Relire Dostoïevski et Tolstoï pendant la guerre d'Ukraine ?

dostoivsky marioupol

 

L'armée russe mène une guerre atroce en Ukraine, massacre de civils à Bucha, dévaste les campagnes et rase les villes. Le débat sur ce qu'il fallait faire de la littérature russe a émergé comme le débat sur la culture germanique pendant la Deuxième Guerre mondiale.

La décision prise par l'Université Bicocca de Milan en annonçant le retrait des livres de Dostoïevski de ses programmes dans le cadre d'un ensemble de sanctions prises par l'Occident cherche à isoler la Russie après l’invasion de l'Ukraine.
De nombreuses critiques ont été adressées vis-à-vis de cette décision de par le monde et en Italie même, après que plusieurs hommes politiques italiens se soient affrontés pour condamner cet acte, critiques menées par Matteo Renzi, ancien Premier ministre, qui considère que « Le roman des frères Karamazov est l'un des joyaux de la littérature. »

En raison de cette vague de critiques, l'Université italienne est revenue sur sa décision, après avoir soulevé de nombreuses questions :
Dostoïevski mérite-t-il l’oubli ?
L’éminent écrivain russe aurait-il soutenu la guerre ?

Après la Seconde Guerre mondiale, le critique allemand Theodore Adorno a décrit les atrocités perpétrées pendant la guerre comme un coup dur porté à la culture allemande et à la philosophie occidentale.


En suivant l’orientation morale d'Adorno, nous pouvons nous demander si la violence aveugle des forces russes peut affecter l'opinion des lecteurs sur les grands écrivains russes, si le bombardement brutal de Marioupol, de Bucha, de Kharkiv et Mykolaïv peut laisser une place à la culture russe dans l’esprit occidental.
Peut-on croire à l’humanisme ou à la noblesse de la culture russe en regardant les détails de cette guerre ?

 

 

Dostoïevski : messianique et humaniste à la fois

Lorsque Dostoïevski apprit que l'écrivain russe Tourgueniev avait détourné le regard à la dernière minute alors qu'il assistait à l'exécution d'un homme, il expliqua :
« L'être humain qui vit à la surface de la Terre, n'a pas le droit de fermer les yeux et d'ignorer ce qui se passe sur terre, il y a des impératifs moraux plus élevés pour cela. »

En 1875, plusieurs révoltes chrétiennes orthodoxes contre la domination turque ont éclaté en Herzégovine (Bosnie), en Serbie, au Monténégro et en Bulgarie. Les Russes soutenaient les Serbes dans leur lutte contre les Turcs ; les corps de volontaires russes ont afflué dans les Balkans pour contribuer aux combats. Une bataille de presse féroce a eu lieu dans les journaux pour savoir s'il fallait affronter les Turcs dans les Balkans.

 


Contrairement à Tolstoï, Dostoïevski a fortement soutenu la guerre pour plusieurs raisons révélées dans ses écrits : son désir de mettre fin aux atrocités, que selon lui les chrétiens subissent, son rêve de la conquête de Constantinople par la Russie et du retour en tant que centre mondial du christianisme orthodoxe.


Le soutien de Dostoïevski à cette guerre est cohérent avec ses convictions que le christianisme est une « nécessité politique par laquelle les politiciens peuvent réformer le monde et le débarrasser du chaos » qui a gagné le cœur des Russes.

 

Dans son Journal d'un écrivain, Dostoïevski considérait la guerre comme le moyen le plus efficace d'unir les classes sociales fracturées en Russie et de faire un monde meilleur pour les "faibles et opprimés".


L'État russe a validé la vision de Dostoïevski et a déclaré la guerre à l'Empire ottoman, et Moscou a orchestré une série d'attaques contre les musulmans et les juifs dans le Caucase, et à diaboliser les musulmans de Bosnie-Herzégovine.


La Serbie et la Bosnie-Herzégovine ont obtenu leur autonomie et les restrictions imposées aux chrétiens ont été assouplies, mais à la fin, l'impact de cette guerre a été horrible sur les deux empires et les a poussés au bord du gouffre.


Alexandre Soljenitsyne soutient que la guerre de 1877 a ébranlé la force militaire et financière de la Russie et a sapé le moral du peuple. Ces détériorations ont été le début de la propagation de l'esprit de mécontentement dans l'empire russe du Tzar marquant le déclenchement de la révolution bolchevique de 1917.

 

 

Poutine et Dostoïevski


Comme Dostoïevski, St Petersburg a transformé Poutine en homme politique. Il a commencé son parcours politique par un petit poste à la mairie puis adjoint au maire en 1994.
Andrew Kaufman, expert de la littérature russe, dit que la question qui préoccupe Poutine ces jours-ci, et qui pourrait être la principale cause de la crise ukrainienne, est la même question répétée à plusieurs reprises dans la littérature russe du XIXe siècle.


Tolstoï et Dostoïevski avaient deux approches différentes ; Tolstoï aimait le peuple russe, mais il n'était pas un nationaliste qui croyait à la nécessité de la supériorité de la race russe sur les autres, il préservait l'humanité des personnages présentés dans ses romans, qu'ils soient russes, turcs ou occidentaux.


Dostoïevski au contraire, était méfiant, voire hostile à l’Occident, le considérant « sans âme, et un modèle à combattre à tout prix.» En même temps, en dépit de sa lucidité, il rêvait d'un nouvel empire chrétien d'Orient dont le noyau principal serait une Russie ressuscitée pour combattre l'Occident corrompu et mauvais.


Poutine a choisi de suivre la voie de Dostoïevski, pas celle de Tolstoï.
Le président russe adhère aux mêmes idées qui considèrent que la Russie est un pays choisi par Dieu pour s'opposer aux intentions corrompues de l'Occident et ne semble pas prendre en compte les autres idées de Dostoïevski sur la justice, la punition, et les impératifs moraux.

Cette grande identification dans les idées des deux hommes a incité Henry Kissinger à déclarer dans les années en 2017 que Poutine "est un homme tout droit sorti du ventre de la littérature de Dostoïevski".

Dans une déclaration en 2014, Poutine conseille de lire 3 livres : "Justification du bien" de Vladimir Soloviev, "La philosophie de l'inégalité" de Nicholas Berdyev et "Tâches" d'Ivan Ilyin. Ces trois écrivains prônent l'idée de la "nation russe immortelle", que Dieu a destinée à jouer un rôle unique dans le contrôle de l'équilibre du monde. Par contre, la nation russe demeure une idée vague, chez Dostoïevski comme chez les autres.

Ivan Ilyin croyait que l'Ukraine est la pierre angulaire de la Russie imaginée, s'approcher de l'Occident sous prétexte de « liberté » et « d'indépendance » serait un des plus grands dangers pour la Russie.


Poutine n'a pas hésité plus d'une fois à exprimer son admiration pour la littérature de Dostoïevski et a déclaré dans une interview que ce qu'il aimait le plus parmi les romans de l'écrivain décédé était "Les Frères Karamazov" et "Crime et châtiment".
Il y a quelques mois, Poutine a visité le Musée Fiodor Dostoïevski de Moscou à l'occasion du bicentenaire de l'éminent écrivain russe.

 

Dostoivsky

 

Dostoïevski aurait-il été favorable à la guerre de Poutine ?

Observant les ruines d'un théâtre à Marioupol, en écoutant les histoires des citoyens de Marioupol affamés par les frappes aériennes russes, on se demande ce que Dostoïevski, dont l'attitude morale perçante se concentrait sur la question de la souffrance des enfants dans son roman de 1880 Les Frères Karamazov, ferait en réponse au bombardement russe d'un théâtre utilisé comme refuge et le mot "Enfants" est écrit en gros caractères sur le toit.


Ivan Karamazov, le principal protagoniste des Frères Karamazov, s'est concentré principalement sur les questions de responsabilité morale plus que sur les questions d'acceptation chrétienne ou de tolérance et de réconciliation. Dans ses conversations, Ivan cite des exemples d'enfants maltraités et supplie d'autres personnages de reconnaître les atrocités qui se sont produites sous leurs yeux. Il était déterminé à punir.


Le bombardement délibéré de Marioupol est quelque chose que Dostoïevski n’aurait pu détourner le regard. Peut-il défendre une vision de la morale russe en voyant des civils innocents, hommes, femmes et enfants gisant dans les rues de Bucha ?


Certaines opinions de Dostoïevski, son sens d’une prétendue exception russe, ou d’un aspect messianique de l’âme russe, la grandeur et la mission de la Russie ont alimenté les idées colonialistes de la Russie, qui ont engendré la même violence que la destruction actuelle de l’Ukraine.


La France, l’Angleterre ont cherché au 19e siècle des justifications à leur colonialisme, et de nombreux penseurs et écrivains français et anglais n’ont pas hésité à soutenir le colonialisme à cette période.

Quand les pays non occidentaux parlent de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, ils ne manquent pas de rappeler que la Russie fait comme l’occident il y a siècle et qu’il s’agit d‘une guerre d’intérêts entre l’occident et la Russie et non pas d’une guerre morale.

Dostoïevski aurait-il soutenu la guerre de Poutine ? Impossible de répondre à cette question.
Il est vrai que certaines des idées nationalistes défendues par Dostoïevski se reflètent aujourd'hui dans l’idéologie russe contemporaine, mais le contexte est différent.

L'écrivain russe était un partisan du règne d'un seul homme (le tsar tyrannique), un farouche opposant à la démocratie occidentale, qu'il considérait comme conduisant à l'extrémisme révolutionnaire.


Les écrits de Dostoïevski, dans lesquels il critique l'Occident lors de tournées en Europe en 1862, ne sont pas différents de ce que Poutine mentionne dans ses discours sur la bataille entre la Russie et l'Occident.


Mais la Russie qui existe aujourd'hui n'est pas la Russie de Dostoïevski, et l’occident n’est plus celui du 19e siècle.


Dostoïevski était un penseur humaniste, reliant sa vision de la grandeur de la Russie à la souffrance et à la foi russes, une vision alimentée par son envoi dans un camp de travail sibérien pendant cinq ans pour sa participation club socialiste. Dostoïevski est messianique, mais il n’avait jamais accepté le terrorisme parrainé par l'État.
Le plus grand rebelle métaphysique de Russie se serait-il révolté contre la violence russe en Ukraine ?

 

Tolstoi

 

 

Tolstoï la paix d‘abord

Aucun écrivain n'a dépeint la guerre de manière aussi poignante que Léon Tolstoï l'ancien soldat devenu pacifiste.


Dans son dernier ouvrage, Haji Murad, Tolstoï examine l'exploitation de la colonisation russe du Caucase du Nord et montre comment la violence russe injustifiée envers un village tchétchène a provoqué une haine profonde des Russes. Tolstoï pensait que la Russie comme pays est une colonisation qui force les autres pays à s’unir à la Russie.


Les Russes ont lu le plus grand ouvrage de Tolstoï sur la guerre russe, Guerre et paix. Dans ce roman, Tolstoï affirme que le moral de l'armée russe est la clé de la victoire. Les batailles dans lesquelles les Russes ont le plus de chance de réussir sont défensives, lorsque les soldats comprennent pourquoi ils se battent et qu'ils protègent dans ce combat, qui est leur patrie.
Il a pu transmettre les expériences déchirantes de jeunes soldats russes qui ont été confrontés directement aux armes de mort et de destruction sur le champ de bataille, et à quel point la perte d'un individu est dévastatrice pour les familles et les proches.


Après avoir publié Guerre et Paix, Tolstoï dénonce publiquement plusieurs campagnes militaires russes. À tel point qu'il lui fut interdit de publier la dernière partie de son roman "Anna Karénine" en 1878, car il y critiquait les actions de la Russie dans la guerre russo-turque. Le personnage de "Konstantin Levin" que Tolstoï a créé dans ce roman, et dans lequel il a exprimé certaines de ses idées, a qualifié l'intervention russe dans la guerre de "meurtre" et a jugé inapproprié que le peuple russe y soit entraîné.


Dans ses propres mots, il dit :
« Les gens se sacrifient et sont toujours prêts à se sacrifier pour leur âme, pas pour tuer les autres » .

En 1904, Tolstoï publie dans la presse une lettre condamnant la guerre russo-japonaise, qui est actuellement parfois comparée à la guerre russe en Ukraine. Où il écrit :
« La guerre à nouveau, la douleur à nouveau, utile pour personne et absolument injustifiée. Encore la fraude, et encore la stupeur générale et la déshumanisation des hommes. »

Dans l'un de ses écrits pacifistes les plus célèbres de 1900, Ne tuez pas, Tolstoï a judicieusement caractérisé le problème de la Russie d'aujourd'hui:

 


« La misère des nations n'est pas causée par des personnes particulières, mais par l'ordre spécial de la société, sous lequel les hommes sont si liés les uns aux autres, qu'ils se trouvent tous sous le pouvoir de quelques-uns, ou souvent sous le pouvoir d'un seul homme : un homme si profondément perverti par sa condition contre nature en tant que maître du destin et de la vie de millions de personnes, au point qu'il est toujours dans un état malsain et souffre toujours dans une certaine mesure d'une obsession de l'auto-agrandissement. »

 

 

 

L'importance d'agir

Il ne s’agit pas d’écrits seulement. Pendant la famine russe de 1891-1892, Tolstoï a commencé à construire des cuisines pour les pauvres afin d'aider ses compatriotes affamés, abandonnés par le gouvernement russe. Il a aidé les soldats russes à échapper à la conscription dans l'Empire russe, visitant et soutenant les soldats emprisonnés qui ne souhaitaient pas se battre.


