L’amant, marguerite Duras : scandale, best-seller, chef-d'œuvre

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Beaucoup de choses fascinaient les gens dans la vie et le statut social et littéraire de Duras, par exemple une enfance passée en Indochine, le fait de parler couramment le vietnamien, son expérience dans la Résistance française aux côtés de François Mitterrand, son scénario pour le film d'Alain Resnais Hiroshima man amour (1959), sa présence sur les barricades à Paris pendant les événements de mai 1968, les ventes records de son roman l’amant, lauréat du prix Goncourt en 1984.

Marguerite Duras, née Marguerite, Germaine, Marie, Donnadieu, le 4 avril 1914 à Gia Dinh, près de Saigon en Indochine. Morte le 3 mars 1996 à Paris. Elle a grandi en Indochine, élevée par sa mère dans une concession de terre aride. Le spectacle quotidien de la misère, l'image de l'océan qui déferle sur la concession de mère, les paysages écrasés par la chaleur, le colonialisme, le comportement des colons entre eux et vis-à-vis des colonisés. Elle mettra ces images dans ses textes qui débutent dès son retour à paris où elle poursuit ses études. Journaliste. , dramaturge, scénariste, elle reçoit le grand prix du théâtre de l'Académie française en 1983 et le prix Goncourt en 1984 pour L'Amant, un roman- résumé de la thématique durassienne, un roman aux multiples lectures, qui rappelle que Duras aimait écrire le silence, la transgression, la folie, l'indifférenciation, et la passion.

 

 

Histoire de l’Amant

 

Une jeune française de 15 ans en Indochine française rencontre un Chinois sur un ferry pour traverser le Mékong. Elle quitte sa famille après les vacances et retourne dans son internat à Saigon. Le Chinois entame une conversation avec elle, lui propose de monter dans sa voiture pour éviter le bus bondé. Une fille française blanche, mais pauvre, un Chinois plus âgé, mais riche dans une société coloniale. La différence de race et d'âge les empêche d'être ensemble. Il est censé épouser une Chinoise. La société ne soutient pas à l'époque les relations entre Européens et Asiatiques. À la fin, il rompt après la pression de son père, mais il a toujours été sincère à propos de ses émotions. La jeune fille réalisera bien plus tard qu'elle l'aimait vraiment.
La famille de la fille est composée d’une mère dépressive, le fils aîné cruel et voleur intimide la mère qui le laisse faire. Le jeune frère est faible, doux.

Le roman s'ouvre avec la narratrice qui raconte comment elle était déjà âgée à 17 ou 18 ans, comment son visage était déjà vieux. Cette ouverture crée une image paradoxale et une attente pour savoir ce qu’il lui est arrivé pour vieillir prématurément. Duras passe le début du livre à décrire son apparence physique, aussi jeune que vieille.

Quand elle décrit l'homme chinois pour la première fois, il est élégant, riche, élégant, vêtu de vêtements européens modernes, le faisant apparaître comme le parfait prince charmant au volant d'une limousine noire. La race joue un rôle dans les descriptions, « il n'était pas blanc » et « la petite fille blanche », ce qui donne un sentiment d'amour interdit, encore plus que la différence d'âge.

 

 

L’amant, roman autobiographique ?


Selon Lejeune, ce qui distingue le genre autobiographique des autres genres est un e contrat de lecture. Le pacte autobiographique est une affirmation d’une identité, celle marquée sur la couverture du livre.

Lejeune Philippe, Le pacte autobiographique, Paris, Seuil, 1975, P : 357

Dans l’amant, Marguerite Duras maintient le personnage dans l'anonymat, l'appelant "l'enfant", "la petite" ou "elle". Elle pervertit le pacte et joue librement avec son lecteur laissé à mi-chemin entre l’anonymat et l’autobiographie.


L'ambiguïté du pacte autobiographique devient une des innovations de l'autobiographie moderne. Duras devient auteur-narrateur-personnage.
Le récit autobiographique est généralement rétrospectif. Dans L'Amant, le caractère rétrospectif de l'autobiographique est respecté, perceptible dès les premières pages lors de la présentation de la narratrice.
« "J'ai un visage lacéré de rides sèches et profondes, à la peau cassée», page 10


Puis, quelques lignes plus loin, le retour en arrière

"Que je vous dise encore, j'ai quinze ans et demi », page 10

L’aspect privé est le troisième élément d’une autobiographie. L’amant respecte cet élément lié au privé et à l’intime.
Si le contenu thématique de ce roman de Duras s'inscrit dans une démarche autobiographique classique, le pacte autobiographique reste ambigu, nié et suggéré, respecté et trahi page après page.


Le maintien d'une vacuité de la personne fait osciller le récit entre le romanesque et l'autobiographique. L'absence de nom propre du personnage principal, le maintien volontaire des personnages dans l'anonymat (seuls des liens sont désignés: la mère, le petit frère, l'amant, etc.) et le refus de donner des dates précises créent un climat d'incertitude au niveau de l'énonciation.

Dès les premières pages de L'Amant, l'auteure installe un climat d'intériorité, d'intimité en réunissant plusieurs composantes: écriture à la première personne, la thématique de l'aveu et le ton de la confidence.

« Je pense souvent à cette image que je suis seule à voir encore et dont je n'ai jamais parlé. Elle est toujours là dans le même silence, émerveillant. C'est entre toutes celle qui me plait de moi-même, celle où je me reconnais, où je m'enchante » page 9

Le roman comporte plusieurs éléments propres au romanesque introduisant l'incertitude dans le texte, et favorisent une lecture ambiguë, il s’agit d‘un texte hybride autobiographique et romanesque à la fois.

 

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L’amant : érotisme et scandale


Prix Goncourt, best-seller (deux millions d'exemplaires français vendus) scandaleux médiatique, L’amant explose dans le petit monde de cette rentrée littéraire 1984. Le livre éveille des passions et des haines, déchaîne autour de cette œuvre un parfum de scandale. Duras décrit les interdits, le racisme, le colonialisme, l’amour entre une blanche et un asiatique, le sexe d’une adolescente, amour de jeunesse, et sexualité féminine.
L'amour entre une Blanche française et un homme asiatique est un sujet peu traité dans la littérature.


À l’âge de 70 ans, Marguerite Duras raconte l’adolescence d’une jeune fille en Indochine : ses secrets intimes, sa première rencontre et son premier rapport sexuel à l’âge de 15 avec un riche chinois, relations ambigües et cruelles dans la famille de la fille.
L'Amant est une œuvre complexe au-delà d’une simple histoire d'une jeune fille qui séduit un riche amant chinois. C’est un roman d’initiation. La fille doit grandir, faire des choix, franchir des obstacles, affronter les interdits sexuels et moraux, s’opposer à sa famille, à la société coloniale.
Le personnage de la mère a deux faces: elle aime sa fille, comme une mère normale, mais son envie d'argent la pousse à prostituer sa fille. Elle lui achète une robe quasiment transparente, des chaussures dorées, un chapeau d'homme. La fille l'a compris, et elle a accepté pour gagner plus d'argent. Jamais ce sujet n'est abordé. La mère et la fille jouent un jeu basé sur des non-dits.

 


La relation entre la fille et son amant est ambiguë : il affirme l'aimer, mais ne peut en faire sa maîtresse et l'épouser (on n'épouse qu'une jeune fille vierge), il est d'ailleurs déjà promis à une femme riche et chinoise.


Le Chinois plaît à la jeune fille dès leur première rencontre sur le bateau. C'est ainsi, dans la garçonnière de Cholen, la jeune fille blanche, "une fois le fleuve traversé", se voit transférée symboliquement dans une autre étape, pour quitter l'adolescence et entrer dans le monde des femmes.


Duras scandalise certains lecteurs en décrivant cette relation adolescente - adulte en insistant sur le plaisir sexuel de la jeune fille, sur son envie de jouissance. Elle raconte les motivations réelles qui ont poussé cette jeune fille à avoir des relations sexuelles avec un homme largement plus âgé qu'elle : l'argent, la voiture.
Dans cette relation adolescent - adulte, c'est l'adolescent qui gagne tout ; argent, désir, confort matériel. L'adulte est un objet sexuel, un moyen pour que cette adolescente "traverse le fleuve ".


Marguerite Duras raconte une histoire sans début et sans fin, une histoire incomplète, un moment de vie. Le récit met en exergue le thème de l'opposition entre la famille, tout ce qu'elle représente, et le Chinois, objet - représentation de l'amour et du désir.

 

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Duras, l’Amant et les fantasmes d’une fille


La description d'Hélène Lagonelle, la seule autre personne blanche vivant au pensionnat où se trouve Duras elle-même, est intime et érotique.

" Le corps d'Hélène Lagonelle est lourd, encore innocent, la douceur de sa peau est telle, celle de certains fruits, elle est au bord de ne pas être perçue, illusoire un peu, c'est trop. Hélène Agnelle donne envie de la tuer, elle fait se lever le songe merveilleux de la mettre à mort de ses propres mains. Ces formes de fleur de farine, elle les porte sans savoir aucun, elle montre ces choses pour les mains les pétrir, pour la bouche les manger, sans les retenir, sans connaissance d’elles, sans connaissance non plus de leur fabuleux pouvoir. Je voudrais manger les seins d'Hélène Lagonelle comme lui mange les seins de moi dans la chambre de la ville chinoise où je vais chaque soir approfondir la connaissance de Dieu. Etre dévorée de ces seins de fleur de farine que sont les siens". page 91.

La fille décrit Hélène Lagonelle en utilisant des termes liés aux aliments, comparant son corps à des fruits et à de la farine, faisant de ces descriptions érotiques une nouveauté dans la littérature.

Pour l'adolescente-narratrice d'Amant, le moment suprême de jouissance serait d’offrir à son amant chinois le corps de sa copine d'école, Hélène Lagonelle :

« Je veux emmener Hélène Lagonelle avec moi dans ce lieu où, chaque soir, les yeux fermés, je me suis communiqué le plaisir qui te fait hurler. Je veux donner Hélène Lagonelle à cet homme qui me fait cela, pour qu'il le fasse à son tour avec elle. Je veux que cela se passe en ma présence, selon mes désirs. Je veux qu'elle se donne là où je me donne. C'est par son corps, à travers elle, que j'éprouverai alors de lui le plaisir ultime. Un plaisir jusqu'à la mort. » p. 92

Cette scène imaginaire, lieu de croisements sexuels et raciaux dans le roman, a été longuement analysée. Pour certains, elle montre comment le moi féminin peut gagner du pouvoir en s'imaginant une autre. Pour d'autres, elle représente la fusion, l’ouverture au tiers qui enrichit la jouissance.

Elle pense aux seins d’Hélène quand elle est dans les bras du chinois, car le corps du Chinois n'est que le "moteur" de la jouissance qui stimule son corps sans atteindre son imaginaire.

