Table de matière
- C’est quoi le Deuil ?
- Evolution du terme Deuil : plus de psychologie
- Le deuil dans la société occidentale actuelle
- Pas de deuil sans rites
- L’ évolution des rites
- Le rôle des rites
- Le deuil comme événement
- Être endeuillé
- Modification de la mort dans notre société
- Différents types de deuil
- La mort subite
- La maladie chronique
- La mort d’un enfant
- L’homicide
- Le suicide
- Les pertes multiples
- Le processus de deuil
- - Après le choc, la sidération
- - Le déni cognitif, le déni de la mort
- - Incrudilité
- - La colère
- - L’ agressivité
- Sentiments de culpabilité
- La dépression réactionnelle
- Les changements physiques
- Acceptation
- Fin du deuil
C’est quoi le Deuil ?
L’ expérience du deuil est une expérience universelle à laquelle sont confrontés un jour ou l’autre la plupart des individus, souvent mêmes à plusieurs reprises. C’est une expérience inhérente à la condition humaine.
Quand on évoque les mots perte et deuil, on pense à la mort qui est assurément une des plus grandes pertes possible, irréversible et incontournable.
Au cours de sa vie, l’ être humain subit de nombreuses pertes, qui l’entraînent sur le chemin du deuil. Une voie que chacun vit à sa manière, qui passe par des étapes largement partagées par les personnes endeuillées.
Le deuil est une réponse à la perte d’une personne significative dans votre vie, d’un être cher, une réponse psychologique et culturelle à cette perte qui retentit sur de nombreux aspects de votre vie, sur le plan physique, émotionnel ou relationnel.
Le deuil peut affecter les émotions, la santé mentale, le bien-être, les croyances, les valeurs et même les repères culturels. La santé physique peut également en souffrir.
Les endeuillés sont une population, dont la morbidité et la mortalité sont majorées. A. Sauteraud le rappelle : « les veuves et veufs ont un risque de mortalité qui double dans les 12 premiers mois. »
Sauteraud A : Vivre après ta mort : psychologie du deuil, Odile-Jacob, 2012
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Dans le vieux parc solitaire et glacé, Paul Verlaine, Fêtes galantes |
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Evolution du terme Deuil : plus de psychologie
Le mot deuil, ce terme dérive du mot latin « dolus », de « dolore » (souffrir) qui désigne au Xème siècle la douleur ou l’affliction.
Aujourd’hui, ce terme est utilisé dans le langage courant et par extension métaphorique. On l’applique à l’ensemble des pertes et des frustrations, réelles ou symboliques. La définition de ce terme a évolué au cours du temps avant d’arriver à cette définition populaire actuelle.
Au départ, il ne s’appliquait qu’au vécu d’une douleur physique et morale. Au moyen-âge, il désigne l’affliction provoquée par la disparition d’un être cher. Plus tard, Freud fait entrer dans le langage commun la notion de travail de deuil, développée par l’anthropologue Hertz, dans son ouvrage « Deuil et mélancolie » paru en 1917.
Hertz, donne la définition suivante :
« Le deuil est, d’ordinaire, la réaction à la perte d’un être aimé ou bien d’une abstraction qui lui est substituée, comme la patrie, la liberté, un idéal, etc. ».
Lagache, psychiatre et psychanalyste français, élargit en 1938, la notion de deuil à l’ensemble des rites de passage imposés par la vie collective.
Pour les anthropologues, le terme deuil se limite à l’expression publique du deuil. Les psychanalystes désignent le deuil comme l’ensemble des processus qui amèneraient à une diminution de l’intensité de la douleur liée à la perte dans une certaine limite de temps et de conséquences.
Le psychiatre anglais, J. Bowlby, en 1984, s’est opposé à cette définition en disant que le deuil désigne un grand nombre de processus psychologiques déclenchés par la perte d’une personne aimée, quel qu’en soit le résultat.