En 1899, il vend son dernier roman, La Résurrection, afin d'aider un groupe de chrétiens russes, les Doukhobors, à immigrer au Canada pour qu'ils n'aient pas à combattre dans l'armée.
Si la culture s'aligne partiellement sur l'armée russe qui bombarde et massacre les Ukrainiens sans discernement, les grands auteurs russes classiques doivent être lus de nos jours, de manière critique.


Poutine a mal compris Dostoïevski ? L’auteur russe porte dans ses textes les germes de la colonisation russe ?


Nous avons un héritage peuplé d’écrivains colonialistes et des auteurs qui ont choisi une position ambiguë sur ce sujet, et nous les lisons aujourd’hui avec un regard critique, et leurs justifications de la colonisation ne semblent plus agir sur la société européenne.

Combien de discussions animent nos salles de classe quand il faut analyser aujourd’hui, les écrits de Camus ?


Le chef de l'opposition russe Alexei Navalny a noté lors de son procès en mars 2022 que Tolstoï avait exhorté ses compatriotes à combattre à la fois la tyrannie et la guerre, car l'un renforce l'autre.

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Faut-il obliger les médecins à lire des romans ?

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La diffusion des sciences humaines était censée approfondir la compréhension de la souffrance et améliorer la pratique médicale.
Il existe depuis longtemps une interaction fructueuse entre la médecine et les arts. De nombreux cliniciens ont écrit des essais, des romans, des poèmes, et de nombreux écrivains ont traité des thèmes médicaux.
Au 18e siècle, Tobias Smollett, médecin écossais, est devenu célèbre en tant que romancier avec ses romans The Adventures of Roderick Random (1748) et The Expedition of Humphry Clinker (1771). L’anglais John Keats était médecin et aussi un grand poète romantique.

Le médecin devient au XIXe siècle un élément presque obligé du roman. Un roman sans médecin ni maladie est impensable, car le médecin est celui qui pénètre dans l’intimité des gens au contact des ressorts les plus secrets des conduites humaines. Il se trouve dans une position stratégique pour connaître l’état clinique et moral de la société.

Des cas de dépression sont décrits par Anton Tchekhov, Sherlok Homles créé par Arthur Conan Doyle était passionné de médecine, Mikhaïl Boulgakov a écrit un roman sur un médecin « carnet d’un jeune médecin », Arthur Schnitzler a analysé des problèmes psychologiques comme dans « Mlle Else ».

Zola entretenait avec la maladie et la médecine des liens étroits traduits dans son œuvre romanesque. Zola voulait écrire une œuvre médicale à vocation thérapeutique comme s’il cherchait à guérir la société de ses maux, et à se guérir par l’écriture.

Zola a étudié de nombreux ouvrages de physiologie et des traités de psychiatrie et d’hygiène pour construire ses théories sur des sentiments irrationnels qui vont jouer un rôle fondamental dans ses romans. Jusqu’à la fin de son œuvre, Zola suivra l’évolution de la pensée médicale et proposera les mêmes solutions thérapeutiques que les médecins.

L’éminent neurologue français Jean-Martin Charcot organisait des soirées où se pressaient écrivains, artistes et médecins de Paris pour discuter et tenter de comprendre l’humain.

Marcel Proust a été influencé par de nombreux médecins et psychologues de son époque, comme Binet, Charcot et Janet. Le chef-d’œuvre de Proust, À la recherche du temps perdu (1913-27), traite de plusieurs sujets médicaux et psychiatriques, dont l’hypocondrie, l’hystérie, le deuil et la dépression. Dans certains chapitres, Proust décrit le trouble avec des détails précis dignes d’un livre scientifique. Des solutions sont proposées aussi.

A son tour, Sigmund Freud était fasciné par la culture européenne, ses textes sont admirés autant pour leurs mérites littéraires que scientifiques. Il a trouvé dans la culture et dans la littérature des descriptions utiles pour ses travaux en psychanalyse et en sexologie.

Au cours de la première moitié du XXe siècle, le psychiatre écossais Laing s’est inspiré d’écrivains tels que William Blake, Dostoïevski, Kafka, Beckett et Jean-Paul Sartre pour construire son modèle de la folie.

Durant la deuxième moitié du XXe siècle, le paysage commence à changer. De plus en plus, la société se divise en « deux cultures », la culture scientifique et la culture artistique. Nombreux auteurs soutenaient que cette séparation serait destructrice.

Les origines du clivage entre les arts et les sciences remontent déjà au Siècle des Lumières où la raison devait résoudre les problèmes de l’humanité. Le mouvement romantique, qui mettait l’accent sur la spontanéité, l’émotion, le spirituel, est considéré comme ayant accéléré la division entre les arts et les sciences.

 

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Quand les Sciences humaines et médecine divorcent

 

« Wit » ou « bel âme » ou « un trait d’esprit » selon les traductions, est une pièce de théâtre, écrite par Margaret Edson pour laquelle elle obtient le prix Pulitzer, la plus haute distinction littéraire aux USA. Quand elle envoie sa pièce aux directeurs de théâtre, elle est refusée plusieurs fois.
Depuis, cette pièce intelligente et déchirante est devenue un texte classique, joué et rejoué et applaudi avec succès.
En 2001, Emma Thompson, interprète dans un téléfilm le rôle d’une femme mourant d’un cancer de l’ovaire. Elle est professeur de littérature et se console de sa propre souffrance par la poésie. Elle a toujours été une femme fière et indépendante et maintenant, à la fin de sa vie, elle se retrouve seule. La pièce nous montre sans pitié comment la routine de l’hôpital la prive de sa dignité, et comment elle lutte pour garder son respect d’elle-même.
Aucun médecin, malgré la bonne volonté et le dévouement, ne peut répondre aux besoins de cette femme. Le corps soignant est impuissant, son instance devient néfaste. La patiente cherche à sauver sa dignité faute de pouvoir survivre à son cancer, à pouvoir décider pour sa propre vie, à satisfaire ce besoin pour le salut de son âme. Elle trouve un certain soulagement dans ses méditations sur les poèmes, dans le sens des mots d’un texte magnifique du poète Milton, défiant la mort. Le poète gagne quand le médecin échoue. La pièce rappelle que les humains ne sont pas seulement des corps, qu’ils ont un libre arbitre, une conscience et un profond besoin de sens.

Dans son roman, Mrs Dalloway (1925), Virginia Woolf, qui a souffert de maladie mentale, dépeint le psychiatre comme condescendant, Margaret Edson dépeint des médecins incapables de sortir de leur monde pour comprendre l’humain.

 

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Comprendre l’humain

 


Pendant l’épidémie de Covid 19, nous avons compris qu’un modèle purement scientifique offre une vision limitée de l’être humain. Les médecins ont besoin d’une compréhension plus profonde de leurs patients, et des aspects émotionnels et existentiels. La science médicale ne donne pas une image complète des êtres humains.

 

 

L’approche bioscientifique ne permet pas de comprendre les limites de la médecine ni de la psychiatrie ni la souffrance ni de la sexologie ni des troubles de la personne dans son environnement.

 

Contrairement au médecin qui évalue un patient, l’écrivain plonge dans la réalité quotidienne des personnes atteintes de maladies mentales ou de maladies chroniques ou de cancer.
La littérature explore les vies et les mondes intérieurs d’une grande variété d’individus, et voit le monde du point de vue d’une autre personne. Cela s’applique particulièrement aux récits littéraires sur la maladie et la souffrance, comme les romans de Dostoïevski qui mettent en scène des personnages souffrant de troubles mentaux. De tels romans aident à comprendre, et à développer de l’empathie envers les personnes qui souffrent.

L’approche « éthique » de la littérature peut aider à réfléchir aux implications morales des actes. La littérature peut explorer les dilemmes moraux dont certains affectent les médecins et les patients. Intervention médicale contre la volonté d’un patient peut – elle être justifiée ? Un traitement douloureux, mais efficace ? La qualité de vie est plus importante que la vie ?

 

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Littérature : la meilleure critique de la médecine

 


L’un des premiers romans à remettre en question le rôle de la science médicale est Frankenstein. Mary Shelley a publié ce roman en 1817. Mary Shelley voulait examiner les implications morales des progrès scientifiques. Victor Frankenstein, étudiant en philosophie naturelle, en chimie et en anatomie, s’efforce de découvrir comment créer la vie. Bien qu’il y parvienne, l’être créé se libère de son contrôle et continue à faire des ravages. Victor Frankenstein est coupable d’un orgueil démesuré : il se prend pour Dieu.
Les lecteurs apprennent que les progrès de la médecine peuvent avoir des conséquences involontaires et qu’ils comportent toujours une dimension morale.

Mikhaïl Boulgakov (1925) a donné une perspective humoristique de l’histoire de Frankenstein dans Le cœur du chien, dans lequel un professeur implante les testicules et la glande pituitaire d’un être humain dans un chien errant. Là encore, la procédure a des conséquences involontaires et malheureuses, la créature nouvellement formée va semer la pagaille dans la maison du professeur.

Dostoïevski a vécu à une époque où beaucoup de gens pensaient que la science finirait par résoudre toutes les questions de l’humanité. De nos jours, certains neuroscientifiques prétendent que les problèmes des êtres humains seront entièrement expliqués en termes de fonctionnement du cerveau. Dostoïevski rejette cette vision biologique et réductionniste de l’homme. Son roman Notes from the Underground (Les Carnets du sous-sol) publié en 1864 offre sa critique. Le personnage central observe avec ironie :
« la science elle-même apprendra à l’homme qu’il n’a vraiment ni libre arbitre ni caprice et qu’il ne l’a jamais eu, et qu’il n’est lui-même qu’une sorte de clé de piano ou de cheville d’orgue... tout ce qu’il fait, il ne le fait pas du tout selon sa volonté, mais selon les lois de la Nature. Par conséquent, il suffit de découvrir ces lois de la Nature pour que l’homme ne réponde pas de ses actes. Toutes les actions humaines, bien sûr, seront alors calculées par ces lois, comme une table de logarithmes »

Dostoïevski estime que ces théories privent l’homme du libre arbitre, et rejette cette vision matérialiste et biologique. Les décisions morales dépendent du libre arbitre, mais si, comme le prétend la science, le libre arbitre n’existe pas, il ne peut y avoir de moralité.

Dostoïevski conteste les psychiatres qui adoptent une approche biologique de la maladie mentale. Il suggère que le fait de considérer les êtres humains comme des mécanismes est non seulement malavisé, mais que cela a des implications morales.

Certains penseurs positivistes, tels Auguste Comte et Emile Durkheim, soutenaient que le modèle scientifique était juste, car les êtres humains ne sont pas fondamentalement différents du reste du monde animal. Des théoriciens comme Max Weber s’opposent à ce point de vue, en affirmant que les êtres humains sont distincts parce qu’ils possèdent un libre arbitre, une conscience et un besoin de sens.

Le Meilleur des mondes (Brave New World) est un roman d’anticipation dystopique, écrit par Aldous Huxley en 1932. Huxley s’inquiète de l’application de la science aux problèmes humains. Il décrit un avenir contrôlé par la technologie médicale. Des êtres humains sont créés par génie génétique et programmés par des techniques comportementales. Dans cette société hiérarchisée et rigide, les citoyens sont contrôlés par un médicament appelé soma. Le prix à payer pour cet ordre social pharmaceutique et génétique est la perte de la liberté.

Huxley n’était pas contre la science, mais il était alarmé par les possibilités de mauvaise utilisation et de mauvaise application de celle-ci. Dans la préface de son roman, il soutient que les êtres humains, pour résoudre leurs problèmes, devraient se tourner vers le spirituel en eux, plutôt que vers la technologie.

Huxley met aussi en lumière une question importante en psychiatrie, celle de la conformité. Une perception populaire des psychiatres est qu’ils sont des policiers sociaux, patrouillant à la recherche de toute preuve de déviance par rapport à la norme sociétale. L’anormal devient pathologique, le marginal devient fou.

Un autre écrivain qui a exploré la question de la conformité est Eugène Ionesco dans Rhinocéros (1950). Dans cette pièce absurde, les personnages, un par un, se transforment en rhinocéros. Un homme, Bérenger, tente de résister à cette tendance et se retrouve dans une position solitaire et isolée. Il est plus facile de suivre le troupeau.

