Les films sont une construction culturelle et ne reflètent pas la réalité, mais essaient de dessiner une réalité vraisemblable.
La sociologie et le cinéma entretiennent des liens ambigus : ils traitent souvent des mêmes objets, mais avec des points de vue, des méthodes et des objectifs différents. C'est également le cas de la littérature, un mélange subtil et complexe de sociologie et de psychologie dans un jeu de style. Dans ce sens, le cinéma est une voie d'accès à la connaissance du réel. Certains films marquent une époque, sont l'image d'un moment ou d'une tendance, deviennent un document comme une vieille photo de vacances. Il est difficile de nier le caractère sociologique de certains films comme Les Temps modernes de Chaplin.
Nous avons choisi certains films pour tracer l'évolution de notre société, des films qui ont eu le privilège d'avoir le succès populaire et la capacité de résumer un mouvement sociologique.
1- Quatre Mariages et un enterrement
Avec Hugh Grant , Andie MacDowell , Kristin Scott Thomas, réalisé par Mike Newell en 1994.
Le passage où Hugh Grant abandonne la future mariée devant l'autel est devenu une scène d'anthologie. Grant est un homme qui refuse de se marier, acceptant le scandale, l'humiliation publique pour lui et pour la future mariée, il fait le choix de l'amour en sacrifiant les apparences sociales. À la sortie du film, cette scène est remarquée, inattendue, politiquement incorrecte. Un geste misogyne et irresponsable ? Un geste d'amour et de romantisme qui distinguent l'homme moderne ?
Ce film rappelle la fin de la masculinité traditionnelle héritée du 19e siècle, définissant l'homme par ses devoirs. L'homme devrait veiller au respect des conventions sociales pour être apprécié dans la société, devrait se comporter comme " un homme ", devrait négliger ses propres sentiments et ses propres intérêts pour le bien de sa famille et de la collectivité. Après deux guerres, où les hommes avaient payé le prix fort, les années 60 voient l'apparition d'un homme nouveau, qui sera capable dans les années 90 de rejeter les conventions sociales pour chercher son propre bonheur. Entre individualisme et hédonisme, le cinéma des années 2000 nous montre cet homme occidental moderne, qui refuse d'être sacrifié par la société pour le couple. Les femmes se trouvent en face d'un homme qui revendique ses droits au-delà du couple. Certaines femmes critiquent cet homme nouveau, irresponsable, sans virilité traditionnelle, immature, et irresponsable. D'autres voient une évolution inéluctable dans une société individualiste.
2 - Vous avez un message
Un film de 1999, réalisé par Nora Ephron, avec Tom Hanks et Meg Ryan,
Dans un scénario de romance, un homme et une femme vont s'apprécier sur internet, dans une relation virtuelle et vont s'affronter dans le réel. L'intrusion des moyens modernes de communication allait métamorphoser les relations hommes-femmes et la naissance des couples. En dehors du couple, hommes et femmes s'affrontent également dans une compétition professionnelle. Le couple devient un défi.
Dans trois films, Meg Ryan va dessiner les contours de la rencontre et de la relation entre un homme et une femme dans la société occidentale. Dans Quand Harry rencontre Sally (1989, film réalisé par Rob Reiner avec Billy Crystal), le spectateur réfléchit en souriant sur la fragilité du couple moderne, sur la difficulté de rester neutre en face de la séparation avec ses années de deuil et de frustration.
Dans le film suivant " Vous un avez un message ", l'amour triomphe, comme toujours dans les films de romance, mais dans une société différente, où les grands phagocytent les petits, où les commerces ferment sous la pression des grands magasins, laissant les quartiers et les centre-ville vides et sans activité. Le couple devient refuge, havre de paix dans une société anxiogène.
Dans le film " Nuits blanches à Seattle " 1993, réalisé par Nora Ephron
avec Meg Ryan et Tom Hanks, nous restons sur le même sujet. Nora Ephron nous raconte la difficulté de rencontrer, de trouver la (le) partenaire, de construire un couple dans une société où il est plus probable d'être tuée dans un attentat que de trouver un homme.
À travers ces trois romances, Meg Rayn désigne ce changement sociologique radical, le couple devient fragile, devient rare en raison de l'évolution de la société et des changements de rôle. Les femmes ne sont plus prêtes à tout sacrifier pour le couple, les hommes non plus. Pourtant, dans un monde de solitude et d'isolement, l'autre devient plus précieux, plus indispensable que jamais.
3- La vie est un long fleuve tranquille
Un film d'Étienne Chatiliez, réalisé en 1988, avec Benoît Magimel, Valérie Lalande et Tara Römer.
Dans une petite ville vivent deux familles aussi différentes que possible, aussi caricaturales que possible. Le réalisateur réussit un film devenu culte, aux dialogues devenus proverbiaux (c'est lundi, c'est raviolis "), et chanson humoristique (Jésus revient), caricatures cruelles, et une sociologie fine.
Le film nous dévoile une société coupée en deux quartiers inconciliables, séparés par des policiers. La différence se manifeste par le comportement et le langage, par l'argent, et par la culture.
À chacun de choisir son quartier, ses traditions et sa tribu. Mais Momo devra manier deux identités presque antagonistes comme sa sœur. Voilà le problème.
