Haruki Murakami si critiqué, si apprécié

Haruki Murakami

 

 

La popularité de l'auteur japonais Haruki Murakami grandit d'année en année. Le mystère et le surréalisme chez Murakami sont populaires au Japon et dans le monde.
Le romancier japonais, aujourd'hui âgé de 72 ans, a attiré un public culte au cours de sa carrière - les "Harukistes" - et a vendu plusieurs millions d'exemplaires dans plus de 50 langues à travers le monde.

Les écrivains engagent leurs lecteurs de diverses manières. Proust alterne les souvenirs et le réel pour créer un monde nouveau, Gabriel Garcia Marquez préfère le réalisme onirique, plongeant dans la famille, l'histoire et la culture, dans les relations interpersonnelles.


Haruki Murakami n'est pas préoccupé par la fin de ses romans, laissant un sentiment d'infini labyrinthe. Son écriture est simple, simpliste voire répétitive, influencée par ses deux écrivains préférés Anton Tchekhov et Scott Fitzgerald.


Le style de Murakami est réaliste ; il y a des descriptions détaillées d'objets et d'actions, mais on a souvent le sentiment que ces descriptions sont la "manifestation extérieure d'un concept, et non pas d’une substance réelle. L'intrigue, les événements du roman, résident entre le réel et l'imaginaire, entre un objet et un concept, comme chez Tchekhov. Dans certains romans, les ombres de Dostoïevski ne sont pas loin.


Le sexe est un motif récurrent dans la fiction de Murakami. Diverses versions de la sexualité sont mises en scène sans commentaire, son style de prose précis et factuel, son réalisme imprègne le sexe. La sexualité chez lui peut déranger certains lecteurs.

 

Haruki Murakami, un pro-occidental au japon !!

Les critiques qui qualifient Murakami d’un écrivain pro-occidental citent que ses personnages ne portent jamais de yukata ou de kimono, mais des jeans Levis et des chaussures de tennis Nike. Ses protagonistes lisent des livres de Kafka, Léon Tolstoï, mais ne sont pas intéressés par le haïku.
Murakami a beaucoup insisté sur la liberté de l'individu, même au détriment du lien social ce qui est problématique pour l’esprit japonais. Certains critiques japonais considéraient le travail de Murakami comme un déni de la conscience nationale.
Il est cependant si célèbre plus à l’extérieur qu’à l’intérieur du japon. C’est un autre point de controverse.

 

Haruki Murakami, l’américain au japon !!

Dans les années 80, des d'écrivains tels que Ryū Murakami, Nakagami et Haruki Murakami ont commencé ce que certains nomment l'américanisation de la littérature et de la culture japonaises.
Il existe au Japon un accord implicite sur le fait que la culture japonaise se compose pour l'essentiel de deux courants d'influence et de deux sources culturelles : européennes et asiatiques.


Dans son discours du prix Nobel de littérature en 1969, Yasunari Kawabata a insisté sur le fait qu’il est auteur de roman, un genre inventé par la culture européenne, qu’il est en même temps l’héritier de la culture asiatique du bouddhisme zen. Il a expliqué la philosophie et la beauté japonaises par leur contraste avec celles de l'Occident.
Des écrivains des années 80 à la suite de Kenzaburō Ōe n’ont pas respecté cette tendance culturelle. L’influence américaine dans leurs romans est manifeste, voire ostentatoire provoquant de vifs débats.


Kenzaburō Ōe est un bon exemple aussi, il a tendance à mettre en avant ses affinités avec la culture américaine, citant souvent les Aventures de Huckelberry Finn de l’américain Mark Twain.
Le personnage d’Ōe (surtout après son prix de Nobel) a souvent été interprété comme un intellectuel "européen" à l’image de Jean-Paul Sartre.


Ce qui distingue Haruki Murakami, c'est son acceptation sincère ou sérieuse de la littérature américaine contemporaine classique, comme Gatsby le magnifique ou tendre est la nuit de Fitzgerald, les romans de Salinger, et les œuvres d'écrivains plus tardifs comme Richard Brautigan, Kurt Vonnegut Jr, et Thomas Pynchon.