 

 

Le langage scientifique ne passe pas

 


Une œuvre qui examine les limites du langage « scientifique » est Le Mémorandum (1965), une pièce de l’écrivain tchèque Vaclav Havel. La pièce présente des analogies avec les tentatives de la psychiatrie et de la psychologie de créer un langage « scientifique » ou « technique » pour décrire la détresse émotionnelle et mentale. Ce langage se révèle déshumanisant, incapable de toucher la personne en souffrance. Dans Le Mémorandum, Havel jette un regard absurde sur les efforts déployés par les autorités qui espèrent que cette nouvelle langue « rendra les communications de bureau plus précises. »

 

Le Prozac pour Hamlet peut tout régler


« J’ai depuis peu, je ne sais pourquoi, perdu toute ma gaieté, renoncé à tous mes exercices accoutumés ; et vraiment, tout pèse si lourdement à mon humeur, que la terre, cette belle création, me semble un promontoire stérile. » Shakespeare, Hamlet

L’irrésolution légendaire d’Hamlet ressemble à une mélancolie, à une dépression profonde. On peut distinguer dans les caractères de ce personnage certains signes d’un trouble dépressif aigu : humeur triste, pensées négatives, et une nette baisse d’énergie.
Dans la pièce, dès le premier discours, Hamlet fait une déclaration publique de sa mélancolie. A cette époque, le trouble dépressif n’était pas encore conceptualisé. Shakespeare aura vu probablement la mélancolie d’Hamlet comme un défaut de caractère.
Si Hamlet consulte aujourd’hui, il sortira avec une dose de prozac, et il ne souffrira plus. Mais aurait-il consulté ? Le prozac aurait-il réglé ses problèmes avec sa mère ou avec l’assassin de son père ?
Si Cyrano de Bergerac consulte, un médecin lui fera un beau nez. Mais aucun médecin ne peut le soulager de son amour non partagé pour la belle Roxane.


Et si l’humain était plus complexe que ses organes et ses hormones ??

 

Conclusion

La société a fait des efforts remarquables pour humaniser la médecine, pour préserver la dignité et les droits des patients surtout dans certaines pathologies comme les maladies cancéreuses.
La psychiatrie est en train de changer progressivement.

La culture partagée comme la littérature peut aider à mieux comprendre l’expérience intérieure de l’humain, à développer une plus grande empathie. La défiance des patients est en marche, contre les médecins et contre la parole médicale encouragée par une culture médicale qui réduit parfois l’humain à un organisme, et un ensemble d’organes, par souci d’efficacité.

 

Il serait heureux de ne plus lire que l’amour est lié à l’hormone ocytocine et que le désir est une réaction chimique.

 

Ces dernières années, on assiste à un regain d’intérêt pour la relation entre la médecine et les arts, comme témoigne les publications scientifiques, sur la contribution des arts dans la santé, et sur l’importance de la médecine fondée sur l’écoute.
En Europe comme aux USA, certaines facultés de médecine proposent désormais des formations en sciences humaines pour rebâtir des passerelles utiles.

Références

Bamforth, I. (2001) Literature, medicine, and the culture wars. Lancet, 358, 1361–1364. Bamforth, I. (2003) The Body in the Library. A Literary Anthology of Modern Medicine. Verso. Bennett, A. (2005) Untold Stories. Faber & Faber.
Beveridge, A. (1998) The detective, the psychiatrist and postmodernism. Psychiatric Bulletin, 22, 573–574.
Downie, R. S. (1994) The Healing Arts. Oxford University Press.
McLellan, M. F. & Jones, A. H. (1996) Why literature and medicine? Lancet, 348, 109–111.
Williams, D. D. R. & Garner, J. (2002) The case against ‘the evidence’: a different perspective on evidence-based medicine. British Journal of Psychiatry, 180, 8–12.

 

 

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Bronte : Jane Eyre : résumé et analyses

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« Reader, I married him » ou « Lecteur, je l’ai épousé » est l’une des lignes les plus célèbres de la littérature anglaise. Lorsque Jane Eyre dit directement au lecteur qu’elle a épousé M. Rochester, l’annonce de cette fin heureuse pour le roman de Charlotte Brontë demeure innovante, peu conventionnelle, et surprenante dans un roman écrit à la première personne.

 

 

La vie Charlotte Brontë

 

Elle est née le 21 avril 1816 dans le village de Thornton, West Riding, Yorkshire. Son père, Patrick Bronte était le fils d’un respectable fermier irlandais dans le comté de Down, en Irlande. La mère de Charlotte, Maria Branwell Bronte est morte alors que sa fille n’avait que cinq ans.


Elle avait donné naissance à six enfants : Maria (1813), Elizabeth (1815), Charlotte (1816), Patrick Branwell (1817), Emily (1818) et Anne (1820). Elle est morte d’un cancer à l’âge de trente-huit ans. Charlotte se souvient peu de sa mère. À l’âge adulte, elle lit les lettres que sa mère a adressées à son père. Charlotte écrit le 16 février 1850 : j’aurais aimé qu’elle vive et que je la connaisse ».


Alors qu’elle avait huit ans, Charlotte accompagnée de sa sœur Émilie a rejoint leur sœur aînée à l’école des filles récemment ouverte à Cowan. Les conditions de vie à l’école était pénible. Dans ce roman, Charlotte décrit dans la sombre « Lowood School » de Jane Eyre sa propre école.


Les rigueurs de la vie en internat, nourriture mal préparée, habitat insalubre, avaient favorisé la propagation des maladies. Le typhus a touché plusieurs élèves. Maria a développé la tuberculose. Charlotte s’inspire de cet incident pour décrire le martyre de son personnage Helen Burns dans Jane Eyre.


Le père Patrick Bronte n’était pas informé de l’état de sa fille aînée avant février 1825, deux mois après que Maria ait commencé à avoir des symptômes et lorsqu’il l’a vue, il l'a retirée de l’école, pour mourir à la maison trois mois plus tard.
Entre-temps, Elizabeth était tombée malade. À son tour, elle quitta l’école pour mourir deux semaines plus tard malgré les soins de ses sœurs Charlotte et Émilie.
Suite à l’expérience tragique de cette école, le père décida d’instruire ses enfants à la maison en faisant appel à des enseignants privés.
L’isolement relatif des enfants dans leur maison fit naître entre eux des liens forts. Le temps dans le Yorkshire ne permettait pas de jouer à l’extérieur. Les enfants comptaient sur leur imagination pour inventer leur propre monde et leur propre jeu.


En 1829, Charlotte commença à écrire de la poésie. Elle produit soixante-cinq poèmes et une pièce satirique sur l’écriture de la poésie entre 1829-1830.
Les différents poèmes écrits pendant cette période reflétaient un apprentissage proclamé par imitation de certains poètes, comme les nombreuses descriptions de paysages naturels répandus dans la poésie du XVIIIe siècle de James Thomson et William Wordsworth.


Cette vague de production poétique fut interrompue en janvier 1831. Les enfants étaient scolarisés à l’école Roe Head à Mirfield, près de Dewsbury. Roe Head était une petite école qui n’inscrivait généralement qu’environ sept élèves pensionnaires à la fois, toutes des filles de même âge.
Bien qu’elle ait eu le mal du pays au début, avec le temps, elle gagna le respect et l’affection de ses pairs et se sentit à l’aise dans son nouvel environnement scolaire.
Après son départ de Roe Head en mai 1832, elle devint responsable de l’instruction de ces jeunes sœurs, et de l’entretien du foyer. Ce fut un retour à l’écriture de la poésie également.


En décembre 1836, elle décida de faire de l’écriture son métier pour gagner sa vie en tant que poète. Elle sollicita l’avis de plusieurs personnes comme le poète anglais Robert Southey. Le découragement dans sa lettre du 12 mars 1837 est devenu tristement célèbre :
« La littérature ne peut être l’affaire d’une femme, et elle ne devrait pas l’être »
A l’époque, personne ne croyait aux capacités artistiques des femmes, on insistait sur la place réservée aux femmes dans la société, on les invitait à faire leurs devoirs comme épouse et mère. Une femme non mariée pouvait trouver un travail respectable comme enseignante ou gouvernante. Les autres carrières ne convenaient pas aux femmes.
Malgré l'absence d'encouragement de Southey, Bronte, entre janvier 1837 et juillet 1838, écrit plus de soixante poèmes et fragments de vers, y compris des ébauches qui allaient devenir ses meilleures productions poétiques. Sept ans plus tard, en 1845, elle révisa ses poèmes pour les préparer à la publication.


Charlotte et Émilie Brontë quittèrent l’Angleterre en février 1842 pour s’inscrire comme élève dans une école belge gérée par Madame Claire Zoe Heger et son mari, Constantin.
Charlotte et Émilie étaient anglaises et protestantes dans une école francophone, à majorité catholique. Les deux filles étaient isolées par la barrière de la langue, de la culture et de la religion, sans parler de la timidité naturelle de Charlotte et de sa sœur.


En dépit de ces difficultés, les deux jeunes femmes faisaient des progrès académiques remarquables à Bruxelles. Charlotte composa peu de poèmes pendant son séjour en Belgique.
Les sœurs, Mary, Charlotte et Anne décidèrent de publier leurs poèmes sous des pseudonymes masculins afin de surmonter les préjugés répandus sur la littérature féminine. Cette pratique était courante au XIXe siècle, les femmes publient leurs œuvres d’une façon anonyme, ou en utilisant des pseudonymes masculins comme Georges Eliot ou George Sand.
Charlotte Bronte s’était attelée à la tâche de trouver un éditeur pour les poèmes présentés sous le pseudonyme de Currer, Ellis et Acton Bell en 1846. Un petit éditeur londonien Aylott & Jones accepta de publier aux frais des auteurs, pratique courante pour des écrivains inconnus.


En dépit de cette publication, Charlotte Brontë n’écrit plus de poésie après 1845. Elle prépara déjà son premier manuscrit pour un roman « le professeur » publié en 1857 après avoir été refusé neuf fois. L’éditeur Smith Elder refusa de publier le livre, mais demanda d’examiner les autres textes de Charlotte Brontë. Elle venait de terminer Jane Eyre. Le roman fut imprimé immédiatement sous le pseudonyme de Currer Bell.
Après le succès de son roman, Brontë n’écrivit plus de poésie sauf pour des occasions comme les célébrations ou les décès. Attristée par la mort de son père, de ses sœurs, elle publia d’autres romans comme Shirley en 1849, et Villette en 1853.
Après les succès, elle accepta la célébrité. Elle fut saluée par des auteurs importants de son époque comme William Makepeace Thackeray.


À l’âge de trente-huit ans, Charlotte Bronte mariée avec le pasteur Arthur Bell Nichols, tomba malade d’une infection grave de l'appareil digestif et mourut le 31 mars 1855. Elle fut enterrée avec le reste de sa famille à Edith Saint Michael, en face de la maison du presbytère où elle vivait avec son mari.

 

 

Résumé de Jane Eyre


Le personnage principal est une orpheline de 10 ans qui vit avec la famille de son oncle ; ses parents sont morts du typhus. Outre la nourrice, la famille ostracise Jane. Elle est envoyée à l’austère Lowood Institution, une école de charité, où elle et d'autres jeunes filles sont éduquées et maltraitées. Face à une telle adversité, elle acquiert force et confiance.


Au début de l’âge adulte, après plusieurs années passées à Lowood comme étudiante puis comme enseignante, Jane doit avoir le courage de partir. Elle trouve un emploi de gouvernante à Thornfield Hall, où elle rencontre son fringant et byronien employeur, le riche et impétueux Edward Rochester. À Thornfield Hall, Jane s’occupe de la jeune Adèle, fille d’une danseuse française, et maîtresse de Rochester, qui se lie d’amitié avec la gentille gouvernante, Mme Alice Fairfax.
Jane tombe amoureuse de Rochester, on attend de lui qu’il épouse la snob et socialement importante Blanche Ingram. Mais Rochester finit par répondre à l‘amour de Jane et lui propose le mariage. Le jour de leur mariage, Jane découvre que Rochester ne peut pas l’épouser légalement, car il a déjà une femme, Bertha Mason, qui est devenue folle et est enfermée au troisième étage à cause de son comportement violent ; sa présence explique les bruits étranges que Jane a entendus dans le manoir.


Croyant qu’il a été piégé dans ce mariage, Rochester se sent en droit de poursuivre sa relation avec Jane. Il la supplie de le rejoindre en France, où ils peuvent vivre comme mari et femme malgré les interdictions légales, mais Jane refuse par principe et fuit Thornfield.
Jane est recueillie par des gens dont elle découvre plus tard qu’ils sont ses cousins. L’un d’eux est St John, un ecclésiastique. Il lui offre un emploi et lui propose bientôt de se marier, lui suggérant de le rejoindre comme missionnaire en Inde. Jane accepte d’abord de partir avec lui, mais pas en tant qu’épouse. Cependant, St. John la pousse à reconsidérer sa proposition, et Jane finit par faire appel au Ciel pour lui montrer ce qu’elle doit faire. C’est alors qu’elle imagine entendre l’appel de Rochester. Jane retourne à Thornfield pour trouver le domaine brûlé, incendié par la femme de Rochester, morte après avoir sauté par la fenêtre de sa chambre. Rochester, dans une tentative de la sauver, a été brûlé et devenu aveugle. Réunis, Jane et Rochester se marient. Rochester retrouve plus tard la vue, et le couple a un fils.