 

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Duras, l’Amant et le corps


Duras commence L’Amant avec une méditation sur la métamorphose du corps de la narratrice, le changement qui a frappé son corps quand elle avait que dix-huit ans la rendant vieille. Le corps devient identité et destin : le corps de l’enfant, le corps faible féminin, le corps torturé par la mère et le frère aîné, le corps abusé, le corps vendu, le corps prostitué, le corps aliéné par le sexe sans sentiments, le corps objet de désir, le corps qui ne peut être épousé, le corps racial , le corps à disposition de tous, le corps publique, le corps dans la garçonnière, le corps intime, le corps féminin jugé par la société, le corps déshonoré, le corps qui désire une autre femme, le corps homosexuel, le corps qui désire son frère cadet (le corps incestueux) et le corps féminin qui brise les normes (le corps rebelle).


La fille porte un chapeau d’homme, une ceinture appartenant à ses frères, un rouge à lèvre, des chaussures à talons hauts, une robe transparente très décolletée et un anneau de fiançailles. Elle mélange les genres et les identités. Ni enfant ni femme, elle n’est pas une fiancée et elle n’est pas un homme.
Elle est ces multiples identités à la fois. Elle n’a pas de nom dans le roman, elle est une femme.

Duras décrit sa provocation pour attirer le regard. Elle ne fuit pas le regard des hommes comme la société espère d’elle, préfère choisit et ne pas subir.

Quand le Chinois vient lui rendre visite à l’internat, elle avance vers la voiture et embrasse érotiquement la glace ; elle sait que l’homme à l’intérieur la regarde, mais au lieu d’être seulement regardée, elle ferme les yeux et embrasse les lèvres désirées et imaginées. Elle assure son prétendant qu’il s’agit de son propre choix, son propre désir.

« Il me dit : tu es venue parce que j’ai de l’argent. Je dis que je le désire ainsi avec son argent, que lorsque je l’ai vu il était déjà dans cette auto, dans cet argent, et que je ne peux donc pas savoir ce que j’aurais fait s’il en avait été autrement » (p. 20).

L’héroïne formule un discours révolutionnaire érotique. Quand elle est dans la chambre avec son amant, elle n’est pas écrasée par la pudeur, ni par l’ignorance de leur corps. C’est elle qui prend les devants en le déboutonnant et l’invitant à assouvir sa passion.

« Le corps est maigre, sans force, sans muscles, il est imberbe, sans virilité autre que celle du sexe il est très faible, il paraît être à la merci d’une insulte, souffrant. Elle ne le regarde pas au visage. Elle ne le regarde pas, elle le touche. Elle touche la douceur du sexe, de la peau, elle caresse la couleur dorée, l’inconnue nouveauté. Il gémit, il pleure. Il est dans un amour abominable. » p. 49

La virilité est anéantie en face d’une femme d’action, elle imite Madame Bovary avec ses amants.

« Dès le premier instant, elle sait quelque chose comme ça, à savoir qu’il est à sa merci » Page 46.

Elle ne le craint pas, le supplie de la traiter comme les autres prostituées. Elle se venge de ce corps faible et non viril, en lui faisant l’amour et en le tourmentant psychologiquement.

Elle sait que la vie sexuelle est rendue agréable non pas par l’aspect matériel, ni par les vêtements, ou l’argent, mais par l’essence, l’anatomie de son corps. Elle ridiculise ces femmes qui se maquillent et se réservent pour le futur en oubliant en réalité leur propre vie :

« Je sais que ce ne sont pas les vêtements qui font les femmes plus ou moins belles ni les soins de beauté, ni le prix des onguents, ni la rareté, le prix des atours. Je sais que le problème est ailleurs. » p 52

 

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Duras, l’Amant : Jouissance féminine


L'adolescente est consciente des regards masculins qui se posent sur elle et l'auteur ne s'en indigne pas. Avec confiance, la jeune fille se livre volontairement aux regards masculins parce que ceux-ci ne parviendront jamais à faire d'elle leur sujet, ni à se l'approprier.


Elle ne devient pas un objet ni une victime. Sa conscience et son désir constituent les éléments caractéristiques de son pouvoir sur l'homme.

Après qu'ils ont fait l'amour pour la première fois, sur sa propre initiative, elle reconnaît son désir pour lui :
" Il lui plaît, la chose ne dépendait que d'elle seule ". page 51
Sur le plan financier, elle lui est inférieure, elle prétend échapper à toute exploitation sexuelle, physique, et à toute étiquette de victime. La jeune fille s'oppose à la possession de son amant, peut jouir grâce à la reconnaissance plénière de son désir.

À l'intérieur du cadre de la relation entre la jeune fille de quinze ans et de son amant deux fois plus âgé, la révélation du désir, puis le désir devient amour. Le Chinois aime l'adolescente; mais avec le recul que confère la vieillesse, elle reconnaît l'importance de cette relation, et avoue d’avoir aimé cet homme.

Dans ses romans, l'amant puis l'amant de la chine du Nord, Duras a décrit une sexualité adolescente décomplexée, libre, condamnée par une société hypocrite, où l'argent de l'amant arrange tout, et fait taire sa famille.
Elle tire sa jouissance sans s'impliquer dans une histoire d'amour romantique.


« Dès les premiers jours, nous savons qu'un avenir commun n'est pas envisageable, alors nous ne parlerons jamais de l'avenir, nous tiendrons des propos comme journalistiques, et à contrario, et d'égale teneur ». P62

La sexualité de cette adolescente commence par sa conscience de ce désir qui la transforme, puis par le passage du désir vers l'acte sexuel. Duras dessine le scandale en jouant avec le terme adolescent, enfant.

" Il prend sa robe par le bas, lui enlève. Puis il fait glisser le slip d'enfant en coton blanc. Il enlève les mains de son corps, le regarde. Il caresse, mais, à peine, le corps maigre. Les seins d'enfant, le ventre ». Page 75.


Duras décrit la défloration de l'adolescente comme un rite de passage à la vie adulte, incontournable :
« Je ne savais pas que l'on saignait. Il me demande si j'ai eu mal, je dis non, il dit qu'il en est heureux. Il essuie le sang, il me lave. Je le regarde faire. Insensiblement il revient, il redevient désirable ». Page 50


Cette sexualité non-victimaire non coupable revendiquée peut aller plus loin. Duras continue à jouer entre l'adolescente et l'enfant, mais l'adolescente est de plus en plus sexuée :


« D'abord il y a la douleur. Et puis après cette douleur est prise à son tour, elle est changée, lentement arrachée, emportée vers la jouissance, embrassée à elle. La mer, sans forme, simplement incomparable.» page 50


Cette relation commet un défit de séduction et de désir, l'homme est un objet pour assurer à la fille sa révolte contre une société hypocrite, pour accéder à la jouissance du corps. Sur le bateau, après la séparation, elle pleure, elle découvre qu'elle l'aimait. Elle savait identifier le plaisir, la jouissance mais ignore tout de l’amour.

 

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Duras, l’Amant : Sexualité et argent, l’enfant prostituée


« Le lien avec la misère est là aussi dans le chapeau d'homme, car il faudra bien que l'argent arrive dans la maison, d'une façon ou d'une autre il le faudra. Autour d'elle c’est les déserts, les fils c'est les déserts, ils feront rien, les terres salées aussi, l'argent restera perdu, c'est bien fini. Reste cette petite-là qui grandit et qui, elle, saura peut-être un jour comment on fait venir l'argent dans cette maison. C'est pour cette raison, elle ne le sait pas, que la mère permet à son enfant de sortir dans cette tenue d'enfant prostituée. Et c'est pour cela aussi que l'enfant sait bien y faire déjà, pour détourner l'attention qu'on lui porte à elle vers celle qui porte à l’argent. Ça fait sourire la mère » . page 33


La mère encourage la fille à se vendre, l’enfant prostituée garde une marge de liberté en s'opposant à la possession de son amant, mais fait le nécessaire pour répondre aux besoins de sa mère.

 

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Duras, l’Amant : le racisme obligé des colonisateurs


Dans le roman, le racisme est mentionné dès le début. L’histoire se passe dans un pays colonisé où les colonisateurs sont complètement aliénés par eux-mêmes. La mère est devenue folle dans un pays colonisé. Elle y est allée pour devenir riche, mais finit par tout perdre.
Le frère aîné trouve des raisons d’humilier le Chinois et il est fier de l’utiliser pour son argent tout en imposant à sa sœur une attitude raciste ; ne pas le regarder, l’ignorer complètement puisqu’il est là, non pas pour être pas vu, mais pour être exploité :

« En présence de mon frère aîné il cesse d'être mon amant. Il ne cesse pas d'exister, mais il ne m'est plus rien. Il devient un endroit brûlé. Mon désir obéit à mon frère aîné, il rejette mon amant.
Chaque fois qu’ils sont ensemble vus par moi je crois ne plus jamais pouvoir en supporter la vue.
Mon amant est nié dans justement son corps faible, dans cette faiblesse qui me transporte de jouissance.
Il devient devant mon frère un scandale inavouable, une raison d'avoir honte qu’il faut cacher. Je ne peux pas lutter contre ces ordres muets de mon frère. Je le peux quand il s'agit de mon petit frère.
Quand il s’agit de mon amant, je ne peux rien contre moi-même. D'en parler maintenant me fait retrouver l'hypocrisie du visage, de l'air distrait de quelqu'un qui regarde ailleurs, qui a autre chose à penser, mais qui néanmoins, dans les mâchoires légèrement serrées on le voit, est exaspéré et souffre d'avoir à supporter ça, cette indignité , pour seule ment manger bien , dans un restaurant cher, ce qui devrait être bien naturel . Autour du souvenir la clarté livide de la nuit du chasseur. Ça fait un son strident d'alerte, de cri d'enfant » page 67

 

 

Duras, l’Amant : Style du roman


Stylistiquement, L'amant est un livre important. L'écriture est musicale, poétique, les phrases longues et courtes, et il y a des répétitions occasionnelles du même mot dans des phrase proches. Cette répétition si déconseillé dans le français scolaire, crée un sentiment d'inconfort ou d’émerveillement.
Duras change entre la première et la troisième personne. Raconter chaque détail, rend le roman éphémère, mais plus intense et plus intime.
Duras était fascinée par les images ; son style ressemble à une photographie. Sur les premières pages elle écrit même : «regarde-moi, seulement quinze ans et demi » comme si on observait une vieille photographie, pas un texte. Elle répète cette approche plusieurs fois comme si elle décrit ce qu’elle voyait dans une caméra.

L'utilisation du présent, l’échange entre l'interne et l'externe rendent le texte léger, et agréable. Le style qui ressemble aux discussions quotidiennes ne le rend pas vulgaire, mais intime.

Une autre chose intéressante est la façon dont elle garde la mort et le sexe, le plaisir et le grotesque si proches l'un de l'autre. Comme si les passions physiques étaient une sorte de mort.
Duras raconte une histoire intime dans un style déconstruit, dans un langage poétique riche en images qui existent, celles qui auraient pu exister.

L'amant est l'un des grands livres français du siècle dernier. Un roman court et profond, sombre et passionnant qui aborde les thèmes des relations interraciales, de la recherche d'une identité, de la sexualité, de la honte, et de la vie dans un pays étranger.

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Sagan, Bonjour Tristesse : Cécile et ses deux hommes

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Bonjour tristesse est le roman qui a rendu Françoise Sagan célèbre avant ses 20 ans. Le roman était considéré légèrement choquant lors de sa publication en 1954, mais il a remporté le Prix des Critiques.

