C'est un moyen simple de détecter ses besoins.
Durant l'adolescence, ce monde intérieur est effrayant pour l'adolescent que nous sommes, dans ce monde habitent les besoins les plus nobles comme l'estime de soi, la confiance, les émotions, mais aussi les besoins les plus primaires. L'adolescent passe son temps à répéter "écoutez-moi, entendez-moi". Mais son comportement ne permet pas aux autres de deviner ses besoins car il ne les devine pas lui-même.
Les autres ne peuvent accéder à notre monde intérieur, ceux qui peuvent y accéder et le comprendre sont des gens formés pour cette tache (médecin, psychologues). Et en général, nous sommes seuls face à nos besoins et à nos craintes en génér, et c'est à chacun de trouver la hiérarchie nécessaire pour y répondre.
Nous avons besoin de comprendre notre environnement pour bien agir. Renoncer à l'effort intellectuel de comprendre, d'étudier, d'analyser, de saisir la réalité du monde exterieur et de nos besoins internes, nous privent des outils indispensables pour rehausser notre estime de soi.
Une telle abstention nous rendrait plus vulnérable aux manipulations de divers genres. Nous serions, par exemple, à la merci de la publicité, de la mode, des sectes, des groupes, et aussi des pressions affectives de nos proches ou amis.
Dans certaines maladies où l'estime de soi est lourdement affectée comme dans dépression, anorexie, abus sexuel, on peut noter l'incapacité de la personne à analyser son environnement intérieur et extérieur. Dans ce cas, la personne ne cesse de revendiquer son droit à être écoutée, mais lorsque l'entourage lui demande de s'exprimer, elle ne trouve aucun message à transmettre.
C'est le cas typique où une intervention thérapeutique est utile, et même indiquée.
La littérature est remplie de romans sur ce sujet, où la personne se réveille un jour pour écouter son monde intérieur, Emma Bovary, Anna Karénine sont deux exemples où l'amour devient, chez Anna Karénine un besoin urgent et essentiel, de même le désir pour Mme Bovary.
Au quotidien, l'estime de soi est en mouvement, affaiblie en cas d'échec, rehaussée en cas de réussite, mais ces mouvements sont dans nos têtes, dans notre monde intérieur.
Le cas de Célia peut nous aider à comprendre cette problématique du dialogue intérieur.
Célia est née dans une famille aisée au centre de la France, le père cadre supérieur, et la mère au foyer. Famille aisée, mariage tardif de deux parents, enfant unique et si aimé.
A 16 ans, Célia commence un trouble du comportement alimentaire, elle mangeait d'une façon anarchique sans repas régulier, puis un an plus tard, elle décrète qu'elle n'aime plus la viande. Les résultats scolaires alarment les parents, mais toute discussion avec la jeune adolescente était peuplée de plaintes du genre : "personne ne m'écoute, personne ne me comprend."
Les parents ne sachant que faire pensent qu'il s'agit d'une crise de l'adolescence. La situation devient critique quelque temps plus tard. Célia devient anorexique et son poids tombe de 58 kg à 48 en trois mois.
En dépit d'un traitement anti-dépresseur, Célia a été transportée un jour aux urgences après une crise d'automutilation.
Le premier dialogue dans un cadre médical, avec elle se déroula après son bac. Aucun diagnostic ne fut possible. Elle se murait dans un silence total car personne ne peut comprendre selon elle, sa souffrance. A cette époque, elle était en phase de boulimie et son poids variaient entre 70-80 kg.
Pour tester son estime de soi, il a suffit de lui dire : je comprends ton silence, même si tu ne dis rien, personne n'a l'intention de te laisser tomber.
Elle posa de nombreuses questions du genre ; vous me trouvez belle ? Intelligente ? Séduisante ? A chaque fois, la réponse était oui. Elle a commenté ces réponses, pour dévoiler une très mauvaise estime de soi.
Mère au foyer d'une enfant unique, la mère était trop puissante pour cette jeune adolescente, cette mère n'avait jamais cessé de répéter qu'elle avait sacrifié sa vie professionnelle pour elle et que la vie était avant tout "devoir et sacrifice".