Jane eyre films

Publication et analyse du roman


Le livre a été publié à l’origine en trois volumes sous le nom de Jane Eyre : An Autobiography, avec Currer Bell comme éditeur. La partie Lowood du roman était largement considérée comme inspirée de la propre vie de Charlotte Brontë. Bien que certains se soient plaints qu’il était anti-religieux, l’ouvrage a connu un succès immédiat. L’attrait de Jane Eyre est en partie dû au fait qu’il a été écrit à la première personne et qu’il s’adresse souvent au lecteur, créant ainsi une grande immédiateté. De plus, Jane est une héroïne peu conventionnelle, une femme indépendante et autonome qui surmonte à la fois l’adversité et les normes sociétales. Le roman a mélangé divers genres. Le choix de Jane entre besoin sexuel et devoir éthique appartient très fermement au mode du réalisme moral. Cependant, son évasion proche d’un mariage bigame et la mort foudroyante de Bertha font partie de la tradition gothique.

 

Passions violentes, amour, colère, envie et férocité de l’esprit, on les trouve dans la figure d’une jeune femme frêle, simple et sans moyens : l’orpheline Jane Eyre. Célèbre pour sa romance avec Rochester, une grande aventure de cœur, le roman est l’histoire de sa lutte pour s’exprimer dans une société déterminée à briser sa volonté. Intimidée dans son enfance au domicile de sa tante Reed, brutalisée à l’école, méprisée en tant que gouvernante à Thornfield Hall, Jane reste remarquable par son attitude de défi, par sa sensibilité. Par-dessus tout, elle a le courage de défier les autres (et elle-même) sur les grandes questions du mal et de l’injustice.


L’intrigue, une série de secrets et de révélations, tourne autour de la question fondamentale d’identité. Quel genre d’homme est Rochester, si changeant et péremptoire ? Qui hurle dans le grenier et apparaît la nuit dans les couloirs de Thornfield Hall ? Et qui est vraiment Jane Eyre ? Une menteuse, comme l’insiste sa tante ; une elfe, comme elle apparaît à Rochester ; une travailleuse pieuse, femme d’un missionnaire ; ou une femme capable de donner et de recevoir un amour passionné ?


Le succès remarquable de Jane Eyre est en partie attribuable à l’évolution des goûts littéraires de l’époque.


Alors que le paysage littéraire anglais des XVIIe et XVIIIe siècles avait été dominé par les poètes, le public des lecteurs du XIXe siècle a exigé des personnages avec lesquelles ils pourraient s’identifier. Jane Eyre était une œuvre de genre : l’histoire d’une personne ordinaire qui vit des choses extraordinaires.


Si on accepte l’affirmation de Virginia Woolf que les romans de Bronté sont lus « pour sa poésie », on pourrait dire que Bronte n’a jamais complètement abandonné sa carrière de poète. En adaptant ses impulsions créatives aux exigences du public, Bronte a intégré des éléments poétiques dans la forme du roman.


Jane Eyre est influencée par les romans d’horreur gothique qui étaient populaires au début du XIXe siècle. Le lieu, le cadre sombre, le mystérieux M. Rochester, les étranges événements dans le grenier de la maison jouent sur les conventions de l’horreur. En même temps, le roman suit la structure de la progression, l’intrigue suit le parcours de Jane depuis sa jeunesse vers sa maturité vers la fin heureuse dans son château avec son mari et son enfant.


Narration à la première personne, les lecteurs victoriens furent troublés par la suggestion du roman que les femmes ne sont pas passives ni soumises, et par son traitement de l’amour jugé grossier et offensant. L’importance de l’amour romantique est un thème ancien dans la littérature, mais dans Jane Eyre ce thème est présenté avec franchise et intensité, digne d’un romancier français, mais nouvelle pour un écrivain anglais.


Cette intensité est rendue possible par la décision de Bronte de raconter l’histoire à la première personne, du point de vue de Jane Eyre qui domine son monde, chaque personnage vit à travers elle.
Jane Eyre a reçu un accueil populaire, plusieurs commentateurs admiraient la puissance et la fraîcheur de Bronte ; d’autres ont qualifié le roman de superficiel et de vulgaire. La première critique connue, est celle d’Elizabeth Rigby, qui a condamné catégoriquement Jane Eyre comme « une composition anti-chrétienne ».


D’autres critiques ont mis en doute la paternité du roman. Certains doutèrent qu’une femme soit capable d’écrire un tel travail, alors qu’un critique dans The Review a affirmé qu’un homme et une femme étaient ses coauteurs.
Dans une autre première évaluation, George Eliot a exprimé son admiration pour le roman, s’est plaint que les personnages parlaient comme des « héros et des héroïnes de rapports de police ».


Dans Jane Eyre, le personnage principal est sauvé grâce à l’amour, finit par quitter une vie de corvée et se retrouve heureuse mariée à son précédent employeur, Edward Rochester. Bien que ce genre de romance soit difficile à trouver dans le monde réel, sa présence dans la littérature a été une constante à travers les âges.
Brontë a créé une Jane Eyre passionnée et intelligente capable de prendre ses décisions, faire preuve d’empathie, et résister à l’adversité, contrairement à de nombreux auteurs masculins qui présentaient les personnages féminins comme figures de beauté, de séduction ou de moralité.


Brontë présente Jane comme un être complexe, en trois dimensions, qui évolue et s’adapte.
Ces aspects féministes du roman ne sont pas passés inaperçus auprès des contemporains de Brontë. Alors que de nombreuses études antérieures ont fait l’éloge du roman, certains ont critiqué son caractère radical et sa vision « non féminine » de la féminité. Jane Eyre est devenue l’une des héroïnes littéraires influentes de son époque.
Après la publication, un nouveau type de femme apparaît dans la littérature victorienne, des femmes rebelles et intelligentes.
Jane Eyre a ouvert la porte à d’autres femmes écrivaines pour explorer les limites, et le désir d’égalité.
C’est un thème qui est apparu dans de nombreux romans victoriens comme Middlemarch de George Eliot.

Références

Allott, Miriam, editor. The Brontes: The Critical HeritageLondon: Routledge & Kegan Paul, 1974.
Bayne, Peter. Two Great Englishwomen: Mrs. Browning and Charlotte Bronte. London : Clarke, 1881.
Crump, R.W. Charlotte and Emily Bronte, 1846–1915: A Reference Guide. Boston : G.K. Hall, 1982.
Gaskell, Elizabeth Cleghorn. The Life of Charlotte Bronte2 volumes, third edition, revised. London : Smith,
Elder, 1857.
Gilbert, Sandra M., and Susan Gubar. The Madwoman in the Attic: The Woman Writer and the Nineteenth
Century Literary Imagination. New Haven, Conn. : Yale University Press, 1979.
Nestor, Pauline. Female Friendships and Communities: Charlotte Bronte, George Eliot, Elizabeth Gaskell.
Oxford : Oxford University Press, 1985.

Woolf, Virginia. » Jane Eyre » and ’Wuthering Heights,’ in The Common Reader, first series. London :
Hogarth Press, 1925.

 

 

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Henry Bordeaux : raconter une France rurale

 

henry bordeaux citation

 

 

Henry Bordeaux est un romancier presque oublié de nos jours, sauf des spécialistes.

Né en Savoie, Henry Bordeaux y demeurera toute sa vie, et cette province sera le cadre de la plupart de ses nombreux livres.

 


Dès ses débuts, avocat et romancier en Savoie, passant par le Figaro, puis à l'Académie Française en 1919, il marque la littérature française de la première moitié du siècle dernier. Rétrospectivement, on peut dire qu'il a décrit une France en train de disparaitre, la France de la terre, de la foi catholique, du destin national, des traditions familiales, du destin collectif avant le destin individuel. Il appartenait à une France traditionnelle et conservatrice.

 

Henry Bordeaux est issu d'une famille catholique et royaliste qu'il décrit dans son roman La Maison (1912) et dans Le Pays sans ombre (1935).  
À l'âge de 16 ans, après avoir obtenu son baccalauréat à Chambéry, Henry Bordeaux part pour Paris pour suivre des études de droit et de littérature. Il y rencontre Alphonse Daudet et son fils Léon, François Coppée, Verlaine, Léon Bloy.
Henry Bordeaux s'inscrit, au barreau de Thonon (1889), mais il ne tarda pas à se tourner vers l'écriture. Sa carrière d'écrivain commence à 1887 (premier poème publié Rebecca, récompensé par l'Académie de Savoie) à 1960, année de son dernier livre (Le Flambeau Renversé).

 

À la suite du ralliement officiel de l'Église à la République (1892) et de l'édification de la doctrine sociale de l'Église, Henry Bordeaux devient républicain.

Les idées politiques d' Henry Bordeaux  sont proches du catholicisme social.
En 1894, il publie son premier livre, " Âmes modernes ", qu'il adresse à tout hasard à ses écrivains préférés.

Après quelques œuvres de jeunesse, Henry Bordeaux s'oriente vers des types de personnages (hommes ou femmes) dont les positions morales traditionnelles et chrétiennes trouvent leur expression dans un engagement concret comme dans son roman La Peur de Vivre (1902).

 

Henry Bordeaux, élu membre de l'Académie française en 1919, fut témoin de la première guerre mondiale, des mouvements sociaux des années 30,  de la seconde guerre mondiale, des évolutions des mœurs, des changements de la condition féminine dans le couple et dans la société, et de l'amélioration des conditions de vie des ouvriers.

À la fin des années 1930 (années du Front populaire), Henry Bordeaux, toujours inspiré par le catholicisme social, prend clairement position pour l'amélioration des conditions de vie des plus pauvres (logement, hygiène, santé, alimentation), conditions de vie qu'il met en parallèle avec l'hypocrisie de la noblesse et de la grande bourgeoisie.

La fin de la Seconde Guerre mondiale marque une rupture dans sa carrière ayant pris position pour le maréchal Pétain, ami depuis la Première Guerre mondiale. En septembre 1945, Henry Bordeaux est inscrit sur une liste d'Épuration du Comité national des écrivains avant d'en être rayé en octobre 1945.  
Bordeaux publie pendant la guerre un roman traitant d'Hitler " L'homme qui détient à lui seul le pouvoir de déchaîner le malheur d'une guerre inutile et insensée sur le monde, l'homme qui exerce ce pouvoir sans hésitation quand il est en présence de sa responsabilité, se classe lui-même parmi les monstres."

 

En octobre 1954, le général de Gaulle lui écrit une dédicace sur un exemplaire de son livre Mémoires de guerre : L'Appel, 1940-1942 en ces termes : " À M. Henry Bordeaux dont l'œuvre a tant nourri mon esprit et mon sentiment ".

 

Henry Bordeaux, à partir de 1951, commence la rédaction de ses Mémoires. En 1959, il raconte ses souvenirs d'académicien (Quarante ans chez les quarante).

Ses romans étaient parmi les livres les plus lus de la première moitié du XXe siècle ; plusieurs de ses romans se vendaient à plus de 500 000 exemplaires, traduits en de nombreuses langues, y compris en japonais.

L'édition américaine du livre Le Chevalier de l'air. Vie héroïque de Guynemer a été préfacée par le Président Théodore Roosevelt : "Nous sommes heureux en vérité d'avoir sa biographie écrite par vous, Très fidèlement votre."

Henry Bordeaux fut inhumé au cimetière de Cognin (près de Chambéry) et dont le collège porte le nom.

 

 

 

Le romancier, la famille d'abord   

Régnier le romancier le 27 mai 1920 sous la Coupole dit : Bordeaux connaît bien son Balzac. Comme le père de la "Comédie Humaine", il produit beaucoup, une soixantaine de romans, des "voyages", une vingtaine d'essais historiques et littéraires, des mémoires. Comme lui, il prend le temps, dans chacun de ses opus, d'exposer longuement l'intrigue. Le temps de humer la saison, de peindre les joues roses de jeunes-filles de la campagne, de visiter les pierres qui seront le cadre, d'illustrer le personnage principal de l'œuvre. "

Il fut un écrivain provincial, attaché à la terre et aux traditions, un conservateur éclairé qui cherche à faire revivre les anciennes coutumes et à cultiver le pittoresque et le romantisme de la campagne.

Chez lui, la famille est la cellule sociale fondamentale, régie par l'éthique. Chez lui, les des drames domestiques finissent par laisser l'ordre traditionnel soumettre les individus même récalcitrants, à préserver le couple et la famille. La religion et l'éthique finissent par convaincre chacun de sauver l'essentiel et de se sacrifier pour la famille.