Son troisième roman, la Course au mouton sauvage, (A Wild Sheep Chase), ressemble à Vente à la criée du lot 49 (The Crying of Lot 49) de Pynchon dans sa recherche de la signification de l'histoire moderne du Japon.
Son quatrième roman, la Fin des temps (Hard-Boiled Wonderland and the End of the World), est basé dans sa forme sur Les Palmiers sauvages (The Wild Palms) de Faulkner dans l'alternance de deux fils narratifs, et dans ses thèmes, la technologie de l'information et la société de masse accompagnés d'autres sources d'influence comme le philosophe François Lyotard et ses analyses sur la post-modernité.


Les personnages de Murakami ressemblent à Holden Caulfield de L'attrape-cœurs de J. D. Salinger (1959). Comme Faulkner a dit de L'attrape-coeurs de Salinger qu'il n'y avait pas de race humaine dans laquelle Holden pouvait entrer, les personnages de Murakami n'ont pas pu trouver une famille ou une communauté à laquelle ils pouvaient appartenir. Les romans de Murakami partagent les caractéristiques et les limites des romans américains jusqu'aux années 1950 qui sont les dernières œuvres du réalisme et du roman familial, comme Goodbye Colombe de Philip Roth.


Après la fin des années 1980, lorsque Murakami a commencé à être lu par le grand public, c'est-à-dire en dehors des cercles littéraires et des universités, notamment avec l'énorme succès de Norwegian Wood, Fitzgerald était plus lu qu'Hemingway ou Faulkner. Être "populaire" pouvait signifier "inauthentique" jusqu'au moment où Murakami a rencontré un grand succès auprès du grand public. Après cela, être "populaire" pouvait simplement signifier être un bon auteur, occidentalisé ou pas.

Le Bois Norvégien l'a transformé de figure mineure avec un air attirant de méconnaissance qu'il était auparavant, en une véritable célébrité. Avec le succès de Murakami, ce que l'on appelle "littérature" au Japon est devenu un art, au même titre que la musique et l'art contemporain,

 

Haruki Murakami, le sexe contre l’aliénation

Un autre point de converse est la tendance de l’écrivain à analyser froidement la sexualité de ses personnages. Les critiques disent qu’il n’existe pas un roman de Haruki Murakami sans une scène de sexe.
Son roman Le Meurtre du Commandeur (2017) s'ouvre une scène de sexe où le narrateur masculin décrit des relations sexuelles avec deux femmes avec lesquelles il a couché après s'être séparé de sa femme. La première femme éprouve une douleur terrible lorsqu'elle a des relations sexuelles.

 

                       
Nietzsche ‘‘
                               Maurakami  Bois norvegien

 

Cette nuit-là, j'ai couché avec Naoko. Je ne sais pas si c'était la bonne chose à faire. Même maintenant près de 20 ans plus tard, je ne le sais toujours pas. Peut-être que je ne le saurais pas éternellement. Mais alors, je ne pouvais rien faire d'autre que de le faire.

Elle était bouleversée, confuse et voulait que je la calme.
Par une nuit chaude et pluvieuse, nous n'avons pas eu froid même nus. Naoko et moi avons cherché le corps de l'autre en silence dans l'obscurité. J’embrassai et enveloppai doucement ses seins dans mes mains. Naoko a attrapé mon érection. Son sexe chaud et humide me convoquait.

Un peu confus. Je pensais que Kizuki et Naoko dormaient tout le temps.

J'ai mis mon pénis à fond et je suis resté immobile, la serrant longuement dans mes bras, j’ai éjaculé sur une longue période de temps.

À la fin, Naoko serra fort mon corps et cria. C'était la voix la plus triste que j'aie jamais entendue à propos d'un orgasme.
                          
  ’’
                         


La réaction du narrateur est observatrice, indifférente. Murakami écrit, avec une froideur scientifique. Ses narrateurs masculins vivent des expériences sexuelles inhabituelles et surréalistes. Les hommes sont des récepteurs passifs et observateurs. La description se concentre sur le corps féminin, l'érection masculine et l'orgasme masculin.
Les hommes reçoivent passivement des femmes, qui n'ont pas de relations sexuelles pour leur propre plaisir mais pour d'autres motifs.