Cela a fait de Sagan une célébrité internationale, et a établi sa réputation en tant que jeune romancière.

En 1953, Sagan est étudiante à la Sorbonne. Elle a échoué aux examens de première année. En échouant, elle n’a pas pu poursuivre ses études. C’est au cours de cet été qu’elle écrit Bonjour tristesse en plusieurs semaines, à l’âge de 18 ans.
Le roman s’est vendu à un million d’exemplaires en France dès la première année. À partir des années 60, il a été traduit en 23 langues, et les ventes ont atteint quatre millions d’exemplaires. Il a également été cité comme étant l’un des trois romans les plus vendus en 1955 (Prescott New York Times Book Review 5 juin 1955).
Bonjour tristesse est le livre marquant de ces années de l’après-guerre. La jeunesse de l’auteur et de l’héroïne ont marqué les lecteurs.

 

 

Bonjour tristesse

 

 

Cécile, l’héroïne de 17 ans et son père veuf, Raymond ont quitté Paris pour des vacances sans soucis dans une villa isolée sur la Côte d’Azur.
Raymond a eu une succession de maîtresses, depuis la mort de sa femme, 15 ans plus tôt. Sa maîtresse actuelle est Elsa Mackenbourg, 29 ans, qui les a rejoints. Cécile est sur le point de prendre son premier amant, Cyril, un jeune étudiant en droit. Lui et sa mère possèdent une villa à proximité. Cécile est étudiante, elle a échoué aux examens du lycée au début du roman.

Cécile est attirée par la beauté de Cyril. Cécile fréquente et préfère « les hommes de quarante ans qui parlaient avec courtoisie et attendrissement » comme les amis de son père, mais à la première vue la beauté de Cyril lui donne l’impression qu’il pourra la protéger, d’autant plus que ce trait ne se trouve pas chez son père Raymond.

Elsa vit dans un monde de liberté, de plaisir, de soleil, et de plage. Elsa ne représente aucune menace pour le lien entre Cécile et son père.


Les vacances de Cécile sont interrompues par l’arrivée d’Anne Larsen, 42 ans, une vieille amie de sa mère décédée. Anne et Raymond finissent par tomber amoureux et font des projets de mariage. Cécile ne voit en Anne qu’une menace pour sa liberté et sa vie de plaisir, une belle-mère autoritaire qui essaierait de changer de sa vie, de restreindre sa liberté et l’obliger à arrêter de voir son amoureux Cyril.

La deuxième partie traite de la manière dont Cécile résout cette crise.
Pensant comme une adolescente, elle décide qu’Anne doit être éliminée. Elle imagine un complot dans lequel Cyril et Elsa prétendent être amants pour faire croire à son père, par jalousie, qu’ils ont une liaison. Le complot est couronné de succès, mais alors qu’Anne tente de quitter Cécile et son père par dégoût, elle est tuée dans un accident de voiture. Accident ou suicide ?

 

Cécile : héroïne de Bonjour Tristesse

 

La préoccupation de Cécile d’être heureuse, d’avoir une vie insouciante commence dès la première page, lorsqu’elle raconte son histoire, à la première personne, en se rappelant une période où elle était « parfaitement heureuse ». Cette période se situe l’été dernier, alors qu’elle était en vacances avec son père, Raymond.
Cécile aime vivre avec son père et Elsa, qu’elle décrit comme une grande fille rousse, mi-mondaine, assez simple et sans prétention.

Le stress devient la force motrice de sa quête du bonheur. Être heureuse est sa principale raison de vivre, son objectif ultime.
Par la simplicité de l’intrigue, Sagan permet au lecteur de se concentrer sur Cécile et sa quête du bonheur. La lucidité de la narratrice lorsqu’elle raconte son expérience rend ce roman si particulier.

 

Le rôle du père est primordial dans cette quête du bonheur. Cécile est heureuse tant qu’elle est seule à partager l’amour de son père. Depuis qu’elle a quitté le pensionnat deux ans plus tôt, ils entretiennent une relation étroite, évidente, complice.
Elle se préoccupe autant de son bonheur que du sien. Il est important de noter, comme le fait remarquer Claude Mériel, que Bonjour tristesse
« Est le seul roman où Sagan s’intéresse aux parents, peut-être parce que la génération d’après-guerre est une génération sans parents »
Mériel, Claude. « Le phénomène Sagan » de documentation (Paris) 52 196 : Tendances : 233-48

 

Cécile et son père semblent entretenir une relation étrange, qui se manifeste d’abord dans leur mode de vie, et dans leur conception de l’amour.
Depuis que Cécile vit avec son père, il a eu une série de maîtresses. Ce qui est inhabituel, c’est qu’elle en est consciente et satisfaite de ce comportement hédoniste, le bonheur de Cécile est de partager son existence de bohème.
Elle connaît peu l’amour. Ce qu’elle apprend à ce sujet lui vient directement de son père. Elle déclare :
« Il refusait systématiquement les notions de fidélité, de gravité, d’engagement. Il m’expliquait qu’elles étaient arbitraires, stériles » (page 21).

 

Raymond aime la vie libre et ne la prend pas au sérieux. Selon Cécile, c’est un
« Homme léger (…), toujours curieux et vite lassé et qui plaisait aux femmes. » page 8

Cécile le compare avec Don Juan parce que, même s’il est père de famille, il a encore besoin de femmes :
« Je n’avais pas pu ne pas comprendre qu’il vécut avec une femme. J’avais moins vite admis qu’il en changeât tous les six mois. » Page 9

La narratrice, comme le souligne Miller, est divisée en deux. Lorsque Cécile et son père parlent d’amour, le « Moi agissant » dit :
« Cette conception me séduisait : des amours rapides, violentes et passagères » (page 21).

Le « Moi expérimenté » répond « Je n’étais pas à l’âge de la fidélité » (page 21)

Miller, Judith Graves. Françoise Sagan. Twayne World Author Series 797 Boston : Hall, 1988.

Le rêve de bonheur de Cécile est de mener une vie de plaisir, comme son père. Elle se plaît dans une vie facile, celle d’un enfant gâté, l’oisiveté physique et morale pour Cécile et Raymond conditionne cette recherche du bonheur.

Sagan décrit la classe supérieure où l’argent n’est pas un problème. Elle choisit des occupations professionnelles pour ses personnages afin de leur permettre de mener une vie oisive.

Raymond et Anne travaillent dans la publicité et la mode. Elsa travaille comme figurante au cinéma. Cécile profite de « plaisirs faciles » : vacances, voitures rapides, nouveaux vêtements.

La seule action réelle que Sagan dépeint dans le roman est la confrontation entre jeunes et vieux. Le conflit commence lorsque Cécile apprend qu’Anne vient lui rendre visite, s’aggrave progressivement. Anne devient la force qui menace le bonheur de Cécile.

La description de Sagan des sentiments amoureux confus de Cécile est une réussite. Elle rencontre Cyril sur la plage, il devient son premier amant. La beauté de Cyril est son atout principal.

« Il avait un visage de Latin, très brun, très ouvert, avec quelque chose d’équilibré, de protecteur, qui me plut. (…) Il était grand et parfois beau, d’une beauté qui donnait confiance. »

Cyril tombe amoureux de Cécile dès les premiers jours où ils font connaissance :
« Je sentais qu’il était bon et prêt à m’aimer ; que j’aimerais l’aimer. » page 33

Alors que leur relation commence à se développer, son idée adolescente de l’amour devient plus claire :
« Nous sortions ensemble souvent le soir dans les boites de Saint-Tropez, nous dansions sur les défaillances d’une clarinette en nous disant des mots d’amour que j’avais oubliés le lendemain, mais si doux le soir même » (page 48).

Raymond tombe amoureux d’Anne, décide de s’installer dans une vie conventionnelle, ce qui menace le bonheur de Cécile.
Anne menace le bonheur de Cécile. Au début, Anne veut juste lui apprendre une leçon d’amour. Elle explique
« Vous vous faites de l’amour une idée un peu simpliste. Ce n’est pas une suite de sensations indépendantes les unes des autres » (page 46).

En tant qu’adolescente, Cécile ne peut pas comprendre ce concept d’amour. Quand elle surprend Cécile et Cyril en train de s’embrasser un soir, Anne lui interdit de le revoir, cet incident ne fait que déclencher en elle une révolte contre Anne.


Anne menace le bonheur de Cécile en contrant son désir de liberté. Cécile affirme son besoin de liberté :
"Il fallait absolument se secouer, retrouver mon père et notre vie d’antan. De quels charmes ne se paraient pas pour moi subitement les deux années joyeuses et incohérentes que je venais d’achever, ces deux années que j’avais si vite reniées l’autre jour… La liberté de penser, et de mal penser et de penser peu, la liberté de choisir moi-même ma vie, de me choisir moi-même. Je ne peux dire d’être moi-même » puisque je n’étais rien qu’une pâte modelable, mais celle de refuser les moules"  (page 78).

En tant qu’adolescente, elle veut d’une part être comme Anne, intelligente, belle et raffinée. Cécile la considère comme
La représentation idéalisée de la féminité mature et indépendante”.

D’un autre côté, elle voit Anne comme un juge, une femme plus âgée qui veut contrôler sa vie. À cet égard, au lieu de s’identifier à elle, elle veut l’éliminer de sa vie.

Anne réprime le désir naturel de liberté, mais en jugeant l’attitude de Cécile irresponsable empêche Cécile de s’aimer elle-même. Elle admet que

Moi, si naturellement faite pour le bonheur, l’amabilité, l’insouciance, j’entrais par elle dans un monde de reproches, de mauvaise conscience où, trop inexperte à l’introspection, je me perdais moi-même” (page 77).

L’une des scènes cruciales est celle dans laquelle Cécile et Cyril deviennent amants, même si elle refuse de l’épouser.

Après avoir fait l’amour, Cécile déclare :
Je ne sais pas si c’était de l’amour que j’avais pour lui en ce moment, j’ai toujours été inconstante et je ne tiens pas à me croire autre que je ne suis. Mais en ce moment je l’aimais plus que moi-même” (page 122).

Tout au long de l’œuvre, Cécile imite les adultes dans sa recherche du plaisir. Comme son père, elle fume et boit du whisky, parfois trop. Elle aime les voitures rapides. Le rôle d’adulte qu’elle joue devient complet après avoir eu un amant.

Tout au long de Bonjour tristesse, Cécile reste seule en amour. La seule chose que Cécile craint, c’est l’ennui de la vie quotidienne. Elle avoue que
Mais je craignais l’ennui, la tranquillité plus que tout. Pour être intérieurement tranquilles, il nous fallait à mon père et à moi, l’agitation extérieure” (page 159).

Le lecteur voit pour la dernière fois Anne partir en voiture, en colère. Peu après, Cécile et Raymond apprennent que la voiture d’Anne a plongé d’une falaise. Bien que sa mort semble être un accident, Cécile la considère comme un suicide. Sa mort met fin à leurs vacances d’été et, par la même occasion, à l’histoire d’amour entre Cécile et Cyril.