Bowlby J., Attachement et perte/3 : la perte. Paris : presses universitaires de France ; 1984. p.32
Hanus souligne la transformation des usages, le deuil devient un évènement de plus en plus individuel alors qu’il était auparavant surtout un évènement social. À présent le terme deuil reflète l’aspect intérieur de la perte et le travail intime qu’elle entraîne. Le deuil devient synonyme de ce travail psychique nécessaire pour accepter la réalité de la perte et y faire face.
Hanus Les deuils dans la vie, 1994, Maloine p.20
Certaines langues ont gardé des vocables différents pour traduire ces significations multiples. Les anglo-saxons ont un terme pour désigner la perte elle- même « bereavement », un autre terme pour parler de la douleur « grief » et un terme pour parler du processus de deuil proprement-dit « mourning ».
En français, le mot deuil désigne l’événement aigu que représente le décès d’un être cher, les signes extérieurs du deuil consacrés par la coutume, la période aiguë après le décès (appelée « travail du deuil ») et les sentiments et les émotions.
En français, on utilise plusieurs termes pour désigner ce processus : affliction pour désigner la perte, le deuil pour désigner l’aspect social, culturel ou émotionnel. D’autres termes sont parfois utilisés comme la peine qui indique la douleur d’autres pertes que les êtres humains, ou le chagrin.
Le deuil dans la société occidentale actuelle
Chaque deuil est unique selon l’âge, selon les liens avec le défunt, selon les cultures.
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Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, Victor Hugo, «Les Contemplations» (1856) |
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Pas de deuil sans rites
La mort et le deuil ont toujours fait l’objet d’un traitement social. Les premières sépultures ont vu le jour avec la possibilité de symbolisation de l’individu autour de 100 000 ans avant J.C et les premiers squelettes ensevelis avec des fleurs remontent à 50 000 et 10 000 faisant remonter les premiers rites funéraires à cette période.
Au moyen Âge, on prône l’expression de la douleur ; les acteurs de la mort sont nombreux : clercs, crieurs, embaumeurs, dépeceurs, veilleuses, pleureuses, couturières de linceuls, médecins. On retrouve un abondant héritage de prières, de textes et de musiques tels chants et requiem.
Au XVe siècle, l’Église va limiter les manifestations du deuil pour prôner plus de discrétion en conseillant, de se cacher derrière un chaperon noir ou d’éponger ses larmes à l’aide d’un mouchoir. Les traditions religieuses assignent des rituels précis et des lieux précis pour les morts.
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L’enfant dont la mort cruelle Lamartine, Harmonies poétiques et religieuses |
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L’ évolution des rites
Le vocabulaire qui entoure la question de la mort s’est modifié au cours du siècle dernier. Les expressions comme « se faire tailler un costume en sapin », « se rendre au royaume des taupes » ou « remercier son boulanger» ne sont plus des expressions courantes. Ce vocabulaire fleuri ne semble plus convenir à notre époque.
Aujourd’hui on ne badine plus avec la mort. Notre culture ne cherche plus à apprivoiser ni à accepter la mort, On l’évite, on essaie de ne pas y penser, et on exprime volontiers le désir de l’expurger. Cette censure de la question de la mort se retrouve dans le discours culturel, et dans la simplification des rites.
Aujourd’hui, les rituels sont présents, mais de moins en moins dans notre société occidentale.
On retrouve encore certains rituels de levée du corps et des obsèques, un code vestimentaire respectueux avec des couleurs foncées, la possibilité socialement reconnue d’interrompre son activité professionnelle, un comportement réservé, mais plus de veilleuses, plus de pleureuses, les condoléances présentées à la famille sont remplacées par un registre, les faire-part de décès ne sont plus systématiques, les funérailles se déroulent le plus souvent dans la stricte intimité.
L’Église s’est adaptée, en acceptant la cérémonie religieuse pour un défunt divorcé, remarié, homosexuel ou suicidé. En l’absence de prêtre, un membre laïque peut proposer une prière.
