Pendant huit ans, l'Amérique a eu un président afro-américain. Aujourd'hui l'Amérique vient d'élire un président avec un projet et des revendications radicales.
Le sociologue Michael S. Kimmel est l'un des meilleurs spécialistes de la masculinité dans le monde anglo-saxon, il a déjà publié plusieurs livres sur les hommes aux États-Unis et en Angleterre, sur la condition masculine actuelle, le statut des hommes dans la société, dans le couple, et dans le milieu professionnel. À travers plusieurs entrevues, il avait déjà publié des études sur la masculinité, sur la virilité, sur l'homme occidental contemporain, ses problèmes et ses frustrations. Il est connu du monde universitaire, et récemment du grand public, pour ses appels à l'égalité entre les deux sexes en respectant les droits et les besoins de chaque sexe.
En 2013, Michael Kimmel publie un livre de sociologie, Angry White Men , " des hommes blancs en colère " pour analyser la colère qui animent un certain nombre d'hommes blancs de la classe moyenne, principalement de la classe moyenne inférieure. Il cherche à comprendre pourquoi cette rage, cette violence verbale et cette radicalité. Il commence son étude en refusant l'image donnée de ces hommes par les médias, des perdants violents et racistes. Il détaille les colères d'hommes aux USA, colères contre un système social, économique et culturel, leurs arguments et leurs projets.
Depuis l'élection de Trump, de nombreux médias cherchent dans ce genre d'études sociologiques de quoi expliquer ce virage. Certains intellectuels avaient déjà prévu le phénomène Trump, comme la conclusion d'une lente accumulation de colères et de frustrations. Sommes-nous à la conclusion ou au début d'une traduction politique d'un réel mouvement sociologique ? Si le livre est une étude purement sociologique, il est tout à fait d'actualité dans l'Amérique du président Trump.
Ces hommes en colère
Les fusillades collectives et les agressions par armes à feu aux États-Unis impliquent généralement de jeunes hommes blancs. Après les fusillades, les médias américains ont discuté les problèmes liés à l'accès aux armes à feu, aux maladies mentales, aux histoires familiales, sans jamais analyser les motivations de ces tueurs, et les points communs entre ces hommes blancs violents et meurtriers. Pourquoi ces hommes blancs de la classe moyenne sont-ils en colère contre la société, le féminisme, le modèle économique, et la culture ambiante ?
Michael Kimmel, par l'intermédiaire d'entrevues, et de rencontres étudie la colère de ses hommes, les motivations, les revendications et leurs points communs. Il formule une première conclusion : ces hommes sont en colère contre un modèle qui les marginalise dans le travail, dans le couple, dans la parentalité. Il dit dans son livre la masculinité américaine (et probablement occidentale) est en train de se transformer, de changer d'époque.
D'où vient cette colère ? Michael Kimmel écrit :
" La colère d'hommes blancs est réelle, profonde et sincère. "
En face d'une société qui les marginalise, ils deviennent conservateurs ou réactionnaires. Ils votent à droite, ou à l'extrême-droite.
Dans son étude, il cherche les motifs de ces colères collectives chez les hommes de la classe moyenne. Il découvre qu'ils ont la nostalgie d'une époque où " être homme " représentait un devoir et un privilège. Ces hommes ne trouvent plus leur place dans la société actuelle, par manque de travail, par manque de perspectives, par les crises économiques successives, par délocalisation, et par déclassement social. Sur le plan sociétal, ces hommes ne trouvent plus leur place dans le couple, dans le rôle de parents. Ils ne sont plus chefs de famille, ils n'ont presque aucun droit dans le couple, et doivent s'adapter continuellement avec un mouvement féministe sans limite.
À la différence de l'approche générale des médias en Occident, l'auteur ne considère pas ces hommes en colère comme une aberration, comme un comportement individuel, mais plutôt comme un groupe ayant certains points en commun. Ces hommes blancs expriment leur colère dans une radicalité vis-à-vis du modèle économique et vis-à-vis du modèle sociétal. Ils sont contre les homosexuels, les considérant comme une atteinte à l'image et au rôle de l'homme dans la société, ils sont contre le féminisme, le considérant comme un facteur de destruction du couple, un moyen de marginaliser les hommes, de les priver de leurs droits dans le couple, et sur les enfants. Ces hommes n'expriment aucun désir de lutte sociale ou syndicale, se drapent dans une radicalité défensive contre les étrangers, contre les multinationales, et contre les changements. Dans ce sens, ils sont conservateurs, individualistes, cherchant dans le passé des solutions pour les problèmes d'aujourd'hui.
