Encyclopédie: santé mentale

Trouble bipolaire : son histoire médicale

femme trouble bipolaire

Le trouble bipolaire : son histoire médicale

 

Le trouble bipolaire est maladie grave qui peut affecter la capacité professionnelle et intellectuelle des patients, entraînant des conséquences sérieuses sur la qualité de vie (professionnelle, sociale, émotionnelle).

Le trouble bipolaire représente un problème de santé publique, nécessitant parfois des hospitalisations, et augmentant le taux de suicide
Le concept de trouble de l'humeur est ancien. Les discussions littéraires et cliniques sur la dépression reflètent certaines confusions.

On nommait la dépression en utilisant des termes littéraires descriptifs, imprécis, comme : mélancolie, neurasthénie.

Dans l'épopée d'Homère, l'Iliade, on retrouve le mot manie pour la première fois, utilisé pour décrire la rage incontrôlable contre Agamemnon. Dans cette épopée, Homère décrivait d'autres manifestations psychiatriques de la dépression comme les troubles de l'humeur d'Ajax.

On retrouve chez les médecins grecs les premières tentatives de classer les maladies et le trouble psychiatrique selon ses causes.

Hippocrate (460-377 av. J.-C.), considérait que les caractéristiques individuelles comme le tempérament et les maladies étaient liées à l'équilibre entre les quatre principales humeurs (bile, la lymphe, sang).
La mélancolie était le terme utilisé par Hippocrate pour décrire la dépression, en considérant qu'il s'agissait d'une maladie du cerveau influencée par les émotions.
Dans d'autres écoles médicales, certains considéraient le trouble mental comme le résultat d'une intervention divine.
Hippocrate avait observé que les fluctuations de l'humeur peuvent être accentuées par l'arrivée de l'automne ou l'hiver. Cependant, la dépression saisonnière n'était pas connue.

Galien (130-199 AD 129) considérait que les anomalies de la sécrétion de la bile étaient présentes dans la mélancolie.
Galien a inventé le terme hypocondrie pour désigner une association de symptômes physiques et psychologiques.

Pour Aretaeus de Cappadoce, un célèbre médecin romain pratiquant au IIe siècle, la hausse de la bile noire dans l'estomac ou dans le diaphragme était responsable des symptômes de la mélancolie.


Ce médecin décrivait la mélancolie ou la dépression comme une maladie ayant des manifestations physiques, et psychologiques comme la tristesse, le ralentissement psychomoteur, les idées suicidaires. Il a décrit l'euphorie qu'il considérait comme
une sorte de « catharsis » conduisant à une amélioration temporaire du tableau clinique, suivie parfois d'une autre crise de mélancolie.

Aretaeus de Cappadoce décrit pour la première fois dans l'histoire de la médecine, les deux phases du trouble bipolaire.
La mélancolie semble avoir été constamment reconnue, identifiée au moyen âge et à la renaissance. La mélancolie était souvent associée au péché, à la magie, et à la punition divine.

À la renaissance, Paracelse (1391-1431), décrit la manie croyant que l'étiologie de cette maladie mentale peut être endogène ou exogène, influencée par les obsessions.

Dans ses théories sur les émotions humaines, Descartes dans son livre : des passions, distingue le corps et l'âme. Ainsi, il explique la maladie psychiatrique par les expériences indésirables vécues durant l'enfance ou par les sentiments de la mère avec son enfant.
Dans cette approche Descartes dépasse les théories médiévales sur l'origine divine de ces maladies.

Les théories biologiques de la dépression ont été nombreuses durant le XVIe et XVIIe siècle à la recherche d'une confirmation des théories d'Hippocrate.

Burton (1577-1640) publiait en 1621 un livre intitulé l'anatomie de la mélancolie.


À la fin de XVIIe siècle, on note un changement conceptuel en psychiatrie ; on décrivait les symptômes de la maladie en précisant les signes distinctifs, sans chercher à tout prix une explication biologique ou théorique.

De nombreuses définitions ont été formulées au XVIIIe siècle concernant la mélancolie comme la définition de Gullen (1710-1790) considérant la mélancolie comme une maladie affective, un trouble de l'humeur, avec dépression et parfois crises d'euphorie.

Pinel (1745-1826) enfin, a utilisé ce terme en soulignant que la mélancolie peut ressembler à la schizophrénie, avec des manies. En fait, Pinel décrivait les symptômes de la schizophrénie agitée, accompagnée d'épisodes dépressifs.
En 1818, Pinel considère la manie comme une partie de la folie, il a divisé les manies en manie délirante, et non délirante.

L'hypothèse principale au XIXe siècle prétendait qu'il existe trois groupes de fonctions mentales : intellectuelle, émotionnelle et mixte.

La mélancolie était considérée comme un trouble de la fonction intellectuelle.
Le diagnostic a été fondé sur les symptômes au moment de l'examen.