 

Dans son roman la maison, dans une demeure en pierre où naissent et meurent les grands parents, puis les parents, dans le foyer où se jouent dans l'intimité de minces drames familiaux. Au sein de cette maison, la morale protège la famille pour laisser grandir les enfants et pour vivre sa vie d'adulte au service des autres.

 

Dans son roman mariage de guerre 1942, il s'agit d'une histoire d'amour entre une femme qui admire les héros, et un homme qui finira par prendre le risque de sauver un soldat blessé et ainsi de mériter l'amour de sa future épouse.

Bordeaux n'innove pas ses techniques romanesques : dialogues simples pour présenter les protagonistes, narration chargé, citations de manuscrits et lettres.  Il sait raconter la vie de personnages attachants et agréables à suivre dans un style savoureux.



Les auteurs d'après guerre écrivaient sur des sujets plus actuels comme la conscience de soi, la vie individuelle, la politique, ou la justice sociale.  D'autres styles vont également séduire le public, styles du roman nouveau si éloignés de romans publiés entre les deux guerres.  

Ses romans avaient perdu progressivement leurs publics dans une France si différente, une France moins rurale, plus citadine, moins familiale, et moins religieuse.  
Il est presque difficile d'imaginer combien il faisait partie des écrivains influents et respectés du siècle dernier.

 

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Arthur Miller : all my sons, Ils étaient tous mes fils

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All my sons

 

 

 

Le dramaturge Arthur Miller est né en 1915 et mort en 2005. Ses pièces célèbres : Ils étaient tous mes fils (All My Sons), Mort d’un commis voyageur (Death of a Salesman), Les Sorcières de Salem (The Crucible) sont devenues des textes classiques

Grand nom du théâtre et du cinéma américain, auteur de pièces toujours jouées dans le monde entier, Arthur Miller décrit une Amérique déchirée entre l’exigence d’efficacité et de rentabilité, le matérialisme effréné, l’espérance de liberté, le conflit entre homme et femme, la famille, la loyauté, le mal : tels sont, parmi tant d’autres, les thèmes de son œuvre, ancrée dans la modernité.
Arthur Miller est un dramaturge américain majeur, qui a remporté de nombreux prix comme le prix Pulitzer.

 

 

 

Résume de la pièce « ils étaient tous mes fils » (all my sons)


Joe et Kate Keller ont eu deux fils, Chris et Larry. M. Keller possède une usine de fabrication métallurgique avec Steve Deever, et leurs familles sont proches. La fille de Steve, Ann était la petite amie de Larry. Quand la guerre est arrivée, les garçons Keller et George frère d’Ann ont été enrôlés.
Pendant la guerre, l’usine de Keller et Deever obtient un contrat très rentable avec l’armée américaine, fournissant des pièces d’avion. Un matin, des pièces défectueuses sont produites et prêtes à être livrées. Sous la pression de l’armée à maintenir la production, Steve Deever appelle Keller chez lui ce matin-là, pour lui demander ce qu’il devait faire. Keller lui recommande de souder les fissures des pièces et de les expédier. Keller a déclaré plus tard qu’il avait la grippe et qu’il ne pouvait pas travailler ce jour-là. Steve a expédié lui-même les pièces défectueuses et réparées sommairement.
Plus tard, on découvre que les pièces défectueuses avaient causé le crash de vingt et un avions et la mort de leurs pilotes. Steve et Keller ont été arrêtés et condamnés, Keller a réussi à gagner en appel et à faire annuler sa condamnation. Il a affirmé que Steve ne l’avait pas prévenu ni appelé et qu’il n’était absolument pas au courant de l’envoi. Keller rentre chez lui libre, tandis que Steve est resté en prison, méprisé par sa famille.
Pendant ce temps, Larry a été informé de la première condamnation. Rongé par la honte et le chagrin, il écrit une lettre à Ann lui disant qu’elle ne devait pas l’attendre. Larry est ensuite parti en une mission, au cours de laquelle il a écrasé son avion. Et Larry est porté disparu.
Trois ans plus tard, l’action de la pièce commence. Chris a invité Ann à la maison Keller. Ils sont restés en contact au cours des dernières années quand Ann vivait à New York. Ils doivent faire attention, car la Mère de Chris insiste sur le fait que Larry est toujours en vie. Sa conviction est renforcée par le fait que l’arbre commémoratif de Larry a explosé dans une tempête ce matin-là, ce qu’elle considère comme un signe positif. Sa superstition l’a également amenée à demander au voisin de faire l’horoscope de Larry afin de déterminer si le jour de sa disparition était un jour astrologiquement favorable. Tout le monde a accepté que la disparition de Larry, sauf elle. La Mère exige de son mari qu’il croie que Larry soit encore vivant.


Le frère d’Ann, George, arrive pour arrêter le mariage entre Ann et Chris. Il était allé rendre visite à son père Steve en prison pour lui dire que sa fille allait se marier, puis il est parti convaincu que son père était innocent. Il accuse Keller. George écoute Keller encore une fois et se rappelle l’amitié de leurs deux familles. Mais Mme Keller dit accidentellement que son mari n’a pas jamais été une seule fois malade depuis quinze ans. Keller essaie de couvrir ce lapsus en ajoutant « à l’exception de sa grippe pendant la guerre », mais il est trop tard. George est certain de la culpabilité de Keller.


La confiance de Chris dans l’innocence de son père est ébranlée. Lors d’une confrontation avec ses parents, la mère lui dit qu’il doit continuer à croire que Larry est vivant. Si Larry est mort, affirme la Mère, cela signifie que Keller l’a tué en expédiant ces pièces défectueuses. Chris crie sa colère à son père, l’accusant d’être inhumain et meurtrier.
Chris dévasté s’enfuit pour éviter une deuxième confrontation avec son père. La mère dit à son mari qu’il devrait avouer, se porter volontaire pour aller en prison, si Chris le décide. Elle parle à Ann, lui dit qu’elle devrait attendre Larry et ne pas se marier. Ann est forcée de montrer la lettre que Larry lui a écrite avant sa mort, où il annonce son intention de se suicider. La lettre confirme la conviction de la Mère que si Larry est mort, alors son mari est responsable, non pas parce que l’avion de Larry avait des pièces défectueuses, mais parce que Larry s’est suicidé en réponse à la responsabilité familiale et à la honte due aux pièces défectueuses.


La mère supplie Ann de ne pas montrer la lettre ni à son mari ni à son fils, mais Ann n’obéit pas. Chris revient et dit qu’il n’enverra pas son père en prison, parce que cela n’apporterait rien. Il dit qu’il va partir sans Ann, car il craint qu’elle ne lui demande un jour de dénoncer son propre père aux autorités.
Keller entre pendant que la mère tente d’empêcher Chris de lire la lettre de Larry à haute voix. Keller comprend enfin qu’aux yeux de Larry, tous les pilotes morts étaient ses fils. Keller dit qu’il va chercher sa veste, pour se rendre et aller en prison. Un instant plus tard, un coup de feu se fait entendre. Keller s’est suicidé.

 

 

 

Ils étaient tous mes fils : analyses rapides


All My Sons est une pièce qui affronte l’histoire américaine de la réussite, du rêve américain à n’importe quel prix et la dévastation du succès qui détruit tout y compris les humains et les relations. Cette pièce traite du pouvoir, de la famille, du rêve américain, de l’argent, et des limites de l’individualisme. Ils étaient tous mes fils (All My Sons) est une pièce de théâtre écrite par Arthur Miller en 1947.
Avec cette pièce, Miller s’est imposé comme un dramaturge américain majeur du 20e siècle, comme une voix critique de la conscience.
La pièce est une étude sur l’échec de la famille, sur la responsabilité sociale, sur la responsabilité morale.
C’est une pièce importante, remarquable par la rigueur de sa structure et par l’honnêteté avec laquelle elle aborde le problème de l’action de l’homme dans le monde moderne.
Dans certaines études, on la décrit comme une pièce ibsénienne. La méthode d’Ibsen consiste à montrer d’abord une scène domestique ordinaire, dans laquelle, par infiltration progressive, le crime et la culpabilité pénètrent et s’accumulent jusqu’à l’éruption critique.
Ce processus de cette infiltration destructrice est soigneusement élaboré par Miller pour mettre en lumière les conséquences et la culpabilité.

Le drame réaliste de Miller, All My Sons, implique son concept fondamental de responsabilité morale au sein de la famille, en le reliant à la lutte intérieure.
La famille, pendant la guerre.
À travers le cas d’un dirigeant qui a permis que des pièces d’avion défectueuses soient envoyées à l’armée plutôt que de ruiner son entreprise et de perdre un contrat, le dramaturge a cherché à montrer les conséquences d’un acte justifié par l’amour de son entreprise, et du bien-être matériel de sa famille.

Miller est connu pour la qualité de ses dialogues. Il n’y a pas beaucoup de poésie dans la langue, mais un ton naturel de gens ordinaires.

Joe Keller était un profiteur de guerre, avec son associé Steve Deever, il a créé sa propre entreprise pour expédier des cylindres pour les avions de chasse. Steve Deever, père d’Ann Deever (fiancée à Chris, le fils de Joe) est en prison, après avoir été reconnu coupable d’avoir expédié des pièces défectueuses pour des avions de chasse, ce qui a entraîné la mort de 21 pilotes. Les pièces ont été expédiées en l’absence de Joe Keller, qui était malade et en congé ce jour-là. Son associé Steve affirma qu’il avait expédié les cylindres sur les ordres de Joe lors d’un appel téléphonique.

Lorsque George (le fils de Steve) va à sa rencontre pour lui parler du mariage d’Ann et de Chris, Steve Deever affirme encore une fois à son fils qu’il est innocent. Cela suscite des sentiments de malaise et de suspicion dans l’esprit de George, devenu avocat.
Ann montre à Kate la dernière lettre de Larry. Chris condamne le comportement de son père. Chris lit à haute voix la lettre de Larry et Joe apprend que son acte a poussé Larry à se suicider. Acceptant enfin le fardeau de sa culpabilité, Joe se tue.

Chris s’impatiente avec son père : « Tu n’as pas de pays ? Tu ne vis pas dans le monde ? Qu’est-ce que tu es ? Tu n’es même pas un animal, aucun animal ne tue le sien, qu’est-ce que tu es ? »

 

Arthur Miller a délibérément essayé de destiner cette pièce à un large public.
Il était préoccupé par la relation entre l’individu et les grandes forces de la politique et de l’industrie.
L’écriture d’Arthur Miller dans All My Sons témoigne d’un respect pour les grandes tragédies grecques. Dans ces pièces, le héros commet une faute, souvent à son insu, faute qui revient le hanter, parfois de nombreuses années plus tard. Le protagoniste se rend compte de sa faute et en souffre, voire en meurt.

L’action d’All My Sons se déroule en vingt-quatre heures. Ann Deever, la fille du condamné Steve Deever, peut être comparée à un messager, car la lettre qu’elle apporte est une preuve de la mort de Larry.
Kate, la femme de Joe, mi-émue, mi-terrifiée, annonce : « Tout ce qui s’est passé semble revenir ».
Chez Miller comme chez Ibsen, le présent interroge le passé et le passé infiltrant le présent progressivement.

 

 

 

Une pièce de gens ordinaires


Contrairement aux tragédies grecques et shakespeariennes, il ne s’agit pas de question de loyauté ou de pouvoir. Arthur Miller qualifie la pièce de « tragédie de l’homme ordinaire », de la même manière que les fantômes d’Ibsen (Miller était un grand fan d’Ibsen). Les deux auteurs utilisent la famille nucléaire pour explorer des problèmes sociaux beaucoup plus importants. Dans All My Sons, Miller enquête sur la myopie de la classe moyenne à travers l’histoire de Joe Keller.

Joe semble avoir réalisé le rêve américain. Selon lui, ses seules réalisations sont ses fils et son entreprise. Il a lutté et a nourri l’entreprise pendant la Grande Dépression, puis l’a bâtie pendant la guerre. Mais le seul but de son travail a été de bien faire vivre sa famille et de faire un cadeau à ses fils. Joe a déjà perdu un de ses garçons pendant la guerre et donc, pour Joe Keller, tout dépend de Chris.

On peut voir Joe Keller comme diabolique, même si le public doit ressentir une certaine sympathie pour lui. Il a fait ce qu’il fallait pour protéger sa famille et les années investies dans l’entreprise. À la fin de la pièce, Joe Keller se révèle un homme cynique qui ment, triche, échappe à ses responsabilités, joue la victime et détruit la vie des autres, afin de se protéger et protéger l’argent qu’il transmettra à ses fils.

Miller laisse ouverte la question de savoir pourquoi Keller se tue.
Il aurait pu se suicider à cause de son angoisse d’être la cause de la mort de son fils Larry. Il aurait pu se suicider parce que ses deux fils ont rejeté sa vision de la vie. Joe aurait pu se suicider parce qu’il ne pouvait pas souffrir de la honte et de la perte de son statut. Il aurait pu se suicider parce qu’il a réalisé l’énormité de son crime. Ou cela aurait pu être une combinaison de tous ces facteurs empilés les uns sur les autres.