Kimmel souligne l'importance de cette colère masculine, qui gagne de plus en plus les hommes de la classe moyenne inférieure, en raison des transformations économiques et sociales, politiques et culturelles. Presque tous les hommes interviewés dans son livre parlent de " droits bafoués ". Ces hommes ne croient pas que la politique actuelle est dans le sens de l'histoire et cherchent par les moyens disponibles à influencer la société, y compris par leurs cartes d'électeur.
Kimmel couvre dans ce livre un certain nombre de motivations de colère, les pères et les droits après la séparation, les lois jugées favorables aux femmes, le chômage, le déclassement social, la situation de l'homme sans emploi dans la famille, la culture médiatique favorable aux minorités et aux femmes, les lois contre la violence conjugale ne prenant en compte que la violence masculine. Dans le cas américain, on trouve également des motivations raciales comme la supériorité de la race blanche ou le port des armes.
Kimmel reconnaît que certaines de ces réclamations sont légitimes. La vie des hommes qui ont participé à son étude était balayée par d'interminables ondes de réformes économiques néolibérales, par des usines fermées ou délocalisées. Ils ont subi des réformes de la société favorables aux femmes sans se soucier des problèmes masculins dans le couple. Ces hommes déclassés perdent leur travail, leur rôle dans la famille, et même leurs couples. Ils ont du mal à voir leurs enfants une fois par semaine, gardés par l'ordre des juges chez leurs ex-femmes.
Ces hommes se sentent bafoués, ignorés et abandonnés. Leurs discours sur les médias sociaux est un terrain fertile pour les théories extrêmes. Ce discours radical joue un autre rôle, il contamine les autres, et transforme l'angoisse des hommes en colère en révolte. C'est visible dans les médias, les forums, les radios et la presse écrite.
Cette colère ignorée, mal interprétée et caricaturée par les médias se transforme en ressentiment qui se traduit de plus en plus par une demande de politique réactionnaire qui bloque la société et freine les changements jugés injustes et inéquitables.
Pour certains hommes, le vrai problème a commencé avec le capitalisme financier qui a lésé la classe moyenne inférieure, qui a privé ces hommes de travail et d'avenir, pour d'autres, le problème a commencé par les lois favorisant les femmes en cas de divorce, en cas litige avec les hommes. Pour d'autres, il s'agit du même mouvement, le féminisme de consommation allié du capitalisme financier, de même que les minorités et les immigrés qui " volent les emplois."
Etre un homme occidental aujourd'hui
On a fini avec les scènes de ménage, avec les discussions entre les hommes et les femmes, passons à l'action, encourageons politiquement toute radicalité. Selon ces hommes, être un homme en Occident aujourd'hui est un synonyme de déclassement, d'effondrement de la classe moyenne, de culture féministe dominante, de crises économiques avec raréfaction d'emploi, de cohabitation avec les minorités. Être un homme aux États-Unis devient problématique, sans rôle défini dans la société, sans rôle dans le couple, sans rôle dans la vie de ses propres enfants.
Ces hommes avouent être éduqués à subir silencieusement, la masculinité occidentale n'aime pas les émotions, n'aime pas les hommes qui pleurent ou qui se plaignent. Par contre, ces hommes disent qu'ils ont compris en imitant les mouvements féministes qu'il faut se victimiser, et utiliser le droit de vote pour changer la société.
M. Kimmel parle réellement aux gens. Il sort pour trouver des groupes d'hommes fâchés et discute avec eux pour entendre leur version de l'histoire. Il écoute les activistes des droits des hommes, des masculinistes, et les hommes qui soutiennent ce mouvement.
Kimmel souligne que de nombreuses revendications de ces hommes sont légitimes en ce qui concerne le chômage, déclassement social, les droits des pères, les droits des hommes pendant les procédures de divorce et mentionne combien les revendications sociétales sans limite peuvent engendrer de la colère.
Il indique en même temps que cette colère masculine est parfois mal orientée, épargnant les vrais responsables.
Par contre, certains hommes blancs en colère formulent des revendications anachroniques et mêmes nuisibles à la société comme les partisans de la suprématie blanche.
Est ce que les hommes blancs en colère sont du côté perdant de l'histoire ou finiront-ils par gagner progressivement les esprits et le pouvoir ?
L'auteur est plutôt optimiste et pense que la société égalitaire pourrait répondre à certaines revendications légitimes.
Trois ans après ce livre, l'Amérique choisit le président Trump.
A chacun de formuler sa propre conclusion.
A noter que le livre est bien écrit, amusant, facile à lire surtout si vous aimez la sociologie et les études du genre.