Les pompes funèbres sont de plus en plus présentes, remplaçant le noir traditionnel et imposant par des costumes bleu marine foncé s et des véhicules gris ou bleu foncé.
Le religieux quitte les rites progressivement, remplacé par le profane, et la musique qui accompagne les cérémonies, est parfois une musique classique ou une chanson, on ne cherche plus l’apaisement dans les paroles d’un prêtre bienveillant, ou dans l’écoute d’un requiem, mais chez un ami, chez le médecin ou le psychologue.
C’est également le cas pour les autres religions.
En occident, les rites funéraires sont destinés à soutenir les vivants et à leur permettre une expression respectée et partagée de leur douleur.
Une autre fonction du rite serait de permettre au sujet de dépasser plus facilement la première phase du travail de deuil à savoir le déni.
Les rites du deuil étaient plus rigides par le passé, d’aspect formel ne facilitant aucune expression émotionnelle ou affective. L’essoufflement de la ritualisation de la mort et du deuil s’accompagne d’une personnalisation grandissante.
Le rôle des rites
Les rites sont un ensemble de règles de caractère symbolique, une expression collective réglée par une mise en scène.
Pour les anthropologues, les rites funéraires ont essentiellement 3 fonctions :
1) Accompagner le corps et l’esprit du défunt durant ces périodes transitoires
2) Aider les survivants endeuillés dans l’expression de leur douleur
3) Ressouder la cohésion sociale mise en cause par la disparition d’un de ses membres
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Drapée en noir, la Mort Emile Verhaeren |
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Le deuil comme événement
Être endeuillé n’est pas seulement la tristesse ou le chagrin que tout sujet peut ressentir à l’annonce de la mort d’une personne, mais un processus qui survient lors de la perte d’un lien affectif, ce qui explique qu’au cours de sa vie chaque sujet sera amené à subir plusieurs deuils.
Le deuil est une blessure, pour certains une perte, pour d’autres une amputation d’une partie de soi. Il exige un long moment de cicatrisation et d’adaptation, car il est impossible de retourner à la situation antérieure.
Chaque personne vit l’expérience du deuil de façon unique, influencée par l’âge, la personnalité, la relation avec la personne défunte, les circonstances entourant la mort de l’être cher, le soutien ou le manque de soutien de l’entourage, les deuils antérieurs et les différentes expériences de vie.
Chaque individu vit le deuil différemment selon ses besoins pour faire face et s’adapter à cette perte, sans limite de temps.
Un deuil peut durer des semaines, des mois ou s’étaler sur plusieurs années. Certaines personnes vont vivre toutes les réactions courantes du deuil, d’autres n’en vivront que quelques-unes. Ce sont des situations difficiles à vivre, particulièrement lorsqu’il s’agit de la perte de son conjoint, d’un parent proche ou d’un ami.
Être endeuillé
Être endeuillé, c’est vivre en dépit de l’absence, de la perte et du sentiment d’abandon. Absence de l’autre, de sa chaleur, de ses bruits, de ses conseils.
L’endeuillé est comme une personne anesthésiée qui se plaint d’une perte sensorielle, d’une sensation étrange.
Selon les personnes , on parle de perdre un morceau de soi, d’un traumatisme difficile, d’une rupture qui exige une profonde adaptation.
Cette perte, cette blessure peut prendre un long moment de cicatrisation pour accepter que rien ne sera comme avant, l’impossibilité de retourner à la situation antérieure.
Le deuil peut provoquer un stress violent. Sur l’échelle des stress, la mort du conjoint arrive en tête. L’endeuillé peut se retrouver seul, sans protection, sans partenaire.
Ce stress peut révéler les points faibles de nos psychologies, mais aussi les points forts. Les réactions de la personne en deuil peuvent surprendre, ou déranger.
Après une perte de l’équilibre psychique liée au deuil, la personne met en place ses propres mécanismes de défense, et cherche ses propres points de repère dans une réaction légitime de survie.