L’insistance de la mère sur le fait que Larry est vivant reflète sa conviction que Larry ne peut pas être mort, car si Larry est mort à la guerre, il y a un lien entre le crime de Joe et la mort de Larry. Elle a ressenti cela avant de connaître le suicide de Larry. D’une manière intuitive, la mère comprend que si la guerre peut toucher sa famille et emporter son fils, les gens ont la responsabilité, envers la société au sens large, d’agir de manière éthique afin que cela arrive le moins possible. Et en acceptant le crime de Joe, elle abandonne son fils.

La meilleure façon de comprendre le personnage de la mère est d’analyser ses conflits psychologiques. Elle est liée à son mari par amour, et complice de son crime. À plusieurs moments de la pièce, elle aide son mari. En même temps, Kate déteste Joe pour son crime et elle se déteste pour sa complicité en l’aidant à s’en sortir. Elle sait que Larry est mort, une partie d’elle se déteste, et méprise son mari et l’autre a besoin de pleurer son fils mort. Elle peut pleurer pour son fils et mettre sa mémoire au repos.

Arthur Miller a qualifié la mère d’une force sinistre et puissante dans la pièce, une femme utilisant la vérité comme une arme contre un homme qui a fait du mal à leur fils. La mère est un personnage tragique, qui à la fin de la pièce, est obligé de reconnaître la mort de Larry.

Comme suggérée précédemment, la mère joue le rôle du chœur dans cette tragédie. Regardez l’Acte III, page 150, « . . . Asseyez-vous, arrêtez d’être fou. Tu veux vivre ? Tu ferais mieux de comprendre ta vie. C’est une autre double affirmation, car elle montre qu’elle se soucie de l’homme dont la relation avec son fils, relation la plus importante de sa vie, vient d’être détruire. Cela préfigure également ce qui arrivera à Joe.

Le fils chéri Chris Keller est plus complexe qu’il n’y paraît à première vue. Il a trente-deux ans, solidement bâti, un homme capable d’une immense affection et loyauté. Chris est un homme bien et un bon fils. Il pense toujours au meilleur des gens. Quand la pièce commence, Joe est le héros de Chris. Après avoir appris la culpabilité de son père, Chris dit à Joe : “Je sais que tu n’es pas pire que la plupart des hommes, mais je pensais que tu étais meilleur. Je ne t’ai jamais vu comme un homme. Je t’ai vu comme mon père”. (Acte III)

Chris a toujours soupçonné que son père était coupable, mais l’a ignoré. Son amour pour son père l’empêche de décider. La rage de Chris contre son père est en partie dirigée contre lui-même pour avoir trahi la mémoire des hommes morts à la guerre.

Certains critiques considèrent Chris Keller comme le héros tragique de la pièce. Son défaut serait son incapacité à reconnaître la vérité quand il la voit. Il devient un hypocrite et perd son père. Dans cette pièce, Chris a perdu son innocence et a appris à connaître son père comme un homme imparfait.

Ann représente ce qui est gracieux dans la vie. Elle est la beauté dans la vie que les enfants Keller, Larry et Chris, recherchent. Ann représente la “nouvelle femme”. Elle est indépendante, volontaire et brillante.

La présentation des femmes par Miller dans “All My Sons” est montrée à travers la relation entre Kate et Ann. Kate, contrôle, exerce son pouvoir sur Ann, et la manipule. Elle veut s’accrocher au passé, car elle a peur d’oublier son fils Larry. Ann la jeune génération est l’avenir.

Le passé et le futur divisent Kate et Ann. Dans le passé, Larry est mort, mais Kate croit qu’il est toujours vivant. Quant au futur, Ann doit aller de l’avant et épouser Chris. Kate et Ann sont les victimes de la famille Keller. Ces deux femmes cherchent à survivre dans un monde de conflits entre hommes à la réalisation de la réussite et du rêve américain.

Ann, comme Kate, est présentée comme une personne sans méchanceté et sans sentiment de fragilité. La relation entre Kate et Ann commence à devenir tendue, car leurs personnalités et leurs émotions s’opposent, alors que la vérité sur Joe commence à surgir. Miller est intelligent, il présente des individus forts et à l’esprit opposé, à une époque où les femmes subissent les conséquences de la guerre.

 

 

 

 

Références


Raymond Williams, Drama From Ibsen to Bretch (London: Chatta and Windows,
1968) 268.
C.W.E. Christopher Bigsby ed., Arthur Miller’s All My Sons : A Drama in three Acts
(NY : Penguin Classics 1971) 9.
Robert A. Martin, ed., “Introduction” Arthur Miller : New Perspectives. (Prentice Hall
Inc., 1982) 34.
Samuel York’s. Modern Critical Interpretations. : Arthur Miller’s All My Sons ed.,
Harold Bloom. (New York : Chelsea House Publishers, 1988)
Harold Clurman, “Thesis and Drama” Modern Critical Interpretations. : Arthur Miller’s
All My Sons ed., Harold Bloom. (New York : Chelsea House Publishers, 1988)

 

 

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ABE Kobo

 

 abe kobo citation liberte

 

Pseudonyme d'Abe Kimifusa, romancier japonais et dramaturge reconnu par son utilisation de situations bizarres et allégoriques pour souligner l'isolement de l'individu. Avant gardiste, sa familiarité avec la littérature occidentale, et avec les courants philosophiques de 20ème siècle comme l'existentialisme, le surréalisme, et le marxisme a influence ses œuvres et son traitement des problèmes liés à l'identité japonaise après la deuxième guerre mondiale

Kôbô Abé est né en 1924. Après des études de médecine, il se tourne vers la littérature. Auteur de poèmes, de plusieurs pièces de théâtre et d'ouvrages de science-fiction, il est surtout connu pour ses romans. Kôbô Abé est mort le 22 janvier 1993.


Fils aîné d'un professeur de médecine à l'université de Moukden. École primaire de Chiyoda, Mukden, séjour en Mandchurie (maintenant Shen-yang, Province de Liaoning, Chine) entre 1930-36.  Collège secondaire à Mukden de 1936-40. Etudes au Lycée Seijo à Tokyo entre 1940-43 interrompues pendant plusieurs mois à la fin de 1940 à cause d'une pneumonie. Etudes universitaires à l'Université impériale (université de Tokyo) de 1940 à 1948.  ABE Kobo n'a jamais pratiqué la médecine.  


En 1947, il se marie à Yamada Machiko (pseudonyme Abe Machi, artiste graphique). Après la défaite du japon, il abandonne la médecine et se consacre à la littérature. Au début, il était influencé par Rilke, Edgar Poe, Kafka, l'existentialisme et le surréalisme.
De retour au Tokyo du général MacArthur, Abe gagnait sa vie comme vendeur ambulant, vendant des légumes et du charbon de bois.


Il publia en 1947 à ses frais Mumei shishu ("Poèmes d'un inconnu"), et l'année suivante, son roman Owarishi michi no shirube ni ("Le panneau routier à la fin de la rue").
Il a obtenu le plus grand prix littéraire japonais, Akutawa - sorte de "Goncourt de découverte" -  en 1951 pour son roman "Les Murs" (Kabe) puis le "Prix de Littérature de l'Après-guerre" - ou "Goncourt des Jeunes" - avec Akaï Mayu, "Le Cocon Rouge".


En 1951, il publie aussi "Le Blaireau dans la tour de Babel", en 1952 "L'Arche de Noé", "La ville au milieu des Eaux", en 1956 "La chasse aux Esclaves", en 1957 "Les Bêtes tournent les Yeux vers le Lieu où elles sont nées", en 1962 "La Femme des Sables", en 1964 "Le Visage d'un Autre" et en 1965, "Enomoto Buyô".


Ses années d'enfance en Mandchourie peuvent explique les images fréquentes dans son œuvre du sable et du désert et le mélange entre l'urbain et le rural et le caractère irréel du Japon et de sa culture reçus à distance dans un pays étranger, la quête d'identité, le sentiment d'étrangeté qui caractérisent ses personnages.


Il s'inscrit au Parti communiste. En 1956, il est invité à Prague par l'Union des écrivains tchèques. Son roman de science-fiction InterIce Age 4 (1958) démontre comment la rigueur scientifique prend l'insolite pour point de départ,  l'angoisse du présent en face du future.
Son roman "La Femme des Sables" ( Suna no onna) est un grand succès de librairie ; il a obtenu la consécration au Japon, en obtenant le prix du Yomiuri - ou "Goncourt d'apothéose" -. Ce roman a été classé par l'UNESCO parmi les oeuvres représentatives du patrimoine littéraire universel. Le cinéaste, Teshigahara, en a tiré un film qui a été reçu comme un message des temps actuels et couronné au festival de Cannes. Ce même livre a été couronné en France du prix du Meilleur Livre Étranger.


Il connaît une consécration internationale à partir de 1962 grâce à la  femme dans les dunes.  Le film du même nom, dont il écrit le scénario, est primé en 1964 au festival de Cannes. À la même époque, il est exclu du Parti communiste pour déviation trotskiste.
Dans le japon après guerre, Abe Kobo est l'auteur du modernisme à la façon de nouveau roman français, du théâtre de l'absurde, ou le réalisme magique latino-américain.
Son travail a trouvé un écho dans l'ouest capitaliste et  dans les pays socialistes, aidé par son fond communiste et la politique de détente sous Khrushchev.


Il poursuit parallèlement une carrière de romancier et d'homme de théâtre. Ses romans traduits à l'étranger, La Face d'un autre (1967), Le Plan déchiqueté (1967), L'Homme-boîte (1973), Rendez-vous secret (1977), et sa pièce Friends (1967), jouée à Paris en 1981 sous le titre Nos Merveilleux Amis,  témoignent, d'une grande constance dans la thématique et dans l'écriture.


Ses personnages sont en fuite ou à la recherche d'un fuyard, mais si grande est la fascination qu'exerce le fuyard que parfois le chasseur s'évanouit à son tour à la fin du récit.
La fuite peut surprendre, ces personnages sont solidement ancrés dans une vie familiale et professionnelle, qui rejettent le confort, et souffrent de l'absence de communication avec les autres. Les conditions les métamorphosent lentement  et progressivement. L'auteur exprime ces changements à travers un mouvement incessant du monologue intérieur, des marches dans les couloirs d'hôpitaux, dans les rues de la métropole ou des banlieues.


Chez ABE Kobo, l'espace est circulaire, le caractère obsessionnel d'un retour vers des lieux clés réels et mythiques. Cette fuite n'exclut pas la poursuite  d'un but. La trajectoire est relativement claire pour le protagoniste de La Femme des sables qui trouve, au terme du récit, une réelle communication avec la femme, avec le travail et au sein de la communauté sociale.

L'écriture unit, selon un mode tout à fait étranger à la tradition japonaise, la sécheresse scientifique du compte rendu aux métaphores surréalistes, les distorsions chronologiques que le narrateur fait subir au récit, le jeu ambigu sur les noms propres, sur les initiales ou sur le pronom personnel je, souvent dédoublé.  Il s'agit d'une construction en miroir et des substitutions de personnalité.

La femme des sables marque un point de départ dans la carrière d'Abe malgré un langage analytique riche en vocabulaire technique.
On trouve chez lui les influences de Franz Kafka et d'Edgar Allan Poe, dans un style imprégné de surréalisme.

Au contact avec l'avant-garde des artistes à Tokyo d'après-guerre, Abe est fortement influencés par la philosophie existentialiste, par Rilke et dans
Les années 50 par les enseignements Marxistes sur le matérialisme.

Dans ses textes des années 60, Abe explique qu'il voit le langage comme un moteur de l'histoire, une libération, et une aliénation à la fois. Le langage selon lui met un écran entre la perception humaine et les choses matérielles.

Après que son contact avec le surréalisme, Abe ait commencé à employer des jeux de mots illustrant le pouvoir du langage. Le pouvoir du langage est dépeint sa pièce le collaborateur anonyme est ici). Le personnage principal est un homme mort existant seulement par ses mots.

Après le surréalisme des années 50, Abe s'intéresse aux sciences-fictions pour profiter de leurs capacités à spéculer, et à sortir du réel.
Son premier roman des sciences-fictions période glaciaire inter4, raconte comment un ordinateur commence à manipuler l'évolution humaine.
Dans la femme dans les dunes, il décrit une société d'allure réelle mais de contenu riche en science fiction, une société du merveilleux

Les années 50 étaient des années de radicalité politique.
Les grandes espérances, bientôt déçues, d'changement social vers une égalité espérée après la fin de la deuxième guerre mondiale.  Abe était parmi les artistes qui ont cru à l'importance de la lutte politique et à la radicalité.
Après son expulsion du parti communiste en 1962, il critiquait comme d'autres écrivains les pratiques antidémocratiques du communisme.