Après les funérailles, ni le père ni la fille ne pleurent longtemps. Au bout d’un mois, Raymond trouve une nouvelle maîtresse et Cécile un nouvel amant, Philippe, un cousin d’Anne. Ils parlent de leurs projets pour leurs prochaines vacances, de la villa qu’ils vont louer à Juan-les-Pins.

En ce qui concerne l’amour, ce que Cécile croit être l’amour n’a été qu’une déception. Maintenant, elle se rend compte que :

Je ne l’avais jamais aimé. Je l’avais trouvé bon et attirant, j’avais aimé le plaisir qu’il me donnait, mais je n’avais pas besoin de lui” (page 182-83).


Cyril n’est devenu pour elle qu’un objet de plaisir. Au lieu de trouver l’amour, elle n’en a trouvé que la nature éphémère du désir.

À la fin du roman, elle et son père sont seuls, Cécile déclare :
J’écris Dieu au lieu de hasard, mais nous ne croyions pas en Dieu. Déjà bienheureux en cette circonstance de croire au hasard” (page 187).

Cécile est heureuse de croire simplement au destin, malgré un remords récurrent. Comme elle et son père ne croient pas en Dieu, Sagan les dégage de toute responsabilité morale pour ce qui est arrivé.

 Le roman commence sur une note de tristesse, et il se termine sur la même note, puisque Cécile se sent troublée par le souvenir d’Anne, à l’aube, alors qu’elle est au lit. Elle ne peut échapper au sentiment de tristesse qui sous-tend l’existence insouciante qu’elle a connue tout au long du roman.

 

 

Les critiques

 

 

Les critiques ont jugé Sagan plutôt sévèrement. Sagan est célèbre, mais elle n’est pas reconnue. De nombreux critiques estiment que son succès est commercial et refusent de prendre ses romans au sérieux. Elle a toujours été associée à la controverse, soit dans sa propre vie, soit dans le type d’héroïnes qu’elle crée.
Parmi ceux qui ont été indignés par le prix qui lui a été décerné, il y a François Mauriac, qui a écrit un article dans Le Figaro peu après son succès, décrivant Sagan comme “un charmant monstre de dix-huit ans”. Mauriac reproche aux critiques qui lui ont décerné le prix parce qu’il pense que seuls les aspects littéraires de l’œuvre de Sagan sont importants.

De nombreux critiques estiment que son succès est plus sociologique que littéraire. Un critique, Boisdeffre, assimile le succès de Sagan à celui d’une starlette célèbre dans un sens sociologique plutôt que littéraire.

Certaines personnes ont associé Sagan à son héroïne, Cécile, et ont supposé qu’elle ne vivait que pour le plaisir. Grâce à la publicité et à la légende autour d’elle, Sagan est rapidement devenue le porte-parole de toute une génération de jeunes adultes sans but.

Comme le note Boisdeffre, le monde moderne n’offrant ni foi ni bonheur, Bonjour tristesse, à travers l’adolescente Cécile, en est devenu à représenter la jeunesse .

Boisdeffre, Pierre : Histoire de la littérature de langue française des années 1930 aux 1980. Paris : Librairie, 1985.

Sagan écrit de Bonjour tristesse que “C’était l’histoire toute simple d’une fille qui faisait l’amour avec un garçon, au milieu de quelques complications passionnelles. Il n’y avait pas de conséquences morales pour elle”. Cette affirmation est peut-être la clé du roman. Puisque Sagan est indifférente aux concepts du bien et du mal.


Zalamansky souligne que l’apparition de la société de consommation est l’une des raisons du succès du roman, que le type de monde présenté par Sagan est un monde qui refuse la contrainte morale et le devoir, puisque le mot clé de l’univers saganien est le bonheur. Le roman fait appel à une société de consommation, ce qui se manifeste par les plaisirs qui contribuent au bonheur de Cécile : soleil, mer, voitures rapides, voile, fumer, boire du whisky et sexe.

Zalamansky Henry : "Para Una sociologla Del best-seller: Frangoise Sagan.Teoria de la Novela eds. Carlos J. Barbachano And Santos Sanz Villanueva.”Temas » 6, Madrid : Sociedad Gen.Espafola De Librerfa, 1976 : 493-526.

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Françoise Sagan: anti romance

Sagan---anti-romance

Sagan   anti romance

 

 

En 1954, Simone de Beauvoir publie son roman les mandarins et décroche le prix Goncourt. Elle s'interroge sur la possibilité de concilier désir et responsabilité sociale, épanouissement personnel et couple.

Même année, le premier roman d'une jeune de 17 ans, habilement commercialisé par son éditeur, retient l'attention du public et de la critique, et remporte en mai le prix des Critiques.

 

 

sagan  francoise bonjour tristesse

 

Bonjour tristesse 1954

Bonjour tristesse de Françoise Sagan devient un best-seller en France puis aux États-Unis. Le roman est une romance familiale plutôt qu'une romance proprement dite.

Le roman a choqué et ravi les lecteurs par sa représentation de l'adolescence sexualisée, amorale, absorbée par les plaisirs et le confort égoïste plutôt que par le devoir ou par la recherche du véritable amour.
Cécile, jeune parisienne de dix-huit ans, sort et fréquente en compagnie de son père Raymond, un quadragénaire veuf séduisant, frivole et libertin. Cécile va d'un garçon à un autre, elle s'ennuie, est triste.
«Paris, le luxe, la vie facile. Je crois bien que la plupart de mes plaisirs d'alors, je les dus à l'argent : le plaisir d'aller vite en voiture, d'avoir une robe neuve, d'acheter des disques, des livres, des fleurs. Je n'ai pas honte encore de ces plaisirs faciles, je ne puis d'ailleurs les appeler faciles que parce que j'ai entendu dire qu'ils l'étaient..

Avec son père et sa maîtresse Elsa âgée de vingt-neuf ans, elle passe l’été sur la Côte d’Azur, insouciants et légers, existence hédoniste, luxe, nonchalance et plaisirs. Cécile flirte avec Cyril, un jeune voisin, étudiant.
Avec lui elle découvre la sexualité :

"À deux heures, j’entendis le léger sifflement de Cyril et descendis sur la plage. Il me fit aussitôt monter sur le bateau et prit la direction du large. La mer était vide, personne ne songeait à sortir par un soleil semblable. Une fois au large, il abaissa la voile et se tourna vers moi. Nous n’avions presque rien dit :
« Ce matin…, commença-t-il.
– Tais-toi, dis-je, oh ! tais-toi… »
Il me renversa doucement sur la bâche. Nous étions inondés, glissants de sueur, maladroits et pressés ; le bateau se balançait sous nous régulièrement. Je regardais le soleil juste au-dessus de moi. Et soudain le chuchotement impérieux et tendre de Cyril… Le soleil se décrochait, éclatait, tombait sur moi. Où étais-je ? Au fond de la mer, au fond du temps, au fond du plaisir… J’appelais Cyril à voix haute, il ne me répondait pas, il n’avait pas besoin de me répondre.
La fraîcheur de l’eau salée ensuite. Nous riions ensemble, éblouis, paresseux, reconnaissants. Nous avions le soleil et la mer, le rire et l’amour, les retrouverions-nous jamais comme cet été là, avec cet éclat, cette intensité que leur donnaient la peur et les autres remords ?…
J’éprouvais, en dehors du plaisir physique et très réel que me procurait l’amour, une sorte de plaisir intellectuel à y penser. Les mots « faire l’amour » ont une séduction à eux, très verbale, en les séparant de leur sens. Ce terme de « faire », matériel et positif, uni à cette abstraction poétique du mot « amour », m’enchantait, j’en avais parlé avant sans la moindre pudeur, sans la moindre gêne et sans en remarquer la saveur. Je me sentais à présent devenir pudique."

Raymond reçoit la visite d'une ancienne amie de sa femme, Anne Larsen, femme de quarante-deux ans, directrice d’une maison de couture. Raymond s’éprend d’elle. Anne s’installe à la villa qu’Elsa quitte, puis Raymond annonce à Cécile sa décision de renoncer aux amours éphémères et d'épouser Anne.
D'abord heureuse à cette nouvelle, elle découvre cependant peu à peu que ce mariage risque de mettre de l'ordre dans son existence, de menacer son bonheur et son style de vie.

Elle obtient que Cyril et Elsa feignent d’être amoureux, devant Raymond qui ne tarde pas à s’offusquer et finit par revenir à Elsa. Anne le découvre, et furieuse quitte la maison. Un peu plus tard, elle se tue dans un accident de voiture.
Cécile et son père reviennent à Paris, reprennent leur existence insouciante. La vie de Cécile sera toujours teintée de tristesse
"Aujourd'hui, quelque chose se replie sur moi comme une soie, énervante et douce, et me sépare des autres

 

Sagan   un certain sourire

 

 

Un certain sourire 1956

Sagan devient une figure iconique des années 1950 et 1960. Elle représentait la jeunesse, l'insouciance, et le côté immoral assumé. Elle est plus célèbre que sa littérature, sa biographie intéresse plus que ses romans. Ses romans ne sont toujours pas mentionnés dans les manuels scolaires en France.

Après Bonjour tristesse, les romans de Sagan appartiennent au genre de la romance : récits légers d'amour et de séparation se déroulant dans les classes aisées, dans le milieu raffiné des arts et des médias parisiens.

Dominique, une jeune fille qui mène sa vie entre des études en droit à la Sorbonne, et l'amour de Bertrand. Elle s’ennuie :
«Il me fallait quelqu'un ou quelque chose. Je me disais cela en allumant ma cigarette, presque à voix haute : quelqu'un ou quelque chose et cela me paraissait mélodramatique.»
Elle rencontre Luc, l’oncle de Bertrand, un charmant quadragénaire, séduisant et marié. Elle désire aimer sans penser sans se soucier du temps, veut vivre au présent, «J'étais jeune, un homme me plaisait, un autre m'aimait. J'avais à résoudre un de ces stupides petits conflits de jeune fille ; je prenais de l'importance. Il y avait même un homme marié, une autre femme, tout un petit jeu de quatuor qui s'engageait dans un printemps parisien. Je me faisais de tout cela une belle équation sèche, cynique à souhait


Françoise, épouse de Luc, prend Dominique sous son aile, et ne voit rien. Bertrand s’indigne et rompt avec la jeune femme.


«Le bonheur est une chose plane, sans repères. [...] Peut-être le bonheur, chez les gens comme moi, n'est-il qu'une espèce d'absence, absence d'ennuis, absence confiante. À présent je connaissais bien cette absence, de même que parfois, en rencontrant le regard de Luc, l'impression que tout était bien, enfin. Il supportait le monde à ma place. Il me regardait en souriant. Je savais pourquoi il souriait et
J’avais aussi envie de sourire. [...] Je me surpris dans la glace et je me vis sourire. Je ne m'empêchai pas de sourire, je ne pouvais pas. À nouveau, je le savais, j'étais seule. J'eus envie de me dire ce mot à moi-même. Seule. Seule. Mais enfin, quoi? J'étais une femme qui avait aimé un homme. C'était une histoire simple ; il n’y avait pas de quoi faire des grimaces.»
En 1958, le roman fut adapté au cinéma par Jean Negulesco, avec Christine Carrère, Rossano Brazzi, Joan Fontaine.