L’endeuillé va suivre un processus de cicatrisation psychique, physique, sociale et émotionnelle, et une remise en cause spirituelle ou existentielle. Il faut tout ré organsier, le quotidien, les sentiments, les images et la mémoire en passant par des moments tolérables et par des moments sombres et tristes. Ce processus se termine un jour, mais la cicatrice sera toujours présente dans la mémoire, de moins en moins douloureuse.
Chaque individu vit le deuil différemment ; vous et vos proches pouvez avoir des besoins différents pour vous adapter à cette perte. Il n’y a pas de limite de temps pour faire son deuil. Il peut durer des semaines, des mois ou même s’étaler sur plusieurs années.
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Nous aurons des lits pleins d’odeurs légères, La Mort des amants- Charles Baudelaire |
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Modification de la mort dans notre société
La modification principale du rapport au deuil et à la mort actuellement dans notre société irait dans le sens d’un glissement du caractère collectif du deuil vers un caractère individuel
- Nous sommes créatifs
Le rapport à nos proches ne s’est pas rationalisé après le recul des traditions religieuses, par contre, le vivant semble faire preuve d’une très grande inventivité au sujet des morts : Enterrement avec musiques et chansons, enterrement virtuel, etc. Nous avons des idées nouvelles vis-à-vis de la mort influencée par notre vision de la mort, des soins palliatifs et de la fin de vie. La mort quitte le religieux, le vivant compte plus que le défunt, le souvenir devient plus important que le corps .
- Inventer des Rites
Les rites de deuil duraient longtemps dans le passé, suivant des règles rigides. En occident, l’expression émotionnelle et affective du chagrin n’était pas encouragée.
L’essoufflement de la ritualisation de la mort et du deuil a laissé place à une personnalisation des rituels, une disparition et simplification des rites d’hier. Cependant, les usages nouveaux restent peu codifiés, et culturellement mal assimilés. On aperçoit une fusion lente entre l’ancien et le nouveau.
- Questions d’époques
La simplification actuelle du deuil peut être une réponse au deuil pénible et rigide du XIXe siècle qui plaçait le mort avant les vivants et le social avant l’émotionnel.
- Professionnalisation de la mort
À notre époque, la mort n’est plus une affaire de famille, elle est sous l’influence d’institutionnalisation et professionnalisation : 70 % des décès en France ont lieu en milieu institutionnel après le développement des soins palliatifs. Par le passé, les médecins et le corps soignant avaient une relation brève avec la mort, ils se retrouvent maintenant en première ligne.
L’émergence des soins palliatifs témoigne de notre désir de supprimer au maximum la souffrance, la douleur physique et morale.
Le progrès de la médecine a fait croire à des progrès sans fin, le désir d’immortalité s’accompagne d’un rejet de la mort.
En face de l’impossible immortalité, la société médicalise, institutionnalise et professionnalise la mort, à la recherche d’une « bonne mort à défaut d’une belle mort».
- Moins de religieux
La baisse de l’influence de la religion change notre rapport à la mort, et entraine une diminution des rites funéraires.
L’absence de rites funéraires était autrefois réservée aux suicidés et aux criminels, il devient à notre époque un choix assumé et accepté. La religion ne joue plus un rôle déterminant dans les rites.
- Individualisation de la société
L’individualisation a joué un rôle dans la modification de notre rapport à la mort. La société voit la mort comme un événement de plus en plus maitrisé.
Cependant, l’individualisme peut engendrer isolement, déresponsabilisation et même une relative rupture des solidarités familiales.
Nous voyons aussi des solutions hybrides, cultiver l’individualisme et réagir « à l’ancienne » face à la mort, offrant sa solidarité et son empathie.
Impact de la perte du caractère social du deuil
Le sens de la vie est une question existentielle, philosophique incontournable pour les endeuillés.