Dans d'autres films, Chatiliez, dessinera dans Tatie Danielle (1990) une caricature sans nuances d'une nouvelle génération de personnes âgées en France, de retraités riches et en bonne santé, qui refusent d'être infantilisés ou marginalisés.
Dans son film Tanguy (2001), c'est le nouveau jeune qui sera caricaturé, le jeune qui ne veut plus quitter ses parents, les jeunes adultes immatures, qui veulent rester enfants, insupportables pour les parents. Ils refusent la responsabilité, incapables d'affronter le monde réel et la société anxiogène.
Chatiliez est le réalisateur qui a réussi un pari difficile : décrire la société et son époque sans céder à la pensée dominante, en faisant rire et en invitant à la réflexion.
4- Lost in translation
De Sofia Coppola en 2003, avec Bill Murray, Scarlett Johansson, Giovanni Ribisi
Si vous passez quelques jours au Japon, vous allez comprendre combien Coppola a réussi à montrer l'étrangeté de Tokyo par le prisme d'un regard occidental, ville fascinante, dérangeante, anxiogène et déroutante. Il est difficile de comprendre le Japon en utilisant les repères occidentaux.
Lost in Translation est un film sur l'intimité sociale dans un environnement hostile. Le titre fait référence à la mauvaise compréhension de la communication interpersonnelle.
Charlotte (Scarlet Johansson) est incapable de communiquer émotionnellement avec son mari, préoccupé par sa carrière pour reconnaître les besoins sociaux de Charlotte et ses insécurités.
Marié, couronné de succès et approchant du crépuscule de sa carrière, Bob (Bill Murray) a perdu le sens de sa vie, guidée par des réalisateurs, par des hommes d'affaires et par sa famille. Il est désintéressé par le Japon, et par toute forme d'interaction sociale.
Bob et Charlotte se rencontrent. Leur solitude les relie et ils peuvent trouver un réconfort immédiat dans la compagnie l'un de l'autre. Ils sont capables de se comprendre. Bob danse et chante toute la nuit avec Charlotte. Bob aide Charlotte à faire face à ses insécurités en lui donnant l'interaction sociale dont elle a besoin et en lui faisant comprendre que même si la vie à son âge est remplie d'obstacles, elle " s'améliore ".
Charlotte pose doucement la tête sur l'épaule de Bob après une longue nuit d'activités festives, Bob ramène Charlotte endormie dans sa chambre. Ces scènes fournissent un sentiment de compréhension qu'aucun mot ne peut exprimer.
Lorsque Bob embrasse passionnément Charlotte à la fin du film, tout en chuchotant silencieusement à l'oreille alors qu'elle pleure son départ, nous sentons intimement leur affection et leur douleur.
Ce film nous rappelle un trait important de notre société. L'occident ne comprend pas toujours les autres, les occidentaux n'arrivent pas toujours à se comprendre, et vivent dans un isolement social douloureux. Nous ne validons pas les besoins des autres, nous recevons des autres la même invalidation accompagnée de leur indifférence.
5- Le Fabuleux destin d'Amélie Poulain
De Jean-Pierre Jeunet, 2001 avec Audrey Tautou, Philippe Beautier, Régis Iacono
Il n'est pas étonnant de trouver dans les livres de psychologie positive des exemples de productions culturelles traduisant et renforçant cette notion de psychologie positive en vogue en occident depuis plusieurs années. Le film " le Fabuleux destin d'Amélie Poulain " y figure en bonne place.
Un des fondateurs de la psychologie positive Martin Seligman écrit : " Renforcer la force humaine : c'est une mission oubliée de la psychologie ".
Avant la Seconde Guerre mondiale, la psychologie avait trois missions : guérir la maladie mentale, rendre la vie personnelle plus épanouissante, et identifier et encourager les talents. Pendant des années, la psychologie se consacrait essentiellement au traitement des troubles mentaux négligeant les autres missions : améliorer la vie personnelle et nourrir les facultés positives de chacun.
Si vous devez raconter le comportement de personnes bloquées un vendredi soir dans un aéroport en raison de mauvais temps, vous avez le choix. Vous pouvez décrire des voyageurs irrités, râleurs, agressifs, et déprimés. Vous pouvez aussi décrire le positif, comme ce chanteur bloqué avec les voyageurs qui a pris sa guitare pour improviser un récital faisant chanter et applaudir les voyageurs, ou détailler l'histoire de l'hôtesse qui reste après la fin de sa longue journée de travail pour distraire les enfants et les calmer en regardant la neige. La réalité sincère serait de décrire les deux visages de cet événement et de montrer comment le positif peut nuancer le négatif. C'est le but de la psychologie positive, héritière à la fois de la psychologie et de la philosophie occidentale.
Le film Amélie poulain est une dose agréable de psychologie positive, et cultive certains talents humains utiles pour améliorer la qualité de vie et pour vivre heureux. Amélie est curieuse des autres, elle aime bien aider. Elle réussit à sortir son père de son isolement, à aider sa voisine à faire son deuil, à calmer l'épicier. Quand il s'agit de sa propre psychologie, elle est encouragée et aidée à dépasser sa timidité, pour accepter la joie de vivre, et initier une vie amoureuse.
La réussite du film dépend du son sujet, d'une association réussie de talents, et également de la bonne réception du public.
La réussite de ce film agréable et optimiste souligne l'accueil favorable du public face à ces tendances de la psychologie positive à éclairer le bon, le beau et le génial de nos vies.