 

                       
Nietzsche ‘‘
                               Maurakami  Bois norvegien

 

Dans le noir, j'ai vérifié chaque recul de son corps. Des épaules aux coudes, aux poignets, aux paumes et au bout de dix doigts.
J’ai posé mes lèvres comme un phoque. J'ai vérifié la forme de chacun des seins et du ventre, des flancs, du dos, des jambes, et je les ai scellés. Je devais faire ça. Je devais faire ça. J'ai doucement caressé ses doux poils pubiens avec ma paume et je l'ai embrassé là. Elle respirait tranquillement. Mais elle me cherchait aussi.
A nouveau serrée dans mes bras, elle a modifié légèrement sa posture Il y avait des mots indescriptibles flottants dans l'air. Je suis entré en elle. Mon pénis était très dur et chaud.
Finalement, Yumiyoshi m'a mordu le bras si fort que le sang coulait. Mais cela n'a pas d'importance. C'est la réalité. Douleur et sang. J'éjaculai lentement en serrant ses hanches.
                          
  ’’
                         


La sexualité est enracinée dans la promiscuité, et le vide spirituel et émotionnel. C'est le cœur de l'œuvre de Murakami, le thème de l'aliénation dans la société post-moderne.
Les scènes de sexe chez Murakami sont des demi-rêves qui évoquent des expériences hors du corps.

 

                       
Nietzsche                                          
‘‘
                               Maurakami  Bois norvegien

 

Puis elle se glissa sur le canapé sans rien dire et chevaucha sur ses genoux décolorés. Puis passa ses bras autour de mon corps et l'embrassa.
J'ai sorti mon sexe durci et je l'ai tenu dans ma main pendant un moment. Puis je me suis penché et j'ai mis mon pénis dans sa bouche.
Je rampe lentement autour d'elle avec une longue langue, une langue lisse et chaude.
Elle se leva brusquement, se débarrassa des élégants escarpins noirs qu'elle portait, retira rapidement ses sous-vêtements. Elle se remet sur ses genoux et utilise une main pour guider son pénis en elle-même.

Il y avait de la chaleur et de la fraîcheur, de la fermeté et de la douceur, de l'acceptation et du rejet en même temps. Il y avait une sensation mystérieuse et contradictoire. Jje n'arrivais pas à comprendre ce que cela signifiait. Elle le chevauchait et montait et descendait violemment, comme si une personne sur un petit bateau emporté par une vague.
La voix haletante est devenue plus forte. Je n'étais pas sûr d'avoir verrouillé la porte du bureau. J'ai l'impression de l'avoir fait et j'ai l'impression de l'avoir oublié. Mais je ne peux pas aller vérifier la porte à partir de maintenant.  

"Dois-je utiliser une contraception ?", a-t-il demandé. Elle était généralement anxieuse au sujet de la contraception. Il y a beaucoup de choses qu'un homme ne peut pas comprendre sur le corps d'une femme.

Ses mouvements sont devenus de plus en plus audacieux et dynamiques. Il ne pouvait rien faire d'autre que de ne pas interférer. Et puis la dernière étape est arrivée. Il avait une image si trouble d’être dévoré par un animal inconnu dans l'obscurité.
"Enfin, elle lèche doucement votre pénis gonflé, comme si elle le guérissait.
Vous venez à nouveau, dans sa bouche. Elle l'avale, comme si chaque goutte était précieuse.
                          
  ’’
                         

 

 

Murakami : Femme un remède à la solitude ?

Les femmes de Murakami sont souvent définies par rapport aux personnages masculins et à leurs propres parcours de découverte de soi. Au lieu de personnages féminins, des femmes mystérieuses orbitent inexplicablement autour de personnages masculins solitaires et ont des relations sexuelles avec eux pour guérir leur solitude, apporter un soulagement émotionnel ou les aider à parvenir à une sorte de compréhension existentielle.
Au lieu de personnages dynamiques et autonomes, les femmes de Murakami servent à la fois les désirs masculins et de guérison.


