Bob Dylan, poète, littéraire et beaucoup de Rimbaud
Le prix Nobel arrive toujours en retard pour celui qui le reçoit, comme le disait G.B.Shaw.
Bob Dylan, prix Nobel de littérature 2016 a 75 ans cette année. Cette sélection est surprenante. Il est le premier artiste à recevoir ce prix pour un travail dédié entièrement à la chanson. Il a été honoré pour "avoir créé de nouvelles expressions poétiques au sein de la grande tradition de la chanson américaine."
Bob Dylan, pop music, troubadour moderne, contre-culture des années 1960, underground, presque le seul chanteur auteur-compositeur génial de musique populaire de la seconde moitié du xxe siècle, lumineux et tragique, viscéralement américain, blues, folk, country et rock.
Ni penseur, ni théoricien, mais lucide et sincère.
De son vrai nom Robert Allen Zimmerman, fils d'un commerçant juif, il naît à Duluth, dans le Minnesota, le 24 mai 1941.
Le public passionné ou agacé, se familiarise avec la polyphonie singulière qui ne choisit pas entre le chant et la parole, des mots chargés de sens à la limite parfois de l'incompréhensible où se mêlent ironie, colère, lyrisme et rage de vivre. Les protest songs en faveur de la paix, de la dignité ou des droits civiques sont contemporains de sa liaison amoureuse avec Joan Baez, la grande prêtresse du genre.
L'américain Bob Dylan et sa compatriote Joan Baez, à Londres, en 1965. Ils furent les plus populaires chanteurs de protest song.
Le lauréat du prix Nobel Toni Morrison a déclaré dans un communiqué que Dylan était "un choix impressionnant " "Grand choix " dit Joyce Carol Oates.
Dylan est déjà la seule star du rock à recevoir un prix Pulitzer (honorifique), et il n'a écrit qu'un seul livre, ses mémoires, "Chroniques : Volume 1"
Il est le premier Américain à remporter le prix Nobel de littérature depuis Morrison en 1993.
Ses chansons contestataires reflètent son aversion pour la guerre, pour l'ordre moral et les bien-pensants. Dylan n'est pas politique, il est dans une approche plus vaste que le point de vue idéologique. Il chante le bonheur et la colère, l'amour et la conscience que la vie n'est qu'un voyage solitaire.
Il est difficile de définir la poésie. Un poème dit une chose et en signifie une autre. C'est un texte personnel de rupture, des mots qui cherchent un sens qui dépasse le sens premier, des images qui dessinent un monde inventé. La poésie est rupture entre le poète, son environnement et les mots. Quant à la forme, la poésie est un jeu subtil de sonorité, de musique interne, de rythmes, et de rimes.
Dylan ne se dit pas écrivain ni poète, mais quand on crée avec les mots, quand on joue avec la langue, on suscite des images, puis des pensées et des émotions, on a le droit au titre de poète. Par le passé, la poésie étaient des mots chantés.
Dans son livre d'autobiographie, Chronique 1, Dylan écrit, " La créativité a beaucoup à voir avec l'expérience (apprentissage), l'observation et l'imagination. Si l'un de ces éléments clés est absent, cela ne fonctionne pas."
Ce livre offre aux lecteurs un aperçu de l'esprit de l'artiste. Parmi les premières influences, Dylan discute dans ses mémoires sa relation avec Suze Rotolo (la jeune fille sur la couverture du deuxième album de Dylan), The Freewheelin, les œuvres de Bertolt Brecht et Kurt Weill, Arthur Rimbaud, la musique de Robert Johnson.
Durant ses premières années, Dylan a été influencé par la poésie d'Allen Ginsberg et Lawrence Ferlinghett, par Paul Verlaine et Rimbaud. Ces deux poètes Verlaine et Rimbaud sont mentionnés dans plusieurs chansons.
Les films comme je ne suis pas là et de nombreux livres et articles sur Dylan laissent penser qu'il est un homme avec de nombreux masques. "Je est un autre", selon Rimbaud, permet à l'artiste d'échapper à la question d'identité. Il écrit : Quand je lis Rimbaud, les mots partent en cloches (musique).