 

Sagan   Dans un mois dans un an

 

 

Dans un mois, dans un an (1957)

Fanny et Alain, éditeur à Saint-Germain-des-Prés, tiennent salon une fois par semaine, recevant leurs jeunes amis écrivains, artistes et mondains agréables.
Alain se demande s'il ne s'est pas trompé de vie, en étant au côté d'une femme terne alors qu'il aime en secret la belle Béatrice, comédienne en quête d'un grand rôle. Un de leurs amis, Bernard, journaliste et romancier encombré d’une épouse fidèle, mais fade, Nicole, est l'heureux amant de Béatrice, mais tente vainement de séduire Josée, une fille libre et insaisissable. Alcool, plaisirs parisiens, futilités, ces personnes sont à la recherche du sens de la vie sociale et de la vie tout court, et font le malheur de leurs proches.
Quand Alain, Bernard ou Béatrice auront atteint leur but, que restera-t-il de leurs succès ou de leurs échecs, quelques moments de bonheur, un peu d'amertume et beaucoup de tristesse. C'est tout.

 

Sagan, sexe sans sentiment et sans culpabilité

L'univers de Sagan est peuplé de lassitude chic du monde, de cafés et de soirées où journalistes, directeurs de théâtre, mannequins et actrices se rassemblent pour flirter, parler, boire et tomber amoureux. Elle suit son public, car elle captait une atmosphère ambivalente d'attirance, et de répulsion face à la superficialité de la nouvelle France consumériste. Les personnages de Sagan prennent pour acquis les plaisirs matériels: voyages, vacances sur la Côte d'Azur, loisirs, bonne nourriture et boissons. Ils sont aussi désorientés, conscients parfois avec complaisance du vide qui entoure leur existence et notent avec douleur qu'ils vivent dans un vide moral.

Les héroïnes des deuxième et troisième romans de Sagan, Un certain sourire (1956) et Dans un mois, dans un an (1957), partagent la liberté sociale et sexuelle de Cécile de Bonjour tristesse, et son sentiment résigné, doux amer qu'il n'y a rien de significatif à faire de cette liberté. L'ennui comble le vide.

Elles tombent amoureuses, affrontent les conflits entre amour et autonomie personnelle, entre sentiments et société, entre devoir et désir.

Le monde de Sagan refuse les valeurs transcendantes, c’est un monde sans Dieu, sans vérités morales absolues, sans sens, la liberté est la condition inconfortable de l'existence de ses protagonistes plutôt que leur but.

L'influence de l'existentialisme est remarquée par les critiques, et reconnue par Sagan elle-même, bien que Sagan n'ait jamais partagé le sens de la responsabilité personnelle et politique, ni l'éthique de l'engagement proposés par Sartre.

L'impact de Simone de Beauvoir est présent. Simone de Beauvoir formule son rejet des modèles proposés d'épanouissement féminin : le mariage et la maternité, cherche une alternative : indépendance financière, autonomie, et engagement sociopolitique. Les héroïnes de Sagan, dont le champ de réflexion et d'action ne s'étend pas plus loin que les relations personnelles et les loisirs ne partagent pas les opinions de De Beauvoir.

Dans ce monde sans absolu, des rencontres sexuelles agréables et occasionnelles devraient suffire à certains moments de bonheur, la liberté est un moyen, mais de quoi? Le couple est incertain, et ne peut être la solution.

Ni passion, ni romance, les héroïnes assument leur propre liberté sexuelle et la valeur qu'elles attachent à l'autodétermination. La relation idéale proposée à Dominique, l'héroïne étudiante d'Un certain sourire, par Luc, homme séduisant, marié et plus âgé, est "une aventure sans lendemain et sans sentimentalité" (Sagan 1956 : 79) dans lequel le désir et l'intérêt mutuels permettront à chacun de suspendre brièvement l'ennui qui ronge la vie. Une relation sans conséquences sur le reste de la vie. Dominique accepte. Dans le roman Dans un mois, dans un an, Josée emmène Jacques chez elle pour répondre à une attirance désinvolte :


" Il était assez beau, mais vulgaire et sans intérêt" (Sagan 1957 : 16), et passe ensuite trois jours à l'hôtel avec son ex-amant Bernard, pour ne pas le décevoir, car il l'aime toujours:
" Un vrai bonheur, une fausse histoire d'amour " Dans un mois, dans un an 1957 : 105).

Ces héroïnes sont antisentimentales, traitent le sexe et l'amour de la même manière que les personnages masculins chez Sagan. Leur liberté n'invente pas un modèle, mais copie le modèle masculin dans les relations : le lien n'est pas essentiel, l'amour est aléatoire, transitoire, une menace pour l'indépendance.

Dominique, malgré ses efforts, tombe amoureuse de Luc, le "certain sourire" avec lequel elle termine son récit marque la fin de cet amour et de son plaisir, une fin teintée de résignation, de solitude retrouvée, et de détachement affectif retrouvé.

"Je ne m'empêchai pas de sourire, je ne pouvais pas. À nouveau, je le savais, j'étais seule .... Seule. Seule. Mais enfin, quoi ? J'étais une femme qui avait aimé un homme. C'était une histoire simple ; il n'y avait pas de quoi faire des grimaces." Certain sourire, 1956, 35 (125)

Josée termine son histoire en aimant Jacques, mais en reconnaissant la vérité de la prophétie de Bernard : "Un jour vous ne l'aimerez plus et un jour je ne vous aimerai sans doute plus non plus. Et nous serons à nouveau seuls et ce sera pareil"
Dans un mois, dans un an 1957, (188).

Cécile dans Bonjour tristesse savoure un moment de bonheur dans le lit de Cyril, le quitte pour un autre, défend un monde de futilité sans pour autant échapper à sa tristesse.

Les histoires d'amour de Sagan sont aux antipodes des scénarios classiques de la romance, où la solitude est finalement remplacée par le bonheur avec un véritable amour.

Les récits de Sagan sont construits sur l'intrusion dans ce monde dépassionné des émotions intenses et maladroites, de sentiments qui perturbent la teneur "civilisée, adulte, raisonnable" (Sagan 1956 : certain sourire, 1956, 87) de ses relations.

Dans le roman Dans un mois, dans un an, Josée cherche Jacques dans le Quartier Latin, dans un besoin désespéré de l'avoir avec elle
" Même pour être battue ou repoussée "
Dans un mois, dans un an 1957, 129

L'amour, chez Sagan, par opposition au simple désir, signifie vouloir être avec l'autre même si cela n'apporte aucune gratification.

Dominique se rassure : "Nous nous plaisions, tout allait bien"

Luc décrit "cet effort bouleversant qu'il faut accomplir pour aimer quelqu'un, le connaître, briser sa solitude"

Si les romans de Sagan sont antisentimentaux et antiromantiques, lorsque ses protagonistes tombent amoureux, ils entrevoient un mode de relation plus empathique et attentif, les rencontres sont agréables, mais provisoires. Le bonheur est éphémère, la sexualité est une consommation partagée.

Pour les femmes chez Sagan, la tentative de vivre une romance durable se solde par la souffrance et même, dans le cas d'Anne, par la mort, comme si l'idéal de fidélité et de complicité n'avait pas sa place dans un monde dépourvu de sens, résigné aux plaisirs passagers et au vide permanent.

Le portrait que fait Sagan de la société d'après-guerre souligne le non-sens de la modernité, la liberté par rapport aux anciennes conceptions morales s'accompagne d'un sentiment désolé d'un vide éthique. Ses jeunes héroïnes assument leur liberté sociale et sexuelle, mais leur sphère d'action reste dans des domaines féminins liés aux relations et aux émotions.

Les héroïnes de Sagan démontrent leur capacité à adopter des modèles masculins de détachement émotionnel, d'autonomie et de vie indépendante, mais ne semblent pas résoudre le dilemme de la relation, de la solitude et du sens de la vie.

Dans les romans de Sagan, les femmes ne proposent aucune critique, ne formulent aucune proposition. Les héroïnes rejettent les modèles maternels pour s'identifier aux figures paternelles masculines (Bonjour tristesse est un bon exemple) qui encouragent l'engagement dans la vie publique, la liberté sexuelle, le détachement émotionnel. Le modèle du désir sexuel masculin est sublimé au détriment de l'amour féminin, et de la maternité.

 

 

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Suzan Minot: Lust (luxure) et relations hommes femmes

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Susan Minot est née à Boston aux États-Unis en 1956, romancière diplômée en 1983 de l'université Columbia en création littéraire.

Lust and Other Stories est un recueil de 12 nouvelles publié en 1988, traitant les relations hommes femmes. Les personnages affrontent les problèmes provoqués par une relation compliquée où un partenaire est plus investi dans la relation que l'autre partenaire. Cet autre partenaire n’est pas mis en évidence dans les nouvelles, il est indifférent, son manque d'intérêt pour la relation est présenté comme un point de discorde dans les récits.

Les nouvelles de ce recueil sont intimes et personnelles. Les personnages sont sympathiques, parfois attachants dans des situations crédibles.

Certaines nouvelles décrivent une ambiance, sans intrigue, d'autres utilisent les pensées ou le flux de conscience à la première ou à la troisième personne. Les nouvelles manquent d'intrigue et de fins. Les actes importants sont décrits comme des généralités, les événements les plus importants de la vie, comme la mort, sont relatés avec distance, de manière détachée.

Les deux nouvelles sont divisées en trois sections. Les premières traitent les relations dans leur premier stade, les suivantes traitent les relations en crise, et les dernières traitent les fins et les conséquences des relations.

Suzan Minot a créé dans sa nouvelle Lust (luxure) un personnage devenu emblématique pour toute une génération dans les pays anglophones.

« Lust» est une histoire profonde qui décrit une adolescente, sans visage et sans nom, qui erre, sexuellement, pendant trois ans, ayant des relations sexuelles avec plus de quinze garçons et plusieurs autres sans nom.
La fille pense qu'elle donne de l'amour aux garçons alors qu'ils sont là pour le plaisir sexuel. La relation de la protagoniste avec les autres personnages de l'histoire fait ressortir son caractère unique, contrairement à son apparence physique.

La narratrice de Lust est adolescente, fréquente une école religieuse située loin de chez elle. Elle est active sexuellement, comme elle décrit :


« Il embrasse ma paume et dirige ma main vers sa braguette » (page6).

 

Ses escapades sexuelles avec différents garçons déterminent l'intrigue de l'histoire. Le lecteur peut deviner son comportement et ses relations, ce qui met en lumière les jeux de pouvoir entre les hommes et les femmes, en particulier lorsqu'il s'agit de sexe.

La narratrice utilise la première et la deuxième personne tout au long de l'histoire. Dans certains cas, elle utilise le « je » lorsqu'elle parle de ses expériences de vie.


« J'avais goûté la langue de Bruce» (page 3),

 

Dans d'autres, elle utilise « vous », qui représente toutes les femmes en général ; par exemple, elle dit :


« Vous commencez à vous sentir comme un morceau de veau pilé» (page 16).