Le père absent dans son travail laissait ses deux femmes seules. La mère avait des conceptions négatives des hommes, du masculin tout court. Des phrases de genre « les hommes sont violents, sales, trompeurs » étaient répétées. Des conceptions négatives de la sexualité (sale, ça fait mal, c'est bestiale). Les frustrations maternelles ont été accompagnées d'une rationalisation (argumentation ) du genre : même si la vie d'une femme est dure, elle doit tout sacrifier pour ses enfants et accepter.
Cette ambiance est typique de la famille anorexigène, mère puissante, père absent, mauvaise conception de la sexualité et de la féminité. L'anorexie est déjà un refus de son propre corps, une défense contre la femme qui surgit dans le corps de la fillette, un refus du désir.
Célia avait intégré ces "concepts" maternels négatifs. L'enfant en général ne peut que s'acclimater avec le modèle parental. Quand elle eut ses premières règles à l'âge de 13 ans, sa mère lui lance : « pauvre Célia, ça va commencer pour toi. »
Trois ans plus tard, un autre événement arrive. La mère entre en ménopause, et montre vis - à vis de sa fille une rivalité féminine. Une compétition féminine s'installe entre la mère et la fille.
« Elle détestait que j'ai mes règles. Mais je n'y pouvais rien moi. Elle me disait par exemple : quand tu as tes règles, ne le crie pas sur les toits, ce n'est pas un exploit. Elle m'a gonflée, un jour je lui ai dit ; au moins je suis une femme et j'ai mes règles moi ! et je n'ai pas besoin de prendre des hormones ! Elle a pleuré et m'a boudée pendant une semaine.»
Célia, en raison de sa mauvaise estime de soi, rechercha la valorisation dans les bras des partenaires sexuels, mais l'échec a suivi. Elle voulait seulement qu'on lui dise qu'elle était belle, mais les garçons la prenaient pour une séductrice qui «allume mais ne couche pas. »
La dernière crise de Célia survint à l'âge de 18 ans ; image de soi altérée par son obésité boulimique, estime de soi fragilisée par sa souffrance durant l'enfance. Un jour, elle ne pouvait plus ignorer son monde intérieur.
« Des cris qui hurlaient dans ma tête. J'ai eu des fantasmes mais je n'ai pas osé les regarder, des désirs que j'ai du les oublier, j'étouffais. Le pire après le bac, ma mère voulait que je fasse médecine, je voulais faire un BTS de tourisme. J'avais tellement mal que j'ai commencé à tailler mes cuisses avec un petit couteau de cuisine. »
Nous avons détaillé le cas de Célia pour démonter la souffrance de l‘estime de soi et de ses relations avec le monde intérieur et extérieur. Le cas de Célia n'est pas, un problème de sexualité.
Devenir femme pour une fille est un destin, et nullement un choix. Une mère abusive, un père absent, enfant protégé, et une répression symbolique du monde intérieur.
Le traitement commence par lui dire qu'elle a le droit d'écouter ses besoins, de les comprendre, d'accepter ses désirs, de valider ses ambitions.
Cependant la première chose à faire était de l'éloigner de sa mère, et de commencer ensuite un long dialogue sur les hommes qui ne sont pas tous "sales", qui ne sont pas tous "menteurs", sur le droit des femmes à vivre leur vie sans être obligées de se sacrifier.
En vérité, il fallait reconstruire son estime de soi ; discuter les valeurs qui seront ses références de jugement, l'aider à aimer son image du corps, l'encourager dans les expériences de la vie, chaque réussite devrait être louée, chaque point positif sera amplifié pour pouvoir ensuite analyser les échecs sans les minimiser mais sans les exagérer.
Il faut lui répéter qu'elle est jeune, ambitieuse, belle, désirable et précieuse. Ce n'est pas un mensonge, car chacun est précieux et mérite d'être aimé et respecté.
Pendant ce travail, un autre point demeure crucial, il faut s'aimer, se respecter, s'écouter, et s'affirmer.
Il faut du temps pour que Célia se réconcilie avec elle-même, pour aimer la femme qu'elle est devenue, pardonner à sa mère, pardonner son enfance et pour pouvoir un jour aimer l'autre.
Mais c'est en bonne voie.
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