Cette confrontation à la mort pour l’endeuillé sans une prise en charge du groupe, peut compliquer le travail de deuil.
Par exemple, les deux jours de congé suite au décès d’un conjoint ou d‘un enfant, ou un seul jour pour le décès d’un parent sont en contradiction avec le temps nécessaire pour le deuil.
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Voici trois ans qu’est morte ma grand’mère, La grand’mère - Gérard de Nerval |
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Différents types de deuil
La manière dont la personne a disparu peut avoir une répercussion sur la manière de vivre le deuil. Il existe de nombreuses sortes de deuil.
La mort subite
La mort qui survient de façon subite est un événement particulièrement difficile. Les personnes n’ont pas eu le temps de s’y préparer ou de faire leurs adieux. Les réactions et les sentiments peuvent être intenses, et difficiles à vivre.
Ressentir de la culpabilité, se sentir inutile, en colère, pleurer, avoir le sentiment d’être désorganisé, se sentir engourdi.
De nombreuses familles qui ont vécu l’expérience de la perte soudaine
d’un être cher, ont confié avoir eu besoin de soutien de la part de leur famille, leurs amis et leur entourage.
Pouvoir partager ses sentiments avec une personne en qui on a entièrement confiance, ou pouvoir obtenir de l’aide supplémentaire [individuellement ou en groupe] peut faire toute une différence.
La maladie chronique
Après le décès d’un être cher au terme d’une maladie chronique, l’expérience du deuil sera différente.
Le deuil se fait sur une longue période au fur et à mesure que la maladie progresse : perte de l’idéal de santé, changements de l’image corporelle du malade, perte de la liberté et de l’indépendance.
Au fur et à mesure que la maladie progresse, l’entourage commence à accepter que la mort est inévitable. Parfois, le déni d’une fin inévitable peut s’installer, et lorsque la mort arrive, c’est alors tout de même un choc.
Mais le plus souvent, les familles sont surprises de ressentir un sentiment de libération lorsque l’être cher décède, accompagné d’un sentiment de solitude.
La mort d’un enfant
Perdre un enfant est l’une des pertes les plus difficiles à vivre. Les réactions et les sentiments sont d’une grande intensité.
De nombreuses familles qui ont vécu la perte d’un enfant ont fait part de leur besoin d’avoir un soutien de leur famille, leurs amis et leur entourage. Il n’y a sans doute pas d’expérience plus difficile pour un parent que de perdre un enfant, quel que soit l’âge de l’enfant, quelle que soit la cause de son décès, cela semble injuste, même irréel.
La perte d’un enfant dans notre société est perçue comme un événement des plus tragiques, et cette perte peut affecter tous les rapports avec l’entourage, que ce soit avec le conjoint, avec les autres enfants et aussi avec l’entourage.
L’homicide
Perdre un être cher suite à un acte criminel ou violent est dévastateur. Dans de telles circonstances, le deuil peut être perturbé par un certain nombre de facteurs [par exemple, la couverture médiatique, les réactions des autorités responsables de l’application de la loi, la manière dont la famille et les amis réagissent].
Colère, frustration, incompréhension, injustice.
Dans le cas d’un homicide, il faut surmonter le deuil, et affronter des éléments qui rappellent constamment la manière dont l’être cher est décédé : procès, peine de prison ou libération conditionnelle du meurtrier, etc.
Le suicide
Le suicide d’un être cher peut être source d’un fardeau supplémentaire pour les amis et la famille.
Des émotions intenses surgissent comme la culpabilité, la honte, la colère, mais aussi de la frustration ; chacun cherche à comprendre les motivations de ce suicide. Il est difficile de se rappeler les bons moments vécus dans ce questionnement.
Pour beaucoup de personnes, le suicide est déshonorant ou un acte suspect, certains évitent les familles de suicidés, d’autres les blâment, ou les jugent.
Les pertes multiples
La personne peut être submergée par les émotions en cas de perte de plusieurs êtres chers en peu de temps, ayant l’impression de ne pas encore avoir eu le temps de faire son deuil.