 

La narratrice expose ses rencontres sexuelles, chaque rendez-vous est détaillé comme une liste d'achats émotion. Elle prend ses distances avec ses 15 rencontres sexuelles, en essayant d'imiter le comportement sexuel masculin.

Elle admet que le fait de coucher à droite et à gauche est une chose normale qui ne l'inquiète pas du tout. Elle révèle plus tard ses craintes en avouant :


« Le lendemain, on est dans un brouillard total, on délire, on est distrait, on traverse le stress et on manque de se faire écraser» (page 10).

 

Malgré l'intention de garder ses distances, la narratrice entre subtilement dans l'autoréflexion. Le ton devient honnête révélant sa douleur et sa solitude.

Elle poursuit en disant que pour un garçon, coucher avec plusieurs filles est une bonne chose, alors que pour une fille, c'est un mauvais présage. Ce n'est qu'à la fin de l'histoire que la narratrice fait ressortir ses peurs et ses inquiétudes.

La narratrice met en évidence le détachement émotionnel du personnage principal vis-à-vis des figures d'autorité, comme ses parents. Il n'existe aucun lien émotionnel entre elle et ses parents.

Elle écrit :

 

« Mes parents n'avaient aucune idée... les parents ne savent jamais vraiment ce qui se passe, surtout quand vous êtes à l'école la plupart du temps » (page 5).

 

Ses parents l'ont inscrite dans un pensionnat éloigné pour ne pas faire face aux problèmes provoqués par leur fille adolescente. Savoir que sa famille n'est pas dans le coin lui permet d'avoir toute liberté d’action.

Le médecin de l'école donnait aux élèves la pilule d'urgence sans poser de questions comme le note la narratrice :


« La blague était que le médecin de l'école donnait la pilule comme de l'aspirine » (page 8).

 

La plupart des filles de l'école utilisent la pilule, pour prévenir les grossesses non désirées lorsqu'elles s'engagent dans des escapades sexuelles. Elle pouvait prendre la pilule le matin, juste avant de se rendre à la chapelle de l'école.

La narratrice montre que même si elle voulait mettre fin à son comportement, elle ne trouvera ni soutient ni conseils. La directrice de l'internat Mme Gunther ne fournit aucune instruction sur la vie sexuelle des adolescentes, et préfère formuler des conseils sur les façons de trouver le véritable amour, car elle était tombée amoureuse de son seul petit ami, M. Gunther, avant de se marier avec lui

La narratrice n'a pas confiance en elle-même, elle se sent faible avec les hommes qu'elle fréquente, obligée de dire oui aux avances sexuelles.


Elle admet :


« Donc, si vous flirtiez, vous deviez être prête à aller jusqu'au bout » (page 9).

 

Elle déclare ensuite que les garçons se mettaient en colère si une fille refuse de céder aux avances sexuelles. Minot dessine un personnage comme quelqu'un qui souffre d’une faible estime de soi, qui se déguise en faisant la fête, en buvant l'alcool ou prenant des drogues.

C'est un personnage social, extraverti, agréable à côtoyer, mais en réalité, elle est fragile. Elle est consciente de son comportement problématique, et de ses conséquences :


« Après le sexe, vous vous recroquevillez comme une crevette, quelque chose de profond en vous est détruit » (page 16).

« Je pensais que la pire chose qu'on pouvait dire de vous était un suceuse de bites» (page 9).

 

Minot décrit les difficultés des jeunes filles occidentales à l'adolescence, en raison de la pression exercée sur elle par la société, par les garçons et par les autres filles.
Elle montre comment les filles cèdent aux avances sexuelles des garçons au début de leur apprentissage, avant de distinguer l'amour du sexe :


« on ouvre ses jambes, mais on ne peut pas, ou on n'ose plus, ouvrir son cœur » (page 17).

 

« Lust» se concentre sur la difficulté des jeunes de la société moderne à nouer des relations saines.
L'adolescente parle principalement des hommes qu'elle rencontrait plutôt que de se concentrer sur ses propres pensées et sentiments.
Elle décrit une rencontre sexuelle avec un personnage nommé Roger. Elle dit :


« Roger était rapide. Dans sa voiture,  la radio retentissait, parlant vite, vite, vite. Il recherchait toujours ma fermeture éclair. Il a été expulsé de sa deuxième année » (page17).

 

Au début, on a l'impression qu'elle se vante, mais de temps en temps, elle glisse des commentaires tels que :


« À la seconde où un garçon a mis son bras autour de moi, j'ai oublié de vouloir faire quoi que ce soit d'autre, ce qui a d'abord été un soulagement jusqu'à ce que cela devienne comme s'enfoncer dans la boue (page 6) ».

« Vous distinguez la forme floue des fenêtres et vous vous sentez devenir une grotte, absolument remplie d'air, ou d'une tristesse qui ne voulait pas s'arrêter (page 6) ",

« Si vous sortez avec eux, vous devez en quelque sorte faire quelque chose (page 6) ».

L'adolescente reçoit une satisfaction émotionnelle temporaire, mais comme elle le dit :


« Mais alors vous commenceriez à vous échapper et l'obscurité entrerait et il y aurait une caverne » (page 7).

 

Cette référence de caverne est la réalisation qu'elle n'est rien de plus qu'un objet, que sa place avec ces garçons n'est rien ; ils la voient comme un objet sexuel.

 

 "...Tout se remplit finalement de mort. Après la vivacité de l'amour, l'amour s'arrête... tu ne demandes même pas quelque chose ou tu n'essaies pas de lui dire quelque chose parce que c'est évidemment ta propre foutue faute. »
« Tu es partie. Leur regard vide vous dit que la fille qu'ils baisaient n'est plus là. On dirait que tu as disparu (11). »

 

Minot décrit brièvement les actes sexuels des filles avec chaque garçon.


« Vous feriez des promenades pour sortir du campus. Il pleuvait comme un enfer, mon pull trempé comme un mouton mouillé. Tim m'a serrée contre un arbre, les bois bruns clair et brun foncés, une maison blanche à moitié cachée avec des lumières déjà allumées. L'eau était aussi bruyante qu'un sifflement de foule. Il a fait certains commentaires sur mon front, sur mes joues. »

 

Dans un autre passage, elle passe la nuit avec un homme trop timide pour faire des avances jusqu'à ce que, lorsqu'ils s'endorment, il met son bras autour d'elle, et c'est tout. Un autre passage décrit une romance lors d'un voyage en camping, les sacs de couchage étant fermés ensemble. Dans une autre section, notre protagoniste parle sans détour de tous les types de pénis qu'elle a vus, en remarquant :


« Tim a la forme d'une banane, avec une courbe gracieuse. Ils sont tous différents. Willie est comme un tas de noix quand il ne se passe rien, un autre est aussi mince qu'un hot-dog mince. Mais c'est comme des visages ; on n'est jamais vraiment surpris ».

C'est à travers ces différentes histoires, qui font partie de la même histoire, que « Lust» progresse. Il se termine à un endroit différent de celui où il a commencé.

 

Technique de Suzan minot

Suzan minot utilise un langage précis, bien maîtrisé, minimaliste, préférant les mots simples et les phrases courtes. Les nouvelles sont atypiques, manquent de nombreux éléments de la fiction traditionnelle comme le développement des personnages, la description des lieux, ou l'évolution de l'intrigue.

Cette écriture minimaliste est devenue dans une certaine mesure un modèle stylistique courant dans la fiction courte américaine moderne.
Ce texte de Minot demeure populaire, il témoigne du dénigrement émotionnel que les femmes subissent malgré les progrès de la condition féminine.

 

Les années 80

C’est une nouvelle des années 80. À notre époque, la sexualité féminine est plus libre, moins stigmatisée, de même que la contraception.
Par contre, ce texte de Minot relate une autre vérité sur la différence entre l’amour et le sexe:


« C'est comme si un pétale était arraché à chaque fois. »

 

Les années de libérations sexuelles n’ont pas changé les règles de l’attirance, du désir sexuel. Les besoins sexuels des femmes ne sont pas toujours satisfaits dans un comportement sexuel féminin qui copie le comportement masculin. La liberté sexuelle devrait être modérée par la conscience, par identifier ses réels besoins.
Cette histoire traite du silence et le manque de respect, implicite et explicite ressenti par certaines femmes dans leurs relations amoureuses avec les hommes. Minot ne parle pas des hommes, n’explique pas leurs motivations ou leurs difficultés. Elle se concentre sur les femmes.
Dans ce sens, c’est un texte féministe des années 80 qui garde son intérêt pour comprendre le point de vue féminin des ces années sur les relations sexuelles.

 

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Françoise Sagan : Aimez-vous Brahms, analyses

Francoise-SAGAN-aimez-vous-Brahms-

 

Francoise SAGAN aimez vous Brahms

 

 

Paule a 39 ans. Décoratrice et divorcée, la quarantaine « un peu usée ». Age critique pour une femme.


L’incipit du roman est une réussite : « Paule contemplait son visage dans la glace et en détaillait les défaites accumulées en trente-neuf ans, une par une, non point avec l’affolement, l’acrimonie coutumiers en ce cas, mais avec une tranquillité à peine attentive. Comme si la peau tiède, que ses deux doigts tendaient parfois pour souligner une ride, pour faire ressortir une ombre, eût été à quelqu’un d’autre, à une autre Paule passionnément préoccupée de sa beauté et passant difficilement du rang de jeune femme au rang de femme jeune : une femme qu’elle reconnaissait à peine. »

Elle vit une relation avec Roger, un homme de son âge qui lui rend de distraites visites qu'elle attend, fidèle et dolente. Il « ne pouvait même pas admettre l’idée qu’elle pût être seule et malheureuse par lui », et a des aventures sur lesquelles elle ferme les yeux. La fougue s’est éteinte pour se transformer en simple affection. Dès le début de l'histoire, la nature de cette relation est loin d'être idéale, du point de vue de Paule. Roger se donne la liberté d'avoir des relations avec d'autres jeunes femmes. Sans surprise, cela laisse Paule se sentir plutôt seule et négligée.

« Dans la boîte de nuit, ils s’assirent à une petite table loin de la piste et regardèrent défiler les visages sans un mot. Elle avait sa main sur la sienne, elle se sentait parfaitement en sécurité, parfaitement habituée à lui. Jamais elle ne pourrait faire l’effort de connaître quelqu’un d’autre et elle puisait en cette certitude un bonheur triste.
Plus tard, ils revinrent en voiture, il descendit et la prit dans ses bras devant le porche.
“Je te laisse dormir. À demain, mon chéri.

Il l’embrassa légèrement et partit. Elle agita la main. Il la laissait dormir de plus en plus souvent. Elle était seule, cette nuit encore, et sa vie à venir lui apparut comme une longue suite de nuits solitaires. Dans son lit, elle étendit le bras instinctivement comme s’il y avait un flanc tiède à toucher, elle respirait doucement comme pour protéger le sommeil de quelqu’un. Un homme ou un enfant. N’importe qui, qui ait besoin d’elle, de sa chaleur pour dormir et s’éveiller. Mais personne n’avait vraiment besoin d’elle. »
Page 15


Survient alors Simon, un beau jeune homme d’à peine 25 ans. Fils d'une riche cliente, Simon Van den Besh, quinze ans son cadet. Il est d’une grande beauté.

