Table de matière
La littérature japonaise s’étend sur 2000 ans d’écriture. Les premiers textes étaient fortement influencés par la littérature chinoise. Le Japon a développé par la suite, sa propre langue, son orthographe puis une écriture et une littérature différente de la littérature chinoise.
Lorsque le Japon a ouvert ses ports à la négociation et à la diplomatie occidentale au 19e siècle, la littérature occidentale a eu un effet important sur les écrivains japonais, cette influence demeure visible aujourd’hui.
En raison des différences linguistiques et culturelles profondes, beaucoup de mots et de phrases japonaises ne sont pas traduisibles.
Bien que la littérature japonaise et les auteurs japonais soient de mieux en mieux connu en occident, la littérature japonaise classique est mal connue et peu étudiée.
La littérature japonaise a une place particulière en France, depuis la deuxième guerre mondiale. Editeurs et lecteurs français semblent apprécier cette littérature, sont devenus de plus en plus familiers avec les auteurs japonais.
Cette découverte de la culture japonaise est encore partielle.
L’image du Japon est celle d’un pays simple, homogène, et linéaire. C’est une image simpliste, et erronée.
Le lecteur occidental continue à lire dans la littérature contemporaine japonaise des choses qui n’y sont plus.
Après une période de transition des années 1960 à 1980, période d’expansion économique, le Japon est devenu plus proche des pays occidentaux qu’on ne l’imagine.
La spécificité japonaise est une idée ancienne en économie, en style de vie comme en littérature. Un écrivain japonais a plus de proximité avec la culture occidentale qu’avec les cultures de ses voisins asiatiques. Cependant, les racines de cette littérature sont éloignées dans le temps.
Modernité
A la fin du 19ème siècle, la langue japonaise ne contenait pas de mot spécifique pour désigner la littérature.
Au 19ème siècle, la modernisation du Japon incluait une révolution culturelle et philosophique. Cette mutation se met en place; entre 1885 et 1895 des périodiques «littéraires » apparaissent, la rubrique « Littérature » trouve sa place dans les journaux et les médias de l’époque.
Des cercles d’écrivains se constituent. Les genres littéraires tendent d’acquérir une égale dignité.
C’est dans ce contexte que s’opère la promotion des formes narratives fictives, qui vont tendre à rattraper, voire à supplanter, les genres poétiques considérés, dans le passé, comme nobles.
La publication en 1885-1886 de l’essai de Tsubouchi Shôyô, «L’essence du récit», marque un repère important. Le roman, selon certains, doit désormais prendre pour objet les «sentiments humains» et les «moeurs du temps», à l’opposé du privilège accordé au divertissement et à l’imaginaire par la littérature d’Edo.
D’autres auteurs, tel Mori Ôgai dans La danseuse en 1890, recherchent dans les ressources de la langue classique les moyens de décrire des expériences contemporaines comme celle de la grande ville étrangère.
Brusques différenciations
Les pratiques poétiques vont connaître des mutations brutales. Même si les rythmes anciens sont préservés, le haïku, né du haikai, devient une poésie descriptive, alors que le tanka issu du waka, se situe dorénavant dans le cadre de la poésie lyrique.
Yosano Akiko par exemple libère une sensibilité féminine dans le recueil “Cheveux emmêlés” en 1901. De manière plus générale, on assiste à un redécoupage de la carte des discours politiques. Le «national» se différencie nettement du « mondial ».
Il se caractérise par l’utilisation (emploi), au moins partiel, des signes graphiques syllabiques autochtones.
Après une embellie au début des années 1890, toute la pratique des textes sino-japonais (écrits exclusivement à l’aide de caractères chinois), pourtant primordiale dans l’histoire du Japon, se trouve rejetée.
De la même manière, les discours savants se différencient des textes littéraires. Alors que l’université aborde les disciplines liées aux sciences humaines et sociales, comme l’histoire ou la philosophie, toute une pratique érudite vagabonde, qui s’illustrait dans la forme spécifique de « l’essai au fil du pinceau », se trouve brusquement abandonnée dans les recoins poussiéreux des bibliothèques.
Ces bouleversements s’accompagnent de la découverte de thématiques nouvelles, comme celles que pointe Kôjin Karatani dans «Les Origines de la littérature japonaise» : le paysage, l’intériorité, la confession, la maladie ou l’enfance.
L’autobiographie entre en scène avec “La Vie du vieux Fukuzawa” racontée par lui-même, de Yukichi Fukuzawa en 1898, puis les récits de la vie privée.
D’autres changements connexes se produisent, comme la mise en place d’une histoire littéraire nationale, la promotion de l’auteur, l’émergence de la critique, la réorganisation des structures de diffusion (presse, édition), la constitution d’un lectorat nouveau à la suite des réformes éducatives, et surtout une mutation profonde de la langue et de son écriture dont témoignent éloquemment les débuts de Natsume Sôseki avec “Je suis un chat” en 1905.
Révolution silencieuse au coeur de la féodalité
L’ouverture diplomatique progressive de l’Archipel, consécutive aux pressions américaines de 1853-1854, a conduit à une ouverture intellectuelle.
Des romans, des poèmes occidentaux furent traduits, des théories présentées. Mais ces nouveautés n’arrivèrent que lentement dans un Extrême-Orient endormi dans ses traditions.
Pourtant, en plein coeur du 18ème siècle, dans un pays supposé « fermé » et « féodal », des mutations importantes eurent lieu.