Les sentiments et les réactions semblent se confondre. Elle se sent vidée, incapable de se concentrer. Une deuxième perte devient difficile à comprendre.
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Puisque je ne pouvais m'arrêter pour la Mort — Nous passâmes l'École, où les Enfants s'efforçaient Ou plutôt — c'est Lui qui Nous dépassa — Emilie Dickinson |
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Le processus de deuil
Les expériences du deuil ne sont pas toutes vécues de la même façon. Il n’existe pas de modèle unique, mais un processus propre à chaque individu. On peut esquisser schématiquement les étapes les plus présentes dans ces expériences douloureuses.
- Après le choc, la sidération
La sidération est l’impossibilité d’analyser l’information. La personne est figée par l’inattendu.
Elle est la première phase lors de l’annonce du décès. La personne reste comme hébétée, figée, incapable de présenter une quelconque réaction. À l’annonce de la nouvelle de la perte, la personne ressent un choc dont l’intensité sera liée à l’imprévisibilité de l’événement, à sa proximité avec le décédé. On est comme tétanisé ou on peut ressentir une sensation de froid et même être pris d’un rire ou d’une crise de larmesincontrôlables.
La sidération est un processus de sauvegarde pour échapper aux émotions et à la mort. Cette phase de sidération permet d’accueillir mentalement cette information au goutte-à-goutte.
- Le déni cognitif, le déni de la mort
Après l’effet paralysant du choc se met généralement en place, sur le plan psychologique, un processus de déni cognitif, qui protège l’endeuillé d’un envahissement émotionnel trop intense et se manifeste par la négation de la réalité de la perte, comme les blessés physiques graves (par exemple amputés d’un membre) : l’impact du traumatisme ne permet pas de ressentir la douleur immédiatement, et ce n’est que graduellement que la sensibilité revient.
Le déni s’apparente à une forme d’anesthésie émotionnelle qui permet de prendre les choses en main et de parer au plus urgent comme organiser les rites funéraires ou faire face aux conséquences immédiates.
C’est le refus complet de reconnaître la réalité d’une perception traumatisante.
- Incrudilité
L’incrédulité suit les deux premières phases, qui passent souvent très rapidement. La personne est partagée entre le réel et le fait de ne pas y croire (travail de ses affects qui refusent cette nouvelle)
- La colère
Progressivement, les émotions vont revenir, et c’est la colère [ou protestation] qui risque de se manifester en premier, induite par un senti ment d’abandon, de manque, d’injustice et de solitude.
La douleur créée par cette annonce devient de plus en plus intense. Beaucoup de personnes ressentent de la colère après la mort d’un être cher. Certaines sont en colère contre la personne décédée, surtout en cas de suicide ou de comportement risqué.
D’autres en veulent à Dieu, à un pouvoir d’une force supérieure ou à un être spirituel selon leur foi.
Certains vont exprimer leur colère à travers des mots, d’autres à travers des actes. Par exemple, ils peuvent s’en prendre aux amis, à la famille, aux professionnels de santé ou à d’autres personnes comme les survivants d’un accident.
- L’ agressivité
L’individu va réagir avec agressivité envers tout son environnement immédiat et particulièrement vis-à-vis de celui ou de celle qui vient annoncer le décès. Les premiers moments de stupeur passés, l’individu va essayer de repousser la réalité hors de lui par une réaction violente, espérant que cette information ne l’atteindra pas ou ne le submergera pas.
Il arrive que la personne ayant subi la perte cherche un bouc émissaire et dirige sa colère contre le responsable du décès, contre le médecin, ou contre soi-même. Elle peut aussi éprouver de la peur, voire une angoisse et un sentiment d’incapacité à affronter la situation, car son monde vient brusquement de se modifier.