Dylan a manifesté son intérêt pour d'autres auteurs que Rimbaud, comme T.S. Eliot cité dans plusieurs chansons, et Ezra Pound. Dylan les cite dans ses chansons mais il les critique aussi. " J'ai aimé T.S Eliot. Il valait la peine de le lire ".
James Joyce est une autre figure littéraire intéressante dans le monde de Dylan. Il explique dans ses Chroniques que James Joyce semblait être l'homme le plus arrogant possible, "il avait deux yeux grands ouverts et une grande faculté d'expression ".
D'autres figures littéraires dont les œuvres ont surgi dans le paysage de la musique de Dylan au fil des ans sont Lewis Carroll ( "Tweedle Dee et Tweedle Dum"), Anton Chekhov (Blood on the Tracks), Arthur Conan Doyle ( "Talkin ' John Birch Paranoid Blues "), F. Scott Fitzgerald (" Ballad of a Thin Man "et" Summer Days "), les frères Grimm (Highway 61 Revisited et" Sara "), Victor Hugo (" Desolation Row "), Herman Melville ( "115 e rêve de Bob Dylan" et "et voilà!"), Friedrich Nietzsche et Wilhelm Reich ( "Joey"), Junichi Saga (souvent cité sur Modern Times) et John Greenleaf Whittier ( "Scarlet Town").
Dans ses Chroniques, Dylan décrit ses liens avec les écrivains qui ont façonné ses idées, les penseurs des Lumières comme Voltaire, Rousseau, Locke et Montesquieu, les Modernistes comme Eliot, Fitzgerald et Faulkner, les romantiques comme Victor Hugo, les réalistes comme Balzac (que Dylan trouve "hilarant"), des théoriciens comme Nietzsche, Marx et les écrivains grecs et romains classiques comme Sophocle et Ovide. Il décrit également ses amours pour Byron, Milton, Coleridge, Shakespeare, Villon, Poe.
Dans son interview Playboy 1978, Dylan cite Chekhov son auteur favori, et Henry Miller comme "le plus grand écrivain américain, avec Hemingway et James Baldwin.
1
Blowin' In The Wind
How many roads must a man walk down
Before you call him a man?
Yes, 'n' how many seas must a white dove sail
Before she sleeps in the sand?
Yes, 'n' how many times must the cannonballs fly
Before they're forever banned?
The answer, my friend, is blowin' in the wind
The answer is blowin' in the wind
How many years can a mountain exist
Before it's washed to the sea?
Yes, 'n' how many years can some people exist
Before they're allowed to be free?
Yes, 'n' how many times can a man turn his head
Pretending he just doesn't see?
The answer, my friend, is blowin' in the wind
The answer is blowin' in the wind
How many times must a man look up
Before he can see the sky?
Yes, 'n' how many ears must one man have
Before he can hear people cry?
Yes, 'n' how many deaths will it take till he knows
That too many people have died?
The answer, my friend, is blowin' in the wind
The answer is blowin' in the wind
Combien de chemins un homme doit-il marcher
Avant qu'on l'appelle un homme ?
Oui, et à travers combien de mers, une colombe blanche doit-elle voguer
Avant qu'elle ne dorme dans le sable
Oui, et combien de fois est-ce que les boulets de canons doivent-ils voler
Avant qu'ils ne soient bannis
La réponse, mon ami, est dans le vent
La réponse est dans le vent.
Combien de fois un homme doit-il regarder vers le haut
Avant qu'il ne puisse voir le ciel ?
Oui, et combien d'oreilles est-ce qu'un homme doit-il avoir
Avant qu'il ne puisse entendre les gens pleurer ?
Oui, et il faut combien de morts avant qu'il ne sache
Que trop de gens sont morts
La réponse, mon ami, souffle dans le vent
La réponse est dans le vent
Combien d'années une montagne doit-elle exister
Avant qu'elle ne soit entraînée par la mer
Oui, et combien d'années est-ce que certaines personnes peuvent exister
Avant qu'ils ne puissent être libres
Oui, et combien de fois est-ce qu'un homme doit-il tourner la tête
En faisant semblant de ne rien voir
La réponse, mon ami, est dans le vent
La réponse est dans le vent
On retrouve dans ce texte une belle poésie composée d'images de voyages, de distance, pour nous envoyer subitement vers d'autres sens : les autres, la violence la mort, la souffrance. Des mots qui expriment au delà de leur sens. Chaque strophe est une question qui nous est posée et ces questions n'ont rien à avoir avec la question principale
2
Girl Of The North Country
If you're travelin' in the north country fair,
Where the winds hit heavy on the borderline,
Remember me to one who lives there.