Plus tard, Pinel proposa une autre approche, il pensait que l'évolution de la maladie devrait être un élément important dans sa classification.

Suivant ce schéma, Kahlbaum (1828-1899), a proposé une première tentative scientifique valable pour classer les maladies psychiatriques.
Kahlbaum a utilisé le terme dysthymie pour décrire les formes chroniques de la mélancolie, et le terme cyclothymie pour décrire les troubles psychiatriques cycliques. Pour la première fois, on sépare ces deux entités.

 

Le trouble bipolaire au XXe siècle


Au début de XXe siècle, on parlait de psychoses pour désigner les maladies psychiatriques qui altèrent la personnalité et le raisonnement. Il y avait la psychose maniaco-dépressive (troubles maniaco-dépressifs), la démence précoce (schizophrénie).

On a proposé l'utilisation du terme la folie maniaco-dépressive pour décrire les formes de psychoses récurrentes.

Une autre contribution importante de Kraepelin est l'évolution des termes en psychiatrie, le terme dépression remplaça progressivement dans les publications scientifiques le terme mélancolie.

Freud (1856-1939) considérait la mélancolie comme le résultat d'une faible estime de soi, dont l'origine remonte à l'enfance. Meyer (1866-1950) a introduit la classification de Kraepelin aux États-Unis en soulignant en même temps que de nombreux types de dépression sont distincts de la folie maniaco-dépressive.

En 1957, Leonhard va proposer une nouvelle distinction, séparant pour la première fois la dépression unipolaire du trouble bipolaire. Leonhard a fondé cette distinction sur l'existence d'épisodes maniaques dans le trouble bipolaire. Il introduit pour la première fois le terme polaire, et la polarité dans les classifications des troubles de l'humeur.

Les patients qui avaient seulement des épisodes dépressifs devraient être considérés comme patients affectés par un trouble dépressif unipolaire. Les patients qui avaient un épisode de manie en plus seraient affectés par un trouble bipolaire.

Cette distinction est devenue relativement consensuelle, acceptée par la plupart des médecins, en raison de la différence de ces deux entités en ce qui concerne les symptômes et le traitement.

Plus tard, la génétique montrera qu'il s'agit de deux entités différentes.
Pour faire le diagnostic, il a été suggéré qu'au moins trois épisodes de dépression devaient avoir lieu avant qu'évoquer le diagnostic de dépression unipolaire. En cas de présence d'épisodes de manie, le patient dépressif doit être diagnostiqué comme bipolaire.

En 1965, la huitième révision de la Classification internationale des maladies (CIM-8) a accepté ces critères qui vont être conservés dans la neuvième révision de 1978.

Dans la troisième édition du manuel diagnostique et statistique de l'American Psychiatric Association (DSM-III), les troubles d'humeur sont divisés en trouble bipolaire et en trouble dépressif majeur.


Selon la définition du DSM-III, les patients qui ont eu un ou plusieurs épisodes maniaques sont considérés comme bipolaires.
Les éditions suivantes de ce manuel ont suivi les mêmes lignes directrices. Le terme « trouble de l'humeur » est conservé, le terme dépression unipolaire est abandonné, remplacé par « dépression majeure ».
On retrouve les mêmes principes dans la 5e édition du manuel, l'édition la plus récente.

 

Références
Angst J, Sellaro R. Historical perspectives and natural history of bipolar disorder. Biol Psychiatry 2000; 48:445-457.
Hippocrates. Samtliche Werke. Munchen: H. Luneburg, 1897.
Lewis AJ. Melancholia: a historical review. J Ment Sci 1934; 80:1-42.
Kotsopoulos S. Aretaeus the Cappadocian on mental illness. Compr Psychiatry 1986; 27:171-179.
Georgotas A. Evolution of the concepts of depression and mania. In: Georgotas A, Cancro R, eds. Depression and Mania. New York: Elsevier, 1988:3-12.
Pinel Ph. Nosographie philosophique ou la méthode de l'analyse appliquée. 6th ed. Paris: Brosson, 1818.
Baillarger J. De la folie à double-forme. Ann Med Psychol (Paris) 1854; 6:367-391.
Kahlbaum, MD: a translation and commentary. Harv Rev Psychiatry 2003; 11:78-90.
Kraepelin E. Psychiatrie. 5th ed. Leipzig: Barth, 1896.
Freud S. Mourning and Melancholia. In: Strachey J, ed. Standard Edition of the Complete Psychological Works of Sigmund Freud. Vol. 14. London: Hogarth Press,
1957.
Meyer A. The problems of mental reaction types, mental causes and diseases. Psychol Bull 1908; 5:245.
Kendler KS, Gardner CO Jr. Boundaries of major depression: an evaluation of DSM-IV
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