Après cette rupture avec les communistes, il produit plusieurs textes pour le théâtre, comme (la face d'un autre). Dans cette pièce, le premier narrateur, au visage défiguré réalise un nouveau visage pour lui-même, et s'enferme ainsi dans une personnalité - masque. Il finit en tant qu'étranger méprisé par la société.

Pendant cette période,  Abé est de plus en plus retiré et pessimiste. Il produit deux romans importants (le cadre Homme) et Mikkai (rendez-vous secret).  Son roman des années 80, Hakobune Sakuramaru (l'arche Sakura), est riche des idées originales, mais Manque d'intensité.

Son dernier roman fut couronné de succès,  noto de Kangaru (kangourou Cahier).  Le narrateur se déplace vers un hôpital près d'une Source thermale et réussit une succession de rêves dans des rêves.
Le livre est autobiographique selon l'éditeur, mais il est surtout une illustration sur le métier d'écrire,  sur la condition humaine, entre Aliénation et isolement.

Abe a formé l'Abe Kobo Studio, une compagnie de théâtre, en 1973. Il a régulièrement écrit une ou deux pièces par an pour la compagnie. Le plus connu de ses pièces, Tomodachi (1967, amis), a été interprété aux États-Unis et en France. Au théâtre, comme dans le roman, il a défendu l'avant-garde et l'expérimentation.


Il meurt en 1993, à l'âge de 68 ans. C'est alors un écrivain mondialement reconnu, traduit dans une vingtaine de langues, dont les thèmes fétiches sont l'aliénation et la perte d'identité.

 

La femme des sables, œuvre d'une force exceptionnelle


Ce roman de Kobo Abe, La Femme des sables a été traduit en 20 langues et adapté pour un film primé de Cannes en 1964 dirigé par Hiroshi Teshigahara.


Ce roman exceptionnel, traduit dans le monde entier, a été couronné au Japon par le Prix Akutagawa en 1962 et le Prix du Meilleur Livre Etranger en France en 1967.
Roman insolite d'une extraordinaire richesse, dur et angoissant qui, sous l'exactitude et la précision des détails d'une fiction réaliste, retrouve la dimension des mythes éternels. Il ne s'agit de rien d'autre que de la condition humaine avec ses limites désespérantes, ses illusions et ses espoirs.

 

 

 

 

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Émilie Dickinson série, la poésie en images

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Émilie est une poétesse américaine du début du siècle (1830- 1886), un personnage qui serait resté oublié sans la publication de ces textes retrouvés par hasard et qui révélèrent une grande valeur poétique. Dickinson, la femme aux 1775 poèmes, dont à peine une dizaine de poèmes seront publiés de son vivant, est une véritable légende, une institution américaine. Tous les lycéens anglophones, surtout américains et canadiens connaissent ses poèmes à travers leurs manuels scolaires.


La poésie d'Emily Dickinson a intrigué et captivé des générations depuis sa mort en 1886. Les poèmes d'Emily Dickinson couvrent un large éventail de sujets. Elle est considérée comme une poète innovante et pré-moderniste. Ses poèmes sont uniques, contiennent des lignes courtes, manquent de titres et utilisent souvent des rimes obliques ainsi que des majuscules et des signes de ponctuation non conventionnels. Beaucoup de ses poèmes traitent des thèmes de la vie et l'immortalité, deux sujets récurrents dans les lettres à ses amis.


Cette femme vécut toute sa vie dans la petite ville d’Amherst (Nouvelle-Angleterre) dans une communauté protestante peu ouverte sur le monde extérieur. Elle passa sa vie entre son père, un homme autoritaire et sa mère invalide dont il fallait s'occuper. Elle finit par réduire sa vie sociale à sa correspondance à ses amis refusant de recevoir des visites.
Emily se décrit elle-même comme une femme sensible, pleine de vie, spontanée et parfois éruptive.


« Et quand je souris, une lumière aussi cordiale
luit sur la vallée
que c'est comme si le visage du Vésuve
laisser sourdre son plaisir »

Elle sera en opposition à son père, à la religion puritaine et à son milieu social.
Elle écrivait des lettres et des poèmes pour elle-même et de ce fait elle était libre et voyait la vie avec lucidité et profondeur.


« L'espoir porte un costume de plumes, se penche dans l'âme et chante inlassablement un air sans paroles. Mais c'est dans la tempête que son air est le plus doux. »

Les poèmes d'Emily Dickinson ont été qualifiés de métaphysiques, philosophiques. On a inventé de nombreuses formules pour décrire son style de pensée : ses ellipses cryptiques, sa compression, ses sujets énigmatiques, ses centres absents et son abstraction.


Il y a une autre qualité qui est tout aussi intrinsèque à ses vers, et c'est l'invention par Dickinson de structures poétiques qui imitent la structure de la vie telle qu'elle la conçoit à chaque instant.


Elle écrivait chaque jour au gré de son humeur devant sa fenêtre sur la nature, l’amour, la vie, la mort ou l'immortalité. Cet isolement fournit une approche de méditation sur le monde et sur soi même.


« Ce monde n'est pas conclusion
Un ordre existe au-delà -
Invisible, comme la musique
Mais réel, comme le son
Il attire, et il égare »


Vivant dans une communauté religieuse rigoureuse, et au sein d’un milieu familial bourgeois (son père fut représentant à la chambre) elle refusa la vision du monde imposée par la religion avec un scepticisme moderne pour l'époque et pour son entourage.
Elle publia anonymement quelques poèmes mais son style avec majuscules et tirets, jugé peu conventionnel, déconcerta les lecteurs.

"La Nuit est mon Jour préféré - j'aime tant le silence - et je ne parle pas d'une simple trêve (cessation) du Bruit - mais de ceux qui parlent de rien à longueur de journée et prennent cela pour de l'allégresse..."


Elle écrivit sur la mort, elle perdit de nombreuses personnes de son entourage de maladie, notamment la tuberculose sévissait à l’époque et pendant la guerre civile de sécession. Elle ne voyait pas la mort comme une fin.

« J’étais morte pour la Beauté – mais à peine
M’avait-on couchée dans la Tombe
Qu’un Autre – mort pour la Vérité
Etait déposé dans la Chambre d’à côté –
Tout bas il m’a demandé « Pourquoi es-tu morte ? »
« Pour la Beauté », ai-je répliqué
« Et moi – pour la Vérité – C’est Pareil –
Nous sommes frère et sœur », a-t-Il ajouté –
Alors, comme Parents qui se retrouvent la Nuit –
Nous avons bavardé d’une Chambre à l’autre –
Puis la Mousse a gagné nos lèvres –
Et recouvert – nos noms -»

 

emily dickinson  serie


Série Émilie Dickinson Apple TV


Il fallait oser, s'attaquer au monument que représente Emily Dickinson, et parler de la poésie, en ajoutant une dose de comédie et de musique, il faut une sacrée dose d'audace pour filmer le mythe de la poétesse, caricaturée en vieille fille recluse. La biographie de Dickinson relate une autre vie, de création, de méditation et de rébellions contre son milieu social, et contre dogme de l'Église calviniste.


La série, créée par Alena Smith, se déroule dans et autour de la maison de la famille Dickinson à Amherst au milieu du 19e siècle. Emily est une adolescente, irritée par le refus d'Edward de la laisser publier sa poésie, et sa mère (également nommée Emily, interprétée par Jane Krakowski) la poussant à maîtriser les tâches ménagères comme sœur Lavinia (Anna Baryshnikov), tandis que leur frère Austin (Adrian Blake Enscoe) s'en tire avec tout.


Cette série nous parle de sa vie entre ses parents, son frère Austen et sa sœur Vinnie.
Elle nous montre comment elle s’affirmera une grande poétesse malgré l'absence de public, de notoriété car la plupart de ces nombreux textes et poèmes (1700) ne seront publiés qu'après sa mort.

 

 


La série d’Apple TV, tente d’expliquer le génie souvent incompris d’Emily, la première saison insiste l’enfance, sur l’opposition au père et sur la relation avec sa belle soeur et amie intime Sue.


On se doute que l’Emily imaginée et interprétée par la jeune actrice Hailee Steinfeld est loin de l’Emily originale mais le but est de transmettre ce qu’elle exprimait dans ses textes.


A sa sortie, la série essuie de nombreuses critiques surtout pour la première saison où les anachronismes choquent les littéraires et les fans de la poète. La relation supposée intime avec son amie Sue est longuement exposée.
Par ailleurs certains épisodes manquent de rythme laissant le spectateur dubitatif sur les intentions du réalisateur.

Alena Smith la réalisatrice nous expose une Emily adolescente rebelle et fantasque incomprise de sa propre famille dans un environnement léger et plein de gaiété. L’actrice, Hailee Steinfeld qui a joué dans le film New York melody, réinvente une Emily à la fois sauvage et exaltée.


Dans la deuxième saison, la réalisatrice améliore le scénario et ce sont des épisodes rythmés, plus joyeux, musicaux autour de ses textes. Chaque épisode présente un thème, Emily à l’opéra, se rend à un concours de pâtisserie, Emily en cure thermale, Emily rencontre le directeur du Journal etc. En cela, «Dickinson» a choisi de ne pas changer, en soi, mais d'approfondir. Si la saison 1 était prometteuse, mais inégale, la saison 2 est divertissante, mais inégale.


Au début de la saison 2, Emily se sent découragée, Sue - son ancienne amie intime, puis belle-sœur la pousse à élargir son champ de lecture et à poursuivre la publication de poèmes via un journaliste prometteur Samuel. Le frère d'Emily (mari de Sue) Austin cherche un sens à sa vie de jeune marié, la sœur Lavinia repousse l'hypothèse qu'elle se mariera bientôt et réévalue sa vie. Le changement est à l'horizon pour tous, et pas seulement parce qu'une guerre civile se prépare dans le sud.

 

 


Chaque épisode s’ingénie, à présenter un poème, et son contexte d’une façon joyeuse, comique, musicale et pleine de charme. Cette série cible la jeunesse, et les excentricités qui s’y rattachent, affichant l’opposition des jeunes aux aînés rigides et gardiens des mœurs, et fait découvrir d’une manière joyeuse, l’art la poésie dont la valeur s’est un peu perdue ; seuls quelques chanteurs et mélodistes nous en rappellent parfois l’existence si précieuse et en même temps si douce à nos oreilles et à notre esprit.


Malgré ses défauts, «Dickinson» a du charme à revendre. C'est inégal, oui, mais la série mérite l’attention par son univers délicieusement bizarre. Nous entrons dans le monde d’Emilie qui n’aimait ni la célébrité, ni les louanges.


«J'habite le Possible-
Maison plus belle que la Prose-
Aux plus nombreuses Fenêtres-
Et mieux pourvue -en Portes-»

 

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Incipit

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Incipit

Ce mot désigne le premier mot d’un ouvrage. C’est l’entrée en la matière. Certains auteurs ont l’art de l’incipit, certains incipit sont passés à la postérité.

Aucun incipt n' est devenu un classique sans un grand roman, par contre, de nombreux grand romans  n'ont pas un incipit célèbre.

Voici dans ce vidéo quelques incipt qui mérite l'attention

 

 

 

 

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Cyrano de Bergerac : français ou universel ?

cyrano-de-bergerac-roxane-illustration-jardin-fleuri-couvent

 cyrano de bergerac roxane illustration jardin  fleuri couvent

 

 

 

Lorsque l'on interroge les Français sur leurs héros de fiction préférés, ils citent Cyrano, Jean Valjean ou d’Artagnan.
Cyrano est le héros populaire par ¬excellence. Depuis sa création et son invraisemblable triomphe le 28 décembre 1897, au Théâtre de la Porte Saint-Martin, le personnage est devenu une légende.


Certains pensent qu’aimer Cyrano est une nostalgie française des actions d'éclat ou le goût pour le panache. D’autres pensent que la pièce est un chef d’œuvre, apprécié par les français et les autres cultures pour ses propres qualités.
Les français ont largement apprécié et célébré ce texte, Cyrano est l'une des pièces les plus aimées et les plus mises en scène de l'histoire du théâtre en France.

 

cyrano de bergerac roxane  illustration

La pièce : une réussite justifiée


Cette pièce née en sous la plume d'Edmond Rostand en 1897, a rencontré son public dès les premières représentations. Cette réussite phénoménale et unique envoie Rostand à la postérité.
Période fin-de-siècle en France, désillusion face aux résultats désastreux de la guerre franco-prussienne, division politique et sociale causée par l’Affaire Dreyfus, inefficacité accompagnent l'instabilité de la troisième République. Cyrano de Bergerac de Rostand, cet idéaliste romantique allait donner aux spectateurs un nouvel élan d’optimisme et de motivation.


La pièce s'inspire vaguement de la vie d'un poète et soldat français (1619-1655), libre-penseur et auteur de quelques pièces. Dans la pièce de Rostand, Cyrano est un casse-cou au gros nez qui, se croyant trop laid pour séduire la belle Roxane, aide Christian à la séduire en lui écrivant ses lettres d'amour. Christian meurt dans une bataille.