À côté d’un certain effort pour déchiffrer la langue hollandaise, traduire et comprendre des ouvrages scientifiques occidentaux, les études dites “nationales” permirent une redécouverte des plus anciens textes japonais. Ils apparurent désormais comme les vestiges précieux d’un temps rêvé où la civilisation de l’Archipel était hors de l’influence du modèle chinois.
L’hégémonie de la référence continentale qui dominait la culture japonaise depuis l’époque de Nara au 8ème siècle était battue en brèche. De nouveaux horizons de penser devinrent dès lors concevables, à l’intérieur même d’un pays presque complètement fermé au monde extérieur sur le plan politique.
Au même moment, d’autres évolutions témoignaient elles aussi d’une modernité spécifique relative à la perception de la connaissance, présente dans certaines investigations scientifiques qu’en histoire de l’art.
Combinée avec le goût pour la spéculation abstraite issu de l’héritage néo-confucéen, cette libération a constitué une des conditions essentielles de la révolution philosophique des années 1870, évoquée plus haut.
Le capitalisme marchand qui s’épanouit durant l’époque d’Edo (1600-1868), caractérisée par une urbanisation massive, un processus de laïcisation, le développement d’un État centralisé, favorisa une bourgeoisie citadine, commerçante et artisanale, qui dégageait suffisamment de profit pour développer une culture des loisirs et affirmer des valeurs propres, celles de l’émotion et du sentiment.
On assistait aux prémices d’une culture «nationale», à la naissance d’une d’une vision japonaise du monde, à l’apparition d’une autonomie littéraire encouragée par une explosion du marché du livre, un accès élargi de la population à la lecture et à l’écriture.
Ne sommes-nous pas dans une configuration très proche de celle qui a caractérisé l’Europe occidentale en ce même 18ème siècle ?
Le Japon ne s’est ainsi pas métamorphosé d’un simple coup de baguette magique à l’ère Meiji, au milieu du 19ème siècle, à la suite de l’arrivée des canonnières de Perry.
Il était déjà, depuis au moins un siècle (bien plus en réalité), dans une profonde dynamique de modernisation interne et autochtone. Le changement de paradigme littéraire des années 1880 se situe à la croisée de ce développement endogène et de la poussée impérialiste de l’Occident.
En décembre 1904, un professeur japonais de littérature anglaise de 37 ans lit à voix haute devant quelques amis les feuillets qu’il vient de rédiger, sans ambition particulière, pour tenter de sortir de la mélancolie où il est plongé depuis plusieurs mois.
Wagahai wa neko de aru (« Je suis un chat ») : le titre de l’oeuvre reprend les tous premiers mots du récit. Deuxième phrase : « Je n’ai pas encore de nom. » Quel est le narrateur de cette étrange prise de parole ?
Ce que Natsume Sôseki (1867-1916) vient d’inventer, d’une manière inédite au Japon, est une voix singulière, proprement littéraire, libre de soliloquer à sa guise entre bêtise et acuité critique, ridicule et esprit de finesse, entêtement et désinvolture. Trois gros volumes seront ensuite publiés.
Ainsi a commencé, de manière fortuite, la carrière littéraire de celui qui est considéré presque unanimement au Japon comme le plus grand romancier du 20ème siècle.
Cet univers romanesque, tout comme celui de Kafka, son quasi-contemporain, ne prête pas qu’à rire. Dans le dernier chapitre de « Je suis un chat », par exemple, un personnage évoque un avenir effrayant où des « agents de police iront massacrant les citoyens de ce monde avec des bâtons, comme des tueurs de chiens. [...] Ceux à qui les policiers devront casser les reins seront les faibles de volonté, les idiots ou les infirmes incapables de se détruire eux-mêmes. [...]
Les cadavres seront ramassés dans une charrette que les policiers traîneront derrière eux ». Dans « Oreiller d’herbes » en 1907, le narrateur s’inquiète du danger que représentent les trains pour la civilisation.
Il évoque des hommes entassés dans des boîtes de métal, avançant avec fracas dans les ténèbres, impitoyablement.
Dans « Le Mineur », l’année suivante, le héros découvre les visages d’une absolue brutalité des travailleurs de l’industrie minière. Massacres collectifs, transferts de population mécanisés, hommes réduits à une condition bestiale
: cent ans plus tard, ces visions fugitives, mais prophétiques, de l’orée du 20ème siècle résonnent en nous sombrement.
Humoriste, Sôseki ? Fin psychologue ?
Peut-être, mais comment ne pas être également sensible à la violence extrême de son oeuvre susceptible de menacer chacun de ses personnages au coeur de son identité d’être humain ?
Cette littérature est née alors que la guerre russo- japonaise battait son plein. Une jeune nation orientale l’emportait sur l’une des plus grandes puissances du monde occidental ; les combats furent le théâtre de tueries industrielles, qui portèrent un coup fatal à l’idéal même de la « civilisation ».
En avril 1907, Natsume Sôseki quitte son poste à l’université de Tokyo et devient feuilletoniste pour le journal Asahi.
Jusqu’à sa mort, il vivra de sa plume, faisant paraître une dizaine de romans, jour après jour, dans les colonnes de ce grand quotidien.
Lâchés dans la ville, des personnages ordinaires affrontent des situations de crise personnelle souvent banales.
L’intrigue ne débouche jamais sur une résolution bien nette. Le ton, étonnamment vif, oscille entre désespoir, humour, lucidité et tendresse.
Ref
Jean Mercos, Kawabata, Une Biographie, Ed Causam, 2016