For she once was a true love of mine.
If you go when the snowflakes storm,
When the rivers freeze and summer ends,
Please see she has a coat so warm,
To keep her from the howlin' winds.
Please see if her hair hangs long,
If it rolls and flows all down her breast.
Please see for me if her hair's hanging long,
For that's the way I remember her best.
I'm a-wonderin' if she remembers me at all.
Manytimes I've often prayed
In the darkness of my night,
In the brightness of my day.
So if you're travelin' the north country fair,
Where the winds hit heavy on the borderline,
Remember me to one who lives there.
For she once was a true love of mine.
Si tu passes là-bas vers le Nord
Où les vents soufflent sur la frontière
Rappelle mon souvenir à quelqu'un qui vit là-bas.
À la fille, qui fût mon amour
Si tu croises les troupeaux de rennes
Vers la rivière à l'été finissant
Assures-toi qu'un bon châle de laine
La protège du froid et du vent
A-t-elle encore ses blonds cheveux si longs
Qui dansait jusqu'au creux de ses reins
a-t-elle encore ses blonds cheveux si longs
C'est comme ça que je l'aimais bien
Je me demande si elle m'a oublié
Moi j'ai prié pour elle tous les jours
Dans la lumière des nuits de l'été
Dans le froid du petit jour.
Si tu passes là-bas vers le Nord
Ou les vents soufflent sur la frontière
Rappelles mon souvenir à quelqu'un qui vit là-bas.
À la fille, qui fût mon amour
Dans ce texte, les images défilent, sous forme de détails d'un lieu, d'un monde ancien, pour dessiner l'image centrale du texte : le souvenir tendre et bienveillant d'un amour passé. La musique country rend la chanson mélancolique et lente. Il avait 22 ans quand il a écrit cette jolie chanson romantique et nostalgique.
3
Mr Tambourine Man
Oui, danser sous le ciel de diamant avec une main s'agittant librement,
Silhouette sur la mer, entouré par les sables du cirque,
Avec toute la mémoire et le destin entraînée en profondeur sous les vagues,
Laissez-moi oublier aujourd'hui jusqu'à demain.
Il est possible de tracer un lien entre ce texte et le fulgurant poème de l'illumination de Rimbaud : " J'ai tendu des cordes de clocher à clocher ;
Des guirlandes de fenêtre à fenêtre ;
Des chaînes d'or d'étoile à étoile,
Et je danse. "
Le poète est libre, son imagination illumine ses nuits, le libère, c'est son passeport vers un monde où les autres n'ont pas accès.
4
Subterranean Homesick Blues
Gardez un nez propre
Laver les vêtements simples
On n'a pas besoin d'un homme de la météo
Pour savoir de quel côté le vent souffle
La poésie permet de dire au delà des mots, ce qu'il fait Dylan dans ce texte. Il utilise plusieurs images simples sans lien apparent pour inciter à la lucidité, voire au delà des apparences directes, à se faire un jugement par soi même, à regarder le ciel pour avoir une idée de la météo sans attendre monsieur météo nous annoncer la pluie et le beau temps
5
A Hard Rain's Gonna Fall," The Freewheelin' Bob Dylan, 1963
Je vais marcher dans les profondeurs de la plus profonde forêt noire
Lorsque les gens sont nombreux et leurs mains sont tous vides
Lorsque les boulettes de poison inondent leurs eaux
Lorsque la maison dans la vallée rencontre la prison sale et humide
Lorsque le visage du bourreau est toujours bien caché
Lorsque la faim est laide, où les âmes sont oubliées
Lorsque le noir est la couleur, là où il n'est le nombre
Et je le dis et je pense et parle et respire
Et refléter de la montagne afin que toutes les âmes puissent le voir
Ensuite, je suis sur l'océan jusqu'à ce que je commence à changer sinkin '
Mais je connais ma chanson avant que je commence à chanter Singin '
Selon Allen Ginsberg, cette chanson de protestation fut écrite dans le sillage de la crise des missiles de Cuba. Dylan révèle la sensibilité de l'écrivain face à l'injustice : d'abord une litanie des souffrances qu'il a vu (à la façon de T.S.F. Eliot) puis la promesse de prendre tout cela et de le transformer en art.