Bien des années plus tard, Roxane, dans son couvent, découvre, alors que Cyrano se meurt, qu'il était l'auteur des lettres, que son esprit était celui qu'elle avait toujours aimé. Roxane soupire : "J'ai aimé une fois, j’ai perdu l’amour deux fois ».


A la première représentation, dès l’entrée de Cyrano sur scène, le ton est donné : le premier acte est interprété et enlevé avec brio, et obtient neuf rappels. Rostand se détend sans être rassuré. Le premier acte est un tableau de la France du début du XVIIe siècle ; Jeunes gents à l’esprit joyeux, femmes charmantes, soldats, commerçants qui s’amusent dans un mélange d'absurdité, de frivolité, d'arrogance, de romance, de courage et d'esprit. C’est la fameuse scène du nez, monologue d’une incroyable efficacité où l’amour des mots transporte de joie les spectateurs.


Le second acte rassure Rostand. Cet acte ajoute une note comique et présente les Gascons comme arrogants et menteurs, et révèle l'affection de Cyrano et son dévouement.
Après le troisième acte, c'est du délire. Rostand est obligé de venir saluer en scène comme si la pièce était finie. L'acte trois idéalise l'amour impossible du héros dans la fameuse scène du balcon, avec sa prose lyrique si joliment rythmée.


Après le quatrième acte, pendant que l'auteur surveille l’installation du décor, on vient le chercher pour le conduire à la loge officielle. M. Cochery, Ministre des Finances, dégrafe de son habit sa légion d'Honneur et, s'adressant à Rostand, lui dit : « Monsieur, au nom du Président de la République dont je suis ici le représentant, je vous fais Chevalier de la Légion d'Honneur ».


L'acte quatre se déroule dans le campement des gascons juste avant la bataille, ciselé d’une poésie qui dépeint la bravoure des estomacs vides, il surprend par l'apparition spectaculaire et éblouissante de Roxane.
L’acte cinq se passe dans la paix du jardin d’un couvent, et montre le courage tranquille du vieil homme à l'esprit vif, dévoué, indépendant et libre comme toujours, détestant les simagrées et sans peur même face à la mort.

 

cyrano de bergerac rostand citation panache

 


Le dernier acte est coupé par les acclamations. Les derniers mots lancés, la salle de la Porte Saint-Martin semble s'écrouler sous les ovations. Au bout de quarante rappels, on laisse le rideau levé. Longtemps après, personne n'a encore évacué la salle. Les inconnus s'embrassent en pleurant, l'événement déborde les portes du théâtre, se répand sur le boulevard où les passants entrent dans l'allégresse générale qui se propage dans Paris. Inaugurée à Paris le 28 décembre 1897, la pièce a duré 200 soirs et a été acclamée par le public et la critique. Au cours de l'année, il y a eu de nombreuses productions de Cyrano de Bergerac en Europe et aux Etats-Unis. La pièce a connu un grand succès partout.
Le tirage en librairie a dépassé le million d'exemplaires, en langue française. Coquelin en version muette, Claude Dauphin et José Ferrer incarnèrent Cyrano de Bergerac à l'écran, avant Gérard Depardieu.

 

Edmond de Rostand

Avant Cyrano de Bergerac, Rostand était pratiquement inconnu du public. Sa pièce, Les Romanesques, n'a été jouée qu'une cinquantaine de fois en dix ans.
En tant que dramaturge, Rostand avait une bonne connaissance du théâtre, il allait montrer une grande intelligence théâtrale, avec un sens scénique qui lui permettrait de résoudre les difficultés techniques de sa pièce d’une façon plaisante et efficace. On voit chez lui l’influence de Shakespeare, dans son esprit d’enchantement, Corneille et son esprit, de Racine, dans sa maitrise de la tragédie. Le découpage des scènes est influencé par Molière, sans oublier les jeux de vaudeville de Labiche.


L'épouse de Rostand, Rosemonde Gérard, elle-même poète, a inclus dans son livre une anecdote sur son mari qui explique comment l'idée lui est venue pour Cyrano de Bergerac. Alors qu'il passait un été à Luchon, il rencontra un jeune homme gravement déçu par l'amour, et noyé dans sa peine. Plus tard, Edmond a rencontré la jeune femme cause de la déception, qui a finalement découvert la vraie nature du jeune homme: "Tu sais, mon petit Amédée, que j'avais jugé si médiocre, est en fait merveilleux ; c'est un savant, un penseur, un poète."
Rostand se rendit compte que l'histoire d’Amédée était un début, le premier reflet de son Cyrano.

 

cyrano de bergerac dessin crayon couleur

 

Ces autres qui aiment Cyrano


En Italie, Franco Alfano le mit en musique et Cyrano di Bergerac fut créé à l'Opéra de Rome en 1935, avant sa version française par Henri Cain à l'Opéra-Comique en mai 1936. Dès 1899, Broadway s'emparait de Cyrano et en présentait une version musicale de Victor Herbert avec Francis Wilson. Il y a une trentaine d'années, Chritopher Plummer joua à travers les U.S.A. une nouvelle adaptation musicale avec grand succès.
Les théâtres du monde entier la présentent régulièrement sur leur scène, traduit dans toutes les langues.
Depuis le 28 décembre 1897, les versions anglaises de la pièce de Rostand prolifèrent. Il y a des reprises en anglais des opéras et des comédies musicales, et même récemment un ballet (merveilleux, de David Bentley). On donne Cyrano de Bergerac chaque année quelque part en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis.
Nous aimons penser que les autres et les anglo-saxons aiment Cyrano car il apparaît comme un représentant de l’esprit français, et qu’ils adorent son panache, son esprit, son courage, sa chevalerie, et son amour pur et profond pour Roxane. Est-ce le cas en Afrique ou au Japon ? Est-ce toujours une question d’esprit français ?
Enseigner Cyrano dans les manuels scolaire de nombreux pays, quand des élèves en Europe ou en Asie passent des heures à disserter sur des points de précis de cette pièce, ils s’intéressent à quoi ? Cyrano ami ou amoureux de Roxane ? Cyrano romantique ou timide ?

 

 

cyrano de bergerac roxane illustration citation baiser

 

Cyrano, les français adorent, les autres aussi ?


Cyrano de Bergerac, est une histoire d’amour tendre, loyal, riche d’abnégation et de dévouement. Ce genre d’amour qui marque toute une vie, qui rend l’existence douce et sereine. Rostand présente cette histoire d’amour dans une pièce merveilleuse, dans des vers scintillants qui, même traduits en langue étrangère gardent leur élan et leur verve.

 

abs11.5 rose- Optimisme, et confiance :


Dans son étude, Clarence D. Brenner souligne que la figure de Cyrano est l’héritière du Figaro dans le Mariage de Figaro de Beaumarchais et de Mozart, dans une merveilleuse confiance en soi, un esprit vif, ingéniosité qui lui permet de retrouver rapidement son calme face à l'adversité. On trouve également des similitudes entre la bravoure de Cyrano, et Don César de Ruy Blas de Victor Hugo, comme avec d'Artagnan. Cyrano ne déprime pas, ne se soucie pas de ses échecs car il prévoit les victoires qui vont venir.
« C'est la nuit qu'il est beau de croire à la lumière »

 

abs11.5 rose- intello et cultivé


Rostand ne dissimule pas sa propre érudition. Dans le premier acte, Cyrano parle des Muses, de Cléopâtre, de César, Bérénice et Titus. L'intellect de Cyrano n'est qu'une partie de sa personnalité complexe et aux multiples facettes. Il est passionné, impertinent, défiant, se délectant des jeux d'épée et de mots élégants ou raffinés.
La bravoure et l'esprit de Cyrano cachent son manque de confiance en lui à cause de son grand nez, mais transforment son désespoir en carburant, se permettant d'être le premier à se moquer de sa grande trompe nasale afin d'empêcher les autres de le faire.

 

abs11.5 rose-Valeurs et vertu


Cyrano de Bergerac met l'accent sur les valeurs et les idéaux. Cyrano, défenseur éloquent et ardent de l'intégrité, de la bravoure, de la gloire, de l'amour et des femmes, de tout ce qu’on aime en France. L'incapacité de Cyrano à avouer à Roxane son amour pour respecter sa promesse de protéger Christian. Cyrano garde son secret presque jusqu'à sa mort ; sa mort elle-même, bien que tragique, est transcendante. La pièce nous suggère qu'en adhérant à ses valeurs au détriment de ses désirs personnels, Cyrano atteint une position morale sans tache.

 

abs11.5 rose- Beauté intérieure et extérieure


Cyrano de Bergerac est une allégorie de la beauté intérieure et extérieure. Cyrano, représentant la beauté intérieure, combat passivement Christian, qui représente la beauté extérieure, pour l'amour de Roxane. Roxane devient l'arbitre entre la beauté intérieure et la beauté extérieure. La pièce met l'accent sur la beauté intérieure, l'intégrité, la sincérité et l'intelligence.
Ce qui impressionne Roxane c'est sa capacité à écrire des mots avec habileté, à combattre un nombre incroyable d'hommes et à faire des gestes brillants : jeter un sac d'or au théâtre pour payer les recettes de la soirée et arrêter la pièce ; se refuser tout sauf le repas le plus rare par respect pour sa propre fierté ; et composer un poème pour accompagner son combat au sabre. Ces actions sont impressionnantes et tirent leur pouvoir de leur manifestation extérieure. Les beautés extérieures de Cyrano et de Christian diffèrent, bien sûr : Christian a la chance d'avoir une belle allure, tandis que Cyrano est le produit d'un esprit intelligent.

 

abs11.5 rose- Intégrité


Cyrano est un personnage sans tache sur le plan moral, qui ne s'écarte jamais de ses normes morales strictes. La pièce semble avoir un code moral plus strict que celui de Cyrano. Le seul défaut, sa volonté de tromper Roxane pour aider Christian, l'empêche de l'avoir. Cyrano trompe Roxane même après la mort de Christian, il ne peut pas déclarer son amour pour elle. Ce serait manquer de respect à la mémoire de Christian et se moquer de son deuil. Après la mort de Christian, la pièce examine les répercussions de la duplicité de Christian et de Cyrano en démontrant la dure existence que Cyrano doit vivre : côtoyer au plus près de son seul véritable amour, tout en restant à l'écart émotionnellement. Par leur tromperie, les deux hommes ont fait tomber Roxane amoureuse d'une personne idéale qui n'existe pas. En conséquence, elle n'aime vraiment ni Christian ni Cyrano, elle aime leur magnifique collaboration. Cyrano et Roxane ne parviennent jamais à consommer l'amour profond qu'ils partagent indéniablement l'un pour l'autre.

 

abs11.5 rose- l'homme libre


Cyrano se trouve laid, n'ose pas avouer son amour à sa cousine Roxane qui aime Christian. En quelque sorte, l'équation universelle de l'amour malheureux. Il va jusqu'à se sacrifier pour aider son rival. Cyrano devient le symbole du panache français et de l'homme libre.

 

abs11.5 rose- le panache


Dans son discours de réception à l’Académie française, en 1903, Rostand s’est expliqué sur le sens du mot “panache. À ses yeux, le panache ne se réduit pas à l’héroïsme ni à la grandeur. C’est une qualité qui s’ajoute à la grandeur, et qui, à l’instar du plumet auquel il doit son nom, suppose quelque chose de voltigeant et de léger. « Le panache, écrivait-il, c’est l’esprit de la bravoure. Oui, c’est le courage dominant à ce point la situation qu’il en trouve le mot. Plaisanter en face du danger, c’est la suprême politesse, un délicat refus de se prendre au tragique ; le panache est alors la pudeur de l’héroïsme, comme un sourire par lequel on s’excuse d’être sublime. Un peu frivole peut-être, un peu théâtral sans doute, il n’est qu’une grâce ; mais cette grâce est si difficile à conserver jusque devant la mort, cette grâce suppose tant de force que, tout de même, c’est une grâce… que je nous souhaite. »
Le goût du beau geste, inséparable du sel du mot d’esprit, voilà l’habit sous lequel se cache le panache.

 

Conclusion


Cyrano possède toutes les vertus appréciés en France : bon camarade, il est noble de cœur. Il est courageux, et vole au secours de ses amis, il est grand dans le combat, il aime manger et boire, il aime rire, il est insolent, il sait parler, il aime la littérature et l’art, il est romantique.
Comme dans de nombreuses œuvres littéraires, l’universel est l’accomplissement d’une forte identification.
Si les français aiment s’identifier à Cyrano c’est qu’ils apprécient ces vertus, les autres cultures aiment Cyrano car il offre ce que les français ont de mieux à offrir, un style de vie, une pensée flamboyante, et une authenticité. Que faut il de plus pour toucher l’universel ?


Chez les Anglo-Saxons, chez les japonais, comme dans tous les autres peuples, des âmes répondent avec joie à l’idéalisme de Rostand porté avec panache par Cyrano de Bergerac et applaudissent ce romantique au gros nez, sincère, optimiste et amoureux.

 

 

 

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