En tant qu'écrivain postmoderne, Murakami aime jouer avec les conventions littéraires, faisant souvent référence à la façon dont vous lisez une histoire et à la façon dont les personnages sont des personnages d'histoire sans le savoir.
Dans Kafka sur le rivage, on suit un garçon de 15 ans en fuite et on explore sa psyché. L'histoire raconte Œdipe de manière postmoderne avec des séquences de rêves. Il plonge dans la psychologie des adolescents masculins. Kafka passe son temps à lire dans une bibliothèque, à se plonger dans les livres de Natsume Soseki et d'autres. Il tombe bientôt amoureux de la bibliothécaire Miss Saeki, qui devient la principale source des thèmes de l'histoire.


Murakami passe souvent en revue le corps des femmes avec des détails pornographiques :


                       
Nietzsche                                          
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                               Maurakami  Bois norvegien

 

La peau de Tamiki était douce et fine. Ses mamelons gonflés dans une belle forme ovale rappelant les olives. Ses cheveux étaient fins et clairsemés, comme un délicat saule. Celle d'Aomane était dure et hérissée. Elles ont ri de la différence. Ils ont essayé de se toucher à différents endroits et ont évoqué des zones les plus sensibles. Certaines zones étaient les mêmes, d'autres non. Chacun tendit un doigt et toucha le clitoris de l'autre. Les deux filles avaient expérimenté la masturbation – beaucoup. Mais maintenant elles voyaient à quel point c'était différent d'être touché par quelqu'un d'autre. La brise balayait les prairies de Bohême.                           
  ’’
                         


Murakami dépeint souvent les femmes comme des vaisseaux de libération pour les personnages masculins. Le sexe avec elles valide l'existence masculine.
Les critiques de certains courants féministes n’épargnent pas l’écrivain.

 

Conclusion :

Au Japon, il est traité par certains de pro-occidental, de commercial, ses romans ne s’enracinent pas dans la société japonaise, dit-on. A l’extérieur, il est un candidat constant dans les discussions sur le prix Nobel, loué et détesté. Ses livres se vendent par millions au Japon et dans le monde, ont été traduits dans une cinquantaine de langues. Il est mentionné comme l'un des auteurs les plus importants au monde, le sens profond de son écriture est discuté et analysé dans de nombreuses thèses universitaires. Tout le monde aime Murakami, tout le monde le déteste ou le critique.


Haruki Murakami a toujours été quelqu'un de libre. Il écrit ce qu'il veut. En lisant un de ses romans, on découvre sa capacité de comprendre et de stimuler les émotions humaines, et d’analyser la sexualité.

 

L’abondance des critiques témoignent de l’importance de son travail et de sa capacité à faire réfléchir.

 

Références

Murakami, H. (2015, June 25). The moment I became a novelist. Literary Hub. Retrieved from
https://lithub.com/haruki-murakami-the-moment-i-became-a-novelist/

Strecher M, Thomas L : Haruki Murakami : chalenging authors , sense publishers , Boston, 2016

 

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Vita sexualis de Mori Ogai

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  vita sexualis mori ogai

 


Banni peu de temps après sa publication en 1909, VITA SEXUALIS  n'est pas un roman érotique selon nos critères d'aujourd'hui . Aucune description érotisée, aucune sensualité exprimée, aucune nudité affichée. C'est un livre sur la conscience sexuelle, sur l'apparition du désir dans la vie d'un adolescent, sur la lutte entre le désir, les idées et les traditions dans un Japon bouleversé durant les années de l'ère Meiji.

 

Mori Ogai (1862-1922)

Médecin, haut fonctionnaire, traducteur de littérature allemande, historien et écrivain, Mori Ogai est l'une des figures majeures avec Natsume Sôseki de la littérature moderne japonaise. Marqué par les influences occidentales (il fera un séjour d'études en Allemagne), il ne cesse de s'interroger sur la " Japonité " et opérera à partir des années 1910 un retour vers des valeurs plus traditionnelles.