« Encore qu’il ne tirait de son physique aucune assurance, seulement un soulagement : “Je n’aurais jamais eu la force d’être laid.” »

« Il ne semblait absolument pas conscient de son physique : c’était inespéré. »
Il est nonchalant et enfantin, s'éprend d'elle, la courtise. Elle résiste par fidélité à Roger, et en raison de la différence d’âge.

 

Au début, Paule hésite à s'impliquer avec Simon même si elle éprouve une étincelle palpable d'attraction. Simon, quant à lui, est déterminé à gagner le cœur de Paule, la poursuivant avec une vigueur et une persévérance considérables pendant les jours qui suivent leur rencontre initiale. Naturellement, il ne faut pas longtemps avant que Paule succombe aux charmes de Simon — après tout, il est très vif et attentif, même s'il est un peu immature.

 

« Il descendit la dernière marche et avança vers elle. “Il va se précipiter sur moi”, pensa Paule avec ennui. Il passa un bras du côté gauche de sa tête, ralluma, puis mit son bras droit de l’autre côté. Elle ne pouvait plus bouger.
“Laissez-moi passer”, dit-elle très calme.
Il ne répondit pas, mais se courba et mit sa tête sur son épaule, avec précaution. Elle entendit son cœur battre à grands coups et soudain se sentit troublée.
“Laissez-moi, Simon... Vous m’ennuyez.”
Mais il ne bougeait pas. Simplement, il murmura son nom deux fois à voix basse. “Paule, Paule”, et derrière sa nuque, elle voyait la cage d’escalier si triste, si lourde de morgue et de silence.
“Mon petit Simon, dit-elle aussi à voix basse, laissez-moi passer.”
Il s’écarta et elle lui sourit un instant avant de s’en aller."
Page 57

 

Simon tente de la convaincre d’accepter son amour. Mais il y a toujours l’autre, Roger. Paule réfléchit au passage du temps et à sa quête du bonheur, elle est confrontée à un choix. Doit-elle rester avec Roger et l'existence familière et insatisfaisante, ou tenter sa chance avec Simon et la fraîcheur de la jeunesse qu'il offre ?


Je l’aime”, dit-elle, et elle se sentit rougir. Elle avait l’impression d’avoir eu une voix de théâtre.
“Et lui ?
– Lui aussi.
– Bien entendu. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes.
– Ne jouez pas les sceptiques, dit-elle doucement. Ce n’est pas de votre âge. Vous devriez être au moment de la crédulité, vous...”
[…..]
“Vous aimez Roger, mais vous êtes seule, dit Simon. Vous êtes seule, le dimanche ; vous dînez seule et probablement vous... vous dormez seule souvent. Moi je dormirais contre vous, je vous tiendrais dans mes bras toute la nuit, et je vous embrasserais pendant votre sommeil. Moi, je peux encore aimer. Lui, plus. Vous le savez."
Page 68

 


Elle insiste, mais il ne reste pas. Roger doit passer dix jours aux États-Unis pour affaires, ne peut répondre aux demandes de Paule de rester avec elle ou d’accepter de l’accompagner. Il part. Elle s’approche de Simon pendant l’absence de Roger :

"Pour la première fois, il lui apparut semblable à elle, à eux (Roger et elle), non point vulnérable […] libéré, dépouillé de tout ce que sa jeunesse, sa beauté, son inexpérience lui prêtaient d’insupportable à ses yeux. Il laissait sa main immobile dans la sienne, elle sentait le pouls contre ses doigts et, soudainement, les larmes aux yeux, ne sachant pas si elle les versait sur ce jeune homme trop tendre ou sur sa propre vie un peu triste, elle attira cette main vers ses lèvres et l’embrassa."
Page 91


Elle tombe amoureuse de Simon, présent pour rompre sa solitude, pour l’accompagner. Elle oublie Roger, ou fait semblant de l’oublier. Simon compte le plus :

"Simon couvrait son visage de baisers ; elle respirait, étourdie, cette odeur de jeune homme, son essoufflement et la fraîcheur nocturne.
Il était tout près d’elle, beaucoup trop près, pensa-t-elle. Il était trop tard pour parler, et il n’avait pas à la suivre. Roger aurait pu le voir, tout cela était fou... Elle embrassa Simon.
Le vent d’hiver se levait dans les rues, il passa sur la voiture ouverte, rejeta leurs cheveux entre eux, Simon couvrait son visage de baisers ; elle respirait, étourdie, cette odeur de jeune homme, son essoufflement, et la fraîcheur nocturne. Elle le quitta sans un mot.
À l’aube, elle se réveilla à demi et comme en un rêve, elle revit la masse noire des cheveux de Simon, mêlés aux siens par le vent violent de la nuit, toujours entre leurs visages comme une barrière soyeuse et elle crut sentir encore la bouche si chaude qui la traversait. Elle se rendormit en souriant."

Page 105


"Deux jours plus tard, ils dînèrent ensemble. Paule n’eut besoin que de quelques phrases pour que Simon comprît ce qu’avaient été pour elle ces dix jours : l’indifférence de Roger, ses sarcasmes sur Simon, la solitude. […] Roger, je suis malheureuse par ta faute ; Roger, ça doit changer."
Page 114

 


"Je ne suis pas inconséquent, tu sais. J’ai vingt-cinq ans, je n’avais jamais vécu avant toi et sûrement je ne vivrai plus après. Tu es la femme et surtout l’être humain qu’il me faut. Je le sais. Si tu le voulais, je t’épouserais demain.
– J’ai trente-neuf ans, dit-elle.
– La vie n’est pas un journal féminin, ni une suite de vieilles expériences. Tu as quatorze ans de plus que moi et je t’aime et je t’aimerai très longtemps. C’est tout. Aussi, je ne supporte pas que tu t’abaisses au niveau de ces vieilles taupes, par exemple, ni de l’opinion publique. Le problème, pour toi, pour nous, c’est Roger. Il n’y en a pas d’autres.
Il se glissa près d’elle, l’embrassa et la prit. Elle ne protesta pas de sa fatigue et il lui arracha un plaisir violent qu’il ne lui avait jusque-là pas fait connaître. Il caressa ensuite son front mouillé de sueur, l’installa au creux de son épaule, à l’opposé de son habitude, rabattit les couvertures sur elle, soigneusement.
‘Dors, dit-il, je m’occupe de tout."
Page 154

Roger trompe sa solitude avec d’autres femmes, des conquêtes faciles, et des relations sans lendemain. Sagan montre l’ambivalence masculine :


"Elle était sotte, bavarde et comédienne. À force de ridiculiser l’amour, elle le rendait curieusement cru ; et sa façon de réduire à néant chez lui, toute envie de tendresse, de camaraderie ou de vague intérêt, la rendait plus excitante."
Page 120


Roger se rend compte de ce qu’il a perdu en Paule et décide de la reconquérir, tandis qu’elle, poussée par la peur que son âge lui inflige, se demande qui de Simon ou de Roger lui procurera le bien-être dont elle a besoin, un bien-être situé entre le confort moral et l’amour. Elle revoit Roger. Elle l’aime toujours. Il promet de changer, de faire attention à ses besoins, de ne plus la laisser seule.

 

"j'étais si malheureux, dit-il.
– Moi aussi’, s’entendit-elle répondre et, s’appuyant un peu contre lui, elle se mit enfin à pleurer, suppliant en elle-même Simon de lui pardonner ces deux derniers mots.
Il avait posé la tête sur ses cheveux, il disait : ‘Là, ne pleure pas’, d’une voix bête.
‘J’ai essayé... dit-elle enfin d’un ton d’excuse, j’ai essayé... vraiment...’
[..]
‘Dis quelque chose, murmura-t-elle.
– J’étais si seul, dit-il, j’ai réfléchi. Assieds-toi là, prends mon mouchoir. Je vais t’expliquer."
Page 173

À présent, Paule doit rompre avec Simon.

"Elle ne pouvait s’empêcher de l’envier pour ce chagrin si violent, un beau chagrin, une belle douleur comme elle n’en aurait jamais plus. Il se dégagea brusquement et sortit, en abandonnant ses bagages. Elle le suivit, se pencha sur la rampe, cria son nom :
‘Simon, Simon, et elle ajouta sans savoir pourquoi : Simon, maintenant je suis vieille, vieille...’
Mais il ne l’entendait pas. Il courait dans l’escalier, les yeux pleins de larmes ; il courait comme un bienheureux, il avait vingt-cinq ans. Elle referma la porte doucement, s’y adossa."

Page 174


Après la rupture avec Simon, et le retour de Roger dans sa vie, elle est heureuse. Elle attend le retour de Roger quand le téléphone sonne :

"À huit heures, le téléphone sonna. Avant même de décrocher, elle savait ce qu’elle allait entendre :
Je m’excuse, disait Roger, j’ai un dîner d’affaires, je viendrai plus tard, est-ce que..."
Page 175

 

 

Aimez-vous Brahms : analyse rapide

 

Le titre du roman vient d'une note que Simon laisse à Paule l'invitant à un concert de musique classique. La ligne ‘Aimez-vous Brahms ?’ incite Paule à remettre en question ses préférences dans la vie, ses valeurs et sa propre estime de soi. Et si quelque chose la rendrait heureuse et est-ce vraiment à portée de main ?

On peut lire ce livre comme une affligeante banalité, l’histoire d’une femme de 40 ans entre deux hommes, des personnages narcissiques, nantis qui trompent la vacuité de leur existence dans le scotch, le champagne et le sexe. Cette analyse va dans le sens des critiques adressées aux romans de Sagan en général : parisianisme, problèmes de gens aisés, absence de social, absence d’évolution des personnages, et traitement psychologique superficiel.


Il existe d’autres niveaux de lecture, quand on constate que Sagan continue à traiter ses thèmes préférés : la fuite de la jeunesse, et le choc des générations, la solitude dans sa fatalité, paradoxes de l’amour, difficulté d’aimer, l’amour contre la solitude, la fragilité du couple, l’inconstance et la cruauté amoureuses.


Sagan continue à porter le flambeau de la jeune génération dans ces années 50-60. Roman après roman, elle parle des jeunes et des vieux, de l’âge, et son retentissement sur la société. Il suffit de lire Bonjour tristesse ou ce roman pour comprendre qu’il y avait beaucoup de jeunes dans la France à l’époque.

Françoise Sagan montre le vide de ces vies centrées sur elles-mêmes, et livre une vue acerbe sur le milieu mondain parisien, ses futilités et ses excès.

 

Elle traite un sujet important : la liberté et l’autonomie féminine. Comment trouver l’équilibre entre la liberté et le couple ? Faut-il sacrifier son autonomie pour ne pas vivre seule ? Une femme est-elle condamnée à la solitude si elle refuse de tout sacrifier pour son homme ?

 


Paule est indépendante et malheureuse, autonome, mais seule, n’a pas besoin de la protection d’un homme, mais de l’amour d’un homme.

En 1960, il fut porté à l'écran par Anatole Litvak, avec Ingrid Bergman, Yves Montand, Anthony Perkins. À ce jour, c’est, parmi toutes les adaptations cinématographiques de ses romans, le plus gros succès.