6
"The Times They Are a-Changin," The Times They Are a-Changin (1964)
Venez écrivains et critiques qui prophétisent avec votre stylo
Et gardez vos yeux écarquillés, la chance ne viendra pas à nouveau
Et ne parlez pas trop tôt pour le reste de la roue en mouvement
Pour le perdant, il sera désormais trop tard pour gagner
Car les temps sont un 'Changin'! (mouvement)
En bon poète, Dylan comprend que dans les temps de bouleversements sociaux, il est préférable d'être observateur que de tirer des conclusions prématurées.
7
"Ballad of a Thin Man," Highway 61 Revisited (1965)
Ah, vous avez été avec les professeurs et ils ont tous aimé vos regards
Avec de grands avocats que vous avez discuté des lépreux et des escrocs
Vous avez traversé tous les livres de F. Scott Fitzgerald
Vous avez très bien lu, cela est bien connu
Mais quelque chose se passe ici et vous ne savez pas ce que c'est
le sais-tu monsieur Jones?
Dylan a beaucoup lu, et a un esprit sceptique et un sens critique aiguisé. Combien de livres détiennent du bon sens ?
8
"Desolation Row," Highway 61 Revisited (1965)
Le Titanic navigue à l'aube
Et les cris de tout le monde
"De quel côté es-tu ?"
Et Ezra Pound et T.S Eliot
Les combats dans la tour du capitaine
Alors que les chanteurs calypso se moquent d'eux
Et les pêcheurs détiennent des fleurs
Avec ces paroles, il est difficile de dire exactement ce qu'il voulait dire quand il a écrit que les modernistes poètes Ezra Pound et T.S Eliot ont été "combattants dans la tour du capitaine." Mais les paroles peuvent être interprétées comme une critique des écrivains sophistiqués, érudits, mais abstraits et si éloignés de la vie des gens ordinaires.
9
"You're Gonna Make Me Lonesome When You Go," Blood on the Tracks (1975)
Les relations ont tous été mauvaises
Les miennes étaient comme celles de Verlaine et Rimbaud
Mais il n'y a aucun moyen de comparer
Toutes ces scènes pour cette liaison
tu vas me transformer en solitaire quand tu partiras.
Dylan cite ici ses deux grandes influences Arthur Rimbaud et Paul Verlaine.
10
" I Feel a Change Comin 'On ," Ensemble Through Life 2009
Je suis à l'écoute Billy Joe Shaver
Et je lis James Joyce
Certaines personnes me le disent
J'ai le sang de la terre dans ma voix
Dylan semble avoir des sentiments mitigés au sujet de James Joyce. Dans les Chroniques, Dylan dit de sa tentative de lire Ulysse: "Je ne pouvais pas faire peau ni les cheveux de celui - ci. James Joyce semblait être l'homme le plus arrogant, avait ses yeux grands ouverts et une grande faculté d'expression, mais je ne sais pas ce qu'il voulait dire. "
Ulysse est le genre de livre difficile que les gens veulent lire sans toujours arriver jusqu'à la fin du livre.
Beaucoup de fans citent déjà Dylan comme s'il était Shakespeare, il y a des cours sur lui dans les collèges et des volumes savants consacrés à ses chansons ;
"Blowin 'in the Wind" est un hymne de protestation des années 1960, mais sonne comme un psaume comme si cette chanson avait été énoncée par la tradition orale d'un autre siècle, avec les lignes comme "Combien de fois les boulets de canon doivent-ils voler avant qu'ils ne soient interdits pour toujours? "
Lors d'une conférence de presse 1965, on lui avait demandé s'il se considérait avant tout un chanteur ou un poète.
Dylan dira : "Je me vois plutôt un homme qui chante et danse."
Pourtant, il est un poète aussi.