Après la restauration de Meiji, il part apprendre l'allemand à Tokyo avant d'entrer à l'Université de Tokyo en 1873. En 1884, il voyage en Allemagne en tant que boursier du ministère des Armées. Il travaille pendant quatre ans dans des laboratoires réputés à Berlin où il poursuit ses recherches sur la prophylaxie. Il découvre la société occidentale et ses œuvres : Sophocle, Halévy, Dante, Hartmann, sa peinture et son théâtre.
En 1888, de retour au Japon, il décide d'établir les bases d'une science japonaise moderne. Il crée des revues de médecine. Désireux d'introduire la littérature occidentale au Japon, il traduit et publie des auteurs tels que Calderón, Lessing, Daudet ou Hoffmann. Il publie Shosetsuron (des romans) pour présenter les théories naturalistes d'Émile Zola. Pendant la guerre sino-japonaise (1904-1905) et la guerre russo-japonaise, Ogai Mori subit les conséquences d'une politique de censure.
D'un autre côté, il s'interroge quant au développement de son pays, au malaise social naissant dû à la vague d'industrialisation accélérée et à la place de l'individu au sein de la société.


Mori a été le premier romancier japonais à étudier la littérature occidentale à sa source, et comme on peut le deviner, ces productions littéraires et académiques étaient fortement influencées par ses études en Occident, et surtout par la langue allemande.
Son roman La fille raconte l'histoire d'un étudiant japonais en Allemagne, qui tombe amoureux d'une fille allemande, l'abandonne pour retourner travailler dans l'administration Meiji.


Le romantisme, qui a influencé beaucoup de romanciers et de poètes jusqu'à la guerre russo-japonaise, va laisser place au mouvement naturaliste. Les écritures de Zola et de Maupassant, le positivisme d'Auguste Comte vont influencer les écrivains japonais. On lit des romans riches en observation soignée et détaillée du comportement humain, des descriptions presque cliniques associées à une narration généreuse. Ce naturalisme japonais  a été fortement critiqué pour plusieurs raisons : à la différence du naturalisme européen, le naturalisme japonais était concentré sur l'individu sans s'intéresser à la société, produisant un sentiment d'égoïsme. En dépit des critiques, les auteurs japonais de l'école naturaliste se sont passionnés pour un thème majeur qui va marquer la littérature japonaise moderne : la vie psychologique et émotionnelle de chaque individu.

Dans son roman le Jeune homme, son héro  Koizumi Junichi, jeune étudiant, aspire à devenir écrivain. Il se trouve plongé dans les discussions intellectuelles et artistiques de l'ère Meiji, qui portent notamment sur la modernisation de la culture nippone. Parallèlement, le jeune homme fait son initiation sentimentale par l'intermédiaire de trois figures féminines : la jeune femme, la geisha, la femme mariée.

 

Vita sexulais : roman événement

Intrigué par le sujet du désir sexuel et son rôle à l'ère moderne, Mori a commencé à écrire une œuvre dans laquelle son personnage principal, Shizuka Kanai, professeur de philosophie, tente d'écrire l'histoire de son développement sexuel. La chronique qui en résulte, depuis une rencontre d'enfance avec une estampe érotique, à une soirée passée à l'âge adulte avec une courtisane, est racontée à la manière d'une enquête sérieuse et sans détails. Ce sont les idées et les discussions qui comptent.
Ce roman devient avec le temps un témoignage de son époque, de ce japon qui n'existe plus.  Pour les lecteurs contemporains, le roman de Mori fournit des passages descriptifs précieux de l'ère Meiji à Tokyo.


En visitant Asakusa, un quartier connu pour son association avec le sacré, Kanai observa les vieux hommes et femmes aux genoux pliés, leurs corps "comme les homards, ils murmuraient leurs prières incompréhensibles". Dans un quartier de plaisir, il rencontre des ateliers d'archers, où il est frappé de "trouver dans chacune de ces boutiques une femme dont le visage était couvert de peinture blanche". Ces stands de tir ont disparu laissant place à des  maisons closes.
Ogai Mori publie son roman en 1909. Il est interdit trois semaines après sa publication. Pourtant, ce livre ne comporte rien de sexuel, ou d'érotique.
Vita Sexualis a beaucoup en commun avec l'autre roman d'Ogai, les oies sauvages. Les deux deux romans se concentrent sur de petits moments d'intuition et de révélation pour expliquer le développement du personnage et la progression du  récit.
Dès la première page, nous sommes informés sur le narrateur: "Monsieur Shizuka Kanai est un philosophe de métier." Le première chapitre est à la troisième personne, puis le livre se déplace vers la première personne ".  Ogai suit un format où chaque chapitre commence à une tranche d'âge différente du professeur, à partir de l'âge de six ans. Les chapitres sont courts, et racontent de petites scènes qui peuvent éclairer le personnage sans influencer le récit.
Il y a des moments humoristiques comme quand le professeur atteint l'âge de dix ans, et décrit en regardant plusieurs dessins érotiques :

