l'acceptation des révolutions puis dans leur adhésion, et appelle à l'étude de la sociologie de la communauté scientifique. Feyeraband adopte le relativisme dans sa vision de la science et pense qu’il est impossible de décréter ce qui scientifique ou non scientifique .
Karl Popper considère la nature de la science, dont la forme diffère par une rupture épistémologique, pour trouver que la possibilité de falsification est le trait distinctif.

 

Références


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Chimisso, Cristina, Gaston Bachelard: Critic of Science and the Imagination, London: Routledge, 2001
Dagognet, Francois, Gaston Bachelard, sa vie, son oeuvre, avec un expose´ de sa philosophie, Paris: PUF, 1965
Lecourt, Dominique, Pour une critique de l’épistémologie (Bachelard, Canguilhem, Foucault), Paris: François Maspero, 1972
McAllester Jones, Mary, Gaston Bachelard, Subversive Humanist: Texts and Readings, Madison Wisconsin: University of Wisconsin Press, 1991
Therrien, Vincent, La Revolution de Gaston Bachelard, en critique littéraire, Paris: Klincksieck, 1970
Tiles, Mary, Bachelard: Science and Objectivity, Cambridge: Cambridge University Press, 1984