 

 

Le film avait choisi la célèbre 3ème symphonie de Brahms et son mélancolique troisième mouvement, pour la soirée concert de Paule et Simon.

 

 

 

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Incipit

incipits

 

Incipit

Ce mot désigne le premier mot d’un ouvrage. C’est l’entrée en la matière. Certains auteurs ont l’art de l’incipit, certains incipit sont passés à la postérité.

Aucun incipt n' est devenu un classique sans un grand roman, par contre, de nombreux grand romans  n'ont pas un incipit célèbre.

Voici dans ce vidéo quelques incipt qui mérite l'attention

 

 

 

 

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Atwood, la servante écarlate affronte Trump

servante ecarlate robe rouge

 

 


Les servantes apparaissent partout, dans les manifestations féministes, sur les réseaux sociaux, et sur les sites internet comme symbole de résistance et de révolte à l'oppression. Le roman d'Atwood (la servante écarlate) est à nouveau dans les listes des best-sellers, depuis l'élection du président Trump . En mars, des femmes ont enfilé les robes rouges pour protester contre les projets de loi proposés aux États - Unis qui porteraient atteinte aux droits des femmes selon ses manifestantes.

The Handmaids tale serie film


Au fil des années, "The Handmaid's Tale" a pris plusieurs formes. Ce livre a été traduit en 40 langues. Il a été adapté en film en 1990. Il a été joué sous forme d'opéra, et également de ballet. Il est transformé en un roman graphique. Et en avril 2017, cela devient une série de télévision MGM / Hulu.

 

La servante écarlate :  un roman féministe anti-dictature  

Margaret Atwood, née au Canada à Ottawa en 1939, auteur d'une quarantaine de livres. Traduite dans cinquante langues, on trouve ses livres en français surtout chez Robert Laffont : C'est le cœur qui lâche en dernier (2017), MaddAddam (2014), Le Temps du déluge (2012), La Servante écarlate (2005), Le Dernier Homme (2005), Le Tueur aveugle (2002, Booker Prize) ou Captive (1998).

Dans le journal New York Times du 10 mars 2017, Atwood raconte : " Au printemps de 1984, j'ai commencé à écrire un roman qui n'était pas initialement appelé "The Handmaid's Tale". J'écrivais à la main, principalement sur des blocs-notes puis sur une machine à écrire manuelle à clavier allemand. A l'époque je vivais à Berlin, l'empire soviétique était encore en place. Chaque dimanche, l'armée de l'air de l'Allemagne de l'Est faisait des booms sonores pour nous rappeler à quel point ils étaient proches. Au cours de mes visites dans plusieurs pays derrière le rideau de fer - la Tchécoslovaquie, l'Allemagne de l'Est - j'ai connu la méfiance, le sentiment d'être espionnée, le silence.

 

Atwood

 

Dans son roman, Margaret Atwood  revient sur la fonction naturelle de la femme et pose la question du risque de réduire la femme à ce rôle. Atwood imagine une société américaine en crise économique, écologique, et démographique, gouvernée par un régime autoritaire. Le rôle de la femme dans cette société devient la procréation.


The Handmaid's Tale (la servante écarlate) décrit un avenir où la pollution atmosphérique et terrestre entraine une augmentation spectaculaire de la stérilité. Un mouvement radical et conservateur chrétien organise un coup d'état accusant les fanatiques islamiques. Cela justifie de déclarer l'état d'urgence, de suspendre la constitution et de censurer les journaux.


Dans ce régime totalitaire, les femmes n'ont plus droit de travailler, d'avoir un compte en banque ou même de lire. Dans un monde où la stérilité s'est abattue, celles qui sont encore fertiles deviennent des servantes pour l'élite, avec pour seule tâche la reproduction.

Une caste de femmes fertiles, les Servantes habillées en rouge écarlate, devraient se consacrer à cette tâche. Ces mère porteuses sont attribuées à des couples, et sont à la merci des épouses habillées toujours en bleu et les commandants. Ambiance des romans d'Huxley et d'Orwell : hiérarchie, surveillance constante (l'Oeil), société sous contrainte, tortures, exécution.

Atwood dénonce les régimes totalitaires, déportation, rationnement, propagande, arrestations, exécutions publiques, dans une idéologie totalitaire et puritaine.

Defred fait partie de ces servantes. C'est à travers elle que nous découvrirons ce monde froid, hostile, la peur comme communication, l'absence de sentiments et la négation de l'intimité de l'individu.

" Nous vivions, comme d'habitude, en ignorant. Ignorer n'est pas la même chose que l'ignorance, il faut se donner de la peine pour y arriver. "
Defred décrit sa vie présente et ses souvenirs passés : sa vie de couple avec Luke, leur petite fille, ses études avec sa copine Moira.

"Il nous est interdit de nous trouver en tête à tête avec les Commandants. Notre fonction est la reproduction. Rien en nous ne doit séduire, aucune latitude n'est autorisée pour que fleurissent des désirs secrets."


Elles avancent à pas contrôlés, deux par deux, visage dissimulé par un chapeau (cornette). Elles sont destinées à porter la descendance des élites infertiles. Elles vident dans un monde sans mots, un monde de délation, de menace et des cérémonies expiatoires, avertissement pour que personne ne peut prétendre résister à la torture.

 

La vie devient une attente perpétuelle, celle de la fécondation par le Commandant, celle des informations volées au risque de se perdre, celle du temps qui passe sans repères.

" Notre fonction est la reproduction : nous ne sommes pas des concubines, des geishas ni des courtisanes. Au contraire : tout a été fait pour nous éliminer de ces catégories. Rien en nous ne doit séduire, aucune latitude n'est autorisée pour que fleurissent des désirs secrets, nulle faveur particulière ne doit être extorquée par des cajoleries, ni de part ni d'autre ; l'amour ne doit trouver aucune prise. Nous sommes des utérus sur pattes, un point c'est tout : vases sacrés, calices ambulants. " (p. 152)

" Mais tout autour des murs il y a des rayonnages. Ils sont bourrés de livres. Des livres et des livres et encore des livres, bien en vue, pas de serrures, pas de caisses. Rien d'étonnant que nous n'ayons pas le droit de venir ici. C'est une oasis de l'interdit. J'essaie de ne pas regarder avec trop d'insistance. "

 

Dans ce régime, la sexualité féminine est surveillée, contrôlée.  Chaque rapport sexuel a lieu en la présence de l'épouse du commandant, sans nudité, ni intimité. Une mise en scène des viols autorisés. La servante allongée le lit, son jupon rouge relevé, le visage entre les cuisses de la femme du Commander assise, le dos droit dans sa robe vert sapin, la tête Defred bouge doucement sous les va et vient. Elle attend que l'homme jouisse, tandis que sa femme lui tient fermement ses poignets.

 

servante ecarlate atwood citation

 

Echec du féminisme ?  Héritage abandonné ?

Il est impossible de dire que le féminisme a échoué, l'amélioration de la condition féminine est spectaculaire et sans précédent dans le monde et surtout dans les pays occidentaux.

La diffusion de la série " la servante écarlate " donna à la romancière une occasion de rencontrer un nouveau public. Beaucoup de femmes y compris en occident on trouvé une nouvelle pertinence à son roman en face des gouvernements peu féministes, contre l'IVG ou contre la contraception aux Usa et dans certains pays européens.


Yvonne Strahovski, l'une des actrices de la série, a confié au Huffpost : "Je commence à voir ces parallèles entre les actions et ce que Trump fait. C'est d'une manière étrange une inspiration mais aussi un parallèle horrible."

Aux Etats-Unis, "la Servante écarlate" est devenu un symbole de résistance. Lors de la Marche des femmes qui s'est déroulée en janvier dernier, on remarquait par exemple le panneau exigeant de "Laissons Margaret Atwood dans le monde de la  fiction".


Dans ce roman, Defred est indifférente au combat féministe de sa     mère : "Elle s'attendait à ce que je fasse l'apologie de sa vie et des choix qu'elle avait faits. Je ne voulais pas vivre ma vie selon ses exigences. " En face de la tyrannie, elle se voit dans l'obligation de résister comme sa mère.  Trop tard. "J'étais endormie [...] Maintenant, je suis éveillée", affirme Defred.

 

Trump hommes blancs colere


En 2013, Michael Kimmel publie un livre de sociologie, Angry White Men  " des hommes blancs en colère " pour analyser la colère qui animent un certain nombre d'hommes blancs de la classe moyenne, principalement de la classe moyenne inférieure.  
Hommes blancs de la classe moyenne sont en colère contre la société, le féminisme, le modèle économique, et la culture ambiante?


Michael Kimmel, par l'intermédiaire d'entrevues, et de rencontres étudie la colère de ses hommes, les motivations, les revendications et leurs points communs. Il formule une première conclusion : ces hommes sont en colère contre un modèle qui les marginalise dans le travail, dans le couple, dans la parentalité. Il dit dans son livre la masculinité américaine (et probablement occidentale) est en train de se transformer, de changer d'époque.

Ces hommes ne trouvent plus leur place dans la société actuelle, par manque de travail, par manque de perspectives, par les crises économiques successives, par délocalisation, et par déclassement social. Sur le plan sociétal, ces hommes ne trouvent plus leur place dans le couple, dans le rôle de parents. Ils ne sont plus chefs de famille, ils n'ont presque aucun droit dans le couple, et doivent s'adapter continuellement avec un mouvement féministe sans limite.


Quelques années plus tard, Trump est à la maison blanche et le livre de Kimmel est devenu best- seller.   
Ces hommes ne crient plus leur colère en critiquant le féminisme et le modèle social, ils sont dans l'étape de révolte. Ils s'expriment dans les urnes. Le cauchemar décrit par Atwood passera-il par la voie démocratique ?  
La servante écarlate est un roman qui date de plus 30 ans, un livre remarquable sur le plan littéraire par son style de narration et par la finesse de ses personnages.     


Si une jeune femme abandonne l'héritage féministe, elle dit que le combat est déjà gagné, et qu'il est temps de passer à autre chose ; Elle trouve aussi en face d'elle certains hommes de plus en plus hostiles au féminisme.  
Le féminisme n'est pas responsable des crises économiques, ni du chômage, ni de déclassement social. Par contre, Michael Kimmel souligne la colère profonde et déterminée d'hommes américains qui ont subi des réformes de la société favorables aux femmes sans se soucier des problèmes masculins dans le couple. Ces hommes déclassés perdent leur travail, leur rôle dans la famille, et même dans leurs couples. Ils ont du mal à voir leurs enfants une fois par semaine, gardés sous l'ordre des juges chez leurs ex-femmes, et sont toujours traités de dominateurs.


Dans son entrevue avec le journal anglais The Indépendant, le 18 juillet 2017, la romancière Margaret Atwood donne le début d'une réponse :  


"Quand on parle féminisme, on ne dit pas que les femmes sont meilleures que les hommes, ou qu'il faut pousser les hommes du haut d'une falaise... " .


La renaissance de ce grand roman pose une question :


Est-ce que la servante écarlate est la réponse efficace à la crise, aux hommes en colère et à leurs bulletins de vote à notre époque ?  


A chacun de formuler son propre avis ... 

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