Sentiments de culpabilité
La personne peut exprimer un sentiment de culpabilité vis-à-vis de la personne disparue, par des reproches adressés à elle-même ou des regrets. Je suis coupable du décès, je suis coupable de ne pas l’avoir empêché. Je me rends compte que je suis coupable, responsable.
Le sentiment de culpabilité est l’élément central autour duquel peut se fixer tout le travail de deuil. Ce sentiment peut être destructeur, car, dès qu’il survient, il se nourrit très facilement de tous les reproches entendus.
La personne peut se faire des reproches lorsqu’elle pense qu’elle est sortie de la règle morale imposée par l’environnement, intériorisée à travers les interdits culturels, religieux et sociaux.
Certaines personnes pourraient vouloir blâmer une personne [par exemple, un ami, un membre de la famille, un professionnel de santé] ou autre chose [comme le système de santé] pour tout ce qui est arrivé.
Le sentiment de culpabilité peut être créé par les reproches adressés par l’environnement, par des phrases accusatrices ou par des comportements.
La dépression réactionnelle
S’ensuit une période plus ou moins longue de dépression qui se caractérise par une réaction émotionnelle intense et profonde de tristesse, de chagrin, de désolation et d’impuissance, avec l’impression que le deuil ne finira jamais.
Humeur négative, inhibition de l’élan vital, anxiété exacerbée, labilité du caractère, troubles du sommeil [insomnie ou hypersomnie], rêves, cauchemars, fantômes, idées bizarres, somatisation.
Cette étape est décisive, difficile à supporter tant pour la personne que pour l’entourage.
Dans ce type de dépression, l’état de tristesse est prédominant alors que le ralentissement psychique et physique est peu marqué, à la différence de la dépression ordinaire.
L’anxiété est intense, mais la réactivité aux événements extérieurs persiste. La dépression va durer de nombreuses semaines ou mois avec de grandes variations dans l’intensité.
Il s’agit d’accepter et d’intégrer la perte, d’accepter et de faire face.
Durant cette étape, la personne endeuillée a besoin de soutien, de l’affection de ses proches qui devraient l’écouter et de l’inciter à prendre soin de sa santé. Le stress provoqué par le deuil peut engendrer des complications graves.
Les changements physiques
Le deuil peut drainer toute votre énergie. Il peut modifier le sommeil, provoquant de l’insomnie, de la lassitude, de l’épuisement, et même des cauchemars. L’endeuillé peut perdre ou prendre du poids à cause de variation dans l’appétit. Certaines personnes peuvent souffrir de problèmes digestifs [nausées, vomissements, diarrhée ou constipation].
D’autres personnes se plaignent de maux de tête, de douleurs, ou de manque d’énergie.
Acceptation
S’installent d’abord une acceptation intellectuelle où l’endeuillé réalise que ce qui s’est passé est inéluctable, puis une acceptation globale au moment où la perte est complètement intériorisée. L’acceptation n’est pas une démission, mais le franchissement d’un seuil nouveau, se pardonner à soi-même ou aux autres de ne pas avoir pu empêcher la perte. C’est une création d’une identité différente, un lien nouveau permettant la ré alliance avec le défunt et avec sa mémoire.
Fin du deuil
On identifie le terme ou fin du deuil quand des désirs de renouveau sont acceptés consciemment et même recherchés et que la personne est à nouveau disponible pour de nouveaux attachements ou de nouveaux projets.
Il n’existe pas réellement de fin du deuil. On peut parler d’étape nouvelle quand l’endeuillé a trouvé un nouvel équilibre sans trop de tristesse. Cette étape sera atteinte quand le sentiment de culpabilité sera levé. L’être perdu prendra une place nouvelle. Son souvenir s’intégrera dans la mémoire historique de la famille.
Une fois le processus de deuil achevé, la perte peut prendre sens à nouveau. C’est le fait de prendre conscience de tout ce qu’on a reçu de la relation avec la personne disparue.
Il peut arriver que certains deuils soient plus difficiles à réaliser.