Table de matière
Depuis l'Antiquité, reproduction et fertilité ne sont pas des questions philosophiques ou médicales, mais des questions de survie. Dans les sociétés antiques, la grossesse représentait l'espoir de peupler la citée, de survivre collectivement à la famine, aux guerres et aux épidémies.
La reproduction dans le monde antique
L’importance de la reproduction humaine dans le monde antique a favorisé un intérêt particulier pour la sexualité procréatrice.
Le désir d’avoir plus d’enfants favorisait l’activité hétérosexuelle.
Généralement, six à sept enfants par couple étaient le témoin de la bonne fertilité, c’était un nombre raisonnable d’enfants pour assurer les travaux de la terre et la transmission des biens plus tard.
Les femmes les plus attirantes étaient les femmes les plus fertiles.
La sexualité féminine était orientée essentiellement vers la procréation. Le plaisir féminin était encouragé et valorisé quand il participait à l’amélioration de la fertilité. Le sexe masculin et la matrice féminine étaient les deux parties essentielles de la conception selon les idées répandues dans la société égyptienne. L’utérus était mal connu, la fertilité était une question de religion, de culture, avant d’être une question médicale.
Les Grecs pensaient que l’orgasme féminin était important pour aider la femme à tomber enceinte. Et ainsi on invitait les hommes à aider les femmes atteindre l’orgasme.
L’activité sexuelle dans le couple était donc conseillée pour faire des enfants.
Cette vision de la sexualité — procréation dévalorisait la sexualité récréative avec l’épouse. Le sperme étant envisagé comme un liquide précieux, la fellation était considérée taboue dans la sexualité conjugale. Cette interdiction ne signifiait pas que la fellation était rare. D’autres formes de sexualité récréative existaient en dehors de la famille avec les garçons adolescents, avec les prostituées, et avec les femmes esclaves.
Concernant la semence féminine, Aristote et d’autres pythagoriciens pensaient que la grossesse était le résultat direct de la fertilité du sperme. Selon l’approche d’Aristote, l’embryon est déjà présent dans le sperme, la femme n’est que la matrice. Le père est la personne qui plante sa graine.
Selon Hippocrate, les deux parents produisent du matériel génétique, les pères produisent le sperme, les femmes produisent des sécrétions dans leur utérus qui peuvent parfois couler à l’extérieur de l’utérus. Ces sécrétions sont, selon Hippocrate, plus faible que le sperme masculin. Ces sécrétions masculines et féminines composent l’embryon.
Herophilos ou Hérophile (320 -250 av JC) confirmait la présence de testicules féminins (les ovaires) et de canaux spermatiques permettant à la femme de produire une graine féminine. Hérophile explique ainsi la ressemblance entre la mère et l’enfant. Selon lui, l’utérus est responsable de l’alimentation de la graine. Hérophile comme Hippocrate pensaient que le sang menstruel retenu dans l’utérus pendant la grossesse est responsable de l’alimentation et de la maturation de l’embryon.
Hippocrate et Aristote pensaient que le meilleur moment pour concevoir un enfant est de répandre son sperme à la fin de la menstruation. Aristote pensait que la menstruation empêchait la fertilité. Cela explique l’interdiction de l’acte sexuel pendant la menstruation.
Il pensait que l’embryon était déjà présent dans le sperme masculin. Dans ce sens, le sexe de l’enfant est établi dans les testicules. Autrement dit, le père est responsable définitivement du sexe de l’enfant.
Hippocrate expliquait que chaque parent produit une graine forte ou faible, et que le sexe de l’enfant est déterminé par la force de cette graine. Si les deux parents produisent des quantités égales de graines fortes, un garçon va naître. Si les deux parents produisent beaucoup de graines faibles, l’enfant sera une fille.
La durée des jours fertiles variait selon les auteurs. Selon Hippocrate, trois jours. Selon Aristote : sept jours. La conception selon les médecins de la Grèce antique consistait à déposer une graine dans l’utérus. Ils pensaient que l’utérus demeurait ouvert pour recevoir les graines jusqu’à l’apparition de l’embryon.
Selon Hippocrate, le sang menstruel fournit une indication importante sur la santé générale de la femme. Dès l’arrêt de la menstruation, c’est le moment approprié pour faire un enfant. La graine se développe dans l’utérus, le sang menstruel va être contenu dans l’utérus pour nourrir et faire grandir l’embryon.
Aristote pensait que le sang menstruel diminue à partir du moment où le sperme a réussi à former un fœtus.
Fidèle à l’héritage de l’Égypte antique, Hippocrate considérait que le désir sexuel est indispensable à la fertilité féminine et à la conception. Ainsi, il encourageait les couples à rechercher le désir sexuel, masculin et féminin, pour améliorer la fertilité dans le couple.
Aristote encourageait aussi le plaisir sexuel dans le couple pour les mêmes raisons, en soulignant également la possibilité de conception chez la femme sans plaisir sexuel.
Sopranos d’Éphèse (100 — 138 ap J-C) a étudié les cas de femmes enceintes après un viol. Selon lui, cette grossesse n’a rien à voir avec le désir sexuel, car il existe deux sortes de désir sexuel : le désir pour avoir des rapports sexuels, et le désir pendant les rapports sexuels.
Chez les Romains, on retrouve les mêmes notions sur la reproduction : la théorie de double semence. Galien pensait que l’activité sexuelle immodérée peut nuire à la vitalité masculine en raison de la consommation du sperme. Le sperme était considéré comme un liquide précieux, et facteur de procréation.