 

"Alors que je les regardais encore et encore, des doutes se sont produits. Une partie du corps a été dessinée avec une exagération extrême. Quand j'étais beaucoup plus jeune, il était tout à fait naturel pour moi de penser que cette partie du corps était une jambe mais ce n'était pas le cas. "

 

Le narrateur ne cite jamais le nom de parties spécifiques du corps qui font l'objet de sa curiosité. Il obtient son diplôme sans avoir eu de relations sexuelles avec des femmes, le héros continue à parler des femmes et de ce qu'elles représentent d'une manière distante sans sentiments et sans s'intéresser à la sexualité.  

 "Je ne crois pas qu'une œuvre d'art puisse échapper à l'étiquette" autojustification" Car la vie de chaque créature vivante est une autojustification ".  


Le livre se termine par ses réflexions, il juge sévèrement ce héro trop passif qui ne sait pas embrasser la passion, homme trop cérébral :


" M. Kanai a définitivement renoncé à écrire. Mais il a longuement réfléchi. Les gens diront, en considérant l'homme qu'il est devenu à présent, que c'est parce qu'il a vieilli et que toute passion l'a quitté. Mais les années n'y sont pour rien. Petit garçon déjà, M. Kanai avait une trop parfaite connaissance de lui-même, et c'est cette connaissance même qui a desséché la passion naissante. "

 

" M. Kanai n'était pas impuissant. Il n'était pas non plus impotent. Les gens laissent en liberté le tigre de leurs désirs et, le chevauchant parfois, sombrent dans la vallée de l'anéantissement.  M. Kanai a dompté le tigre de ses désirs et l'a terrassé.
Bhadra était l'un des disciples de Bouddha. Un tigre qu'il avait apprivoisé dormait à ses côtés. Ses jeunes disciples craignaient l'animal. Bhadra signifie " sage ". Le tigre était probablement le symbole de ses désirs. Or, le fauve avait été dompté, mais son pouvoir de terroriser les gens n'était nullement amoindri. "


Vita Sexualis n'est pas un roman exceptionnel sauf dans le contexte de son époque. Ogai entre la littérature japonaise dans la modernité , ouvre la voie à d'autres romanciers comme Tanizaki  pour pénétrer le monde de l'intime dans une société qui refuse l'individualisme.


Vita Sexualis est considéré comme un roman autobiographique du développement sexuel de l'auteur Mori. Il a été considéré comme audacieux au moment de sa publication. Vita Sexualis a osé parler de manière ouverte de l'activité homosexuelle des jeunes garçons au Japon, et aussi de l'initiation sexuelle des garçons par les prostituées. On peut penser que ce livre fut interdit, car il a révélé cette vie des garçons, future élite au Japon, et dévoilé un monde intime de désir et de questions que la société cherchait à marginaliser.
Le livre se termine par une belle réflexion :


" Un vers que le poète Dehmel écrivit pour son fils dit ceci : " N'obéis pas à ton père ! Ne lui obéis pas ! " Le narrateur prend sa plume et, en latin, trace en grosses lettres sur la couverture : Vita sexualis.  "


Vita Sexualis explore les questions morales et sociétales pendant le déclin de l'ère Meiji, et le début de la modernité. Vita Sexualis est un roman sur l'inhibition et l'observation, la passivité sans action ni exploration.
Nous pouvons mesurer combien Ogai a influencé par ses romans les grands écrivains postérieurs comme comme Tanizaki et Kawabata

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