Comme dans la société grecque, la société romaine considérait la famille comme la cellule essentielle à la cité, facteur d’ordre social et de prospérité. La sexualité féminine était considérée comme une sexualité tournée essentiellement vers la procréation.
Les Romains connaissaient bien l’anatomie des organes génitaux féminins externes, mais ignoraient leurs fonctions. On retrouve le terme vulve, petites lèvres, et grandes lèvres dans les manuels d’anatomie et de médecine. Sous l’ère impériale, la vulve signifiait des organes de reproduction chez la femme. L’utérus était synonyme de matrice.
Comme les autres civilisations antiques, la physiologie de la conception était méconnue. La théorie la plus répandue était celle de double semence. Démocrite, un médecin romain célèbre déclarait que le sperme dérivait du corps entier et en particulier des zones solides comme l’os, muscles et tendons.
En dépit des avancées spectaculaires de la médecine arabe pendant le Moyen Âge, la théorie de double semence sera maintenue. On interprétait le texte sacré selon cette théorie, la grossesse est le contact entre les fluides de la femme et les fluides de l’homme.
Siècles d’évolution
Il a fallu attendre le XVIIIe siècle pour améliorer nos connaissances sur la reproduction humaine. C’est une avancée globale de la pensée médicale, qui sépare la médecine de la philosophie, et de la religion. La médecine en Europe va devenir une médecine scientifique fondée sur la preuve et sur l’expérimentation.
Dès le XVIIIe siècle, Malpighi décrivait le corps jaune, le follicule de De Graaf et montrait l’évolution de l’aspect de l’ovaire chez le lapin, enfin Lambert van Velthuysen émettait l’hypothèse de l’existence d’un « ferment » provenant des « testicules féminins ».
Au milieu du XIXe, Pouchet donnait des arguments en faveur d’un phénomène d’ovulation spontanée chez la plupart des mammifères et montrait l’évolution de la cytologie cervico-vaginale avec le cycle. Il avait remarqué que la muqueuse qui tapisse le vagin change régulièrement de couleur selon un cycle bien précis, identique au cycle menstruel. Les sécrétions vaginales semblent suivre, dans leurs changements, le même cycle.
À la fin du XIXe siècle, le corps médical en Europe est convaincu que le cycle menstruel chez la femme a un lien déterminant avec la fertilité et la reproduction. Les recherches se concentrent sur l’événement clé de ce processus.
20 e siècle
Autour de 1930, de nombreuses études ont prouvé que la menstruation n’est pas identique à l’ovulation, et que le moment de l’ovulation ne coïncide pas avec la menstruation.
Les médecins savaient depuis longtemps que l’ablation des ovaires entraîne une stérilité, mais également une atrophie de l’utérus et une diminution des fonctions sexuelles. En 1900, Knauer établit pour la première fois la nature hormonale du contrôle ovarien sur le système reproductif de la femme, en constatant que la transplantation d’ovaires peut prévenir les symptômes du déficit ovarien. Halban montre qu’un développement sexuel normal est assuré même en cas de transplantation des glandes chez des animaux immatures.
Beard émet l’hypothèse que le corps jaune est nécessaire pour le maintien de la grossesse, tandis que Fraenkel montre que la destruction du corps jaune de la lapine gestante entraîne un avortement.
Corner et Allen en 1929 établirent formellement la fonction hormonale du corps jaune en montrant que l’avortement dû à l’ablation du corps jaune de la lapine gestante pouvait être prévenu par l’injection d’extraits de progestérone.
En 1925, le développement des techniques de dosage biologique a permis de quantifier le taux des hormones. On a décrit pour la première fois la fluctuation des hormones féminines, hausse du taux de progestérone dans les urines et dans le sang au cours du cycle, et durant la grossesse.
En 1960, Jensen et ses collaborateurs suggèrent la présence de récepteurs intracellulaires d’œstrogène dans les tissus cibles. Il s’agissait de la première démonstration de l’existence de récepteurs au sein de la superfamille des hormones stéroïdes. Ces récepteurs expliquent pourquoi les cellules de l’utérus ou du vagin sont sensibles aux hormones sous-traitées par les ovaires, alors que d’autres tissus ne sont pas sensibles.
En 1932, Léonard met en évidence la sécrétion d’une substance par la glande hypophyse qui influence le cycle. Il a nommé cette substance l’hormone lutéinisante (LH). Quelques années plus tard, Benoit jette les fondements de la neuroendocrinologie en montrant le lien entre stimulation optique et réflexe éjaculateur chez le canard mâle. En 1940, Geoffroy Harris met en évidence chez le lièvre l’existence d’une hormone responsable de l’ovulation. Cette hormone sera nommée luteinizing hormone-releasing Hormone. (LHrh)
De nombreuses évolutions technologiques vont permettre un approfondissement progressif de ces données. Par exemple la technique de dosage sanguin en radio-immunologie au début des années 70 a permis un dosage précis des hormones qui interviennent dans le cycle hormonal, et dans l’ovulation. Le développement de l’imagerie médicale a permis une bonne compréhension de l’anatomie de l’hypophyse, de l’ovaire, et de l’utérus.
Les études microscopiques réalisées par l’anatomie pathologique ont permis d’identifier les cellules responsables de l’ovulation, le fonctionnement exact de la muqueuse qui tapisse l’utérus (endomètre) et le fonctionnement des cellules sensibles aux œstrogènes.
C’est à partir des années 70 que nous pouvons trouver le premier schéma scientifique exact et cohérent du cycle hormonal chez la femme, de l’ovulation, et de la